Nous commençons cette semaine une nouvelle série sur l’interdit connu sous les termes de Guénévat Da’at, que l’on traduit littéralement par « duper autrui en pensée ». Cela fait référence à diverses formes de tromperie : un homme a le sentiment qu’un individu lui fait une faveur alors qu’en réalité, ce n’est pas le cas. Nous aborderons les divers détails de cet interdit dans les semaines à venir.

La source de cet interdit figure dans la Guémara de ‘Houlin 94a. La Guémara dit : « Chemouël dit : il est interdit de tromper (Gonev Da’at) des individus, même des non-Juifs. De là, la Guémara déduit qu’il est interdit d’envoyer à un non-Juif la cuisse (Yérekh) d’un animal avec son Guid Hanaché (tendon d’Achille)… En effet, le non-Juif pensera que le Juif lui a envoyé une cuisse Cachère (d’où le tendon interdit a été retiré), mais en réalité, ce n’est pas le cas. Un non-Juif les a aidés à traverser un pont, et le bedeau l’a payé avec un poulet Tref (non-Cacher). Chemouël était en colère contre le bedeau, car le non-Juif pourrait penser qu’il lui a donné un poulet Cacher, et de cette manière, il a trompé le non-Juif. »

Dans les semaines suivantes, nous évoquerons les diverses opinions parmi les autorités sur la nature exacte de cet interdit.

Les Richonim discutent de la nature de cet interdit de Guénévat Da’at :

Le Rambam (Maïmonide, Hilkhot Dé’ot 2:6) décrit cet interdit de la manière suivante : on ne doit pas dire une chose, mais penser son contraire au fond de soi. Au contraire : « l’intérieur doit être semblable à l’extérieur. » En conséquence, on ne s’exprimera pas de manière amicale si on ne ressent pas l’amitié que l’on exprime en paroles. Le Rambam explique également que cet interdit inclut également notre manière de traiter les non-Juifs (nous rapporterons plus tard des exemples qu’il cite). De même, l’auteur du Séfer ‘Hassidim et du Pélé Yoëts écrivent qu’on ne doit pas manifester une grande affection à un individu si on ne sent pas réellement cette affection au fond de soi.

Dans cette veine, les sources rabbiniques font l’éloge des frères de Yossef pour n’avoir pas agi de manière hypocrite envers Yossef. Ils ne se sont pas exprimés de manière amicale avec lui, car ce qui sortait de leur bouche ne contredisait pas ce qu’ils avaient dans leur cœur (Rachi sur Béréchit 37,4).

Les premiers décisionnaires sont divisés sur la question de savoir si l’interdit de Guénévat Da’at est issu de la Torah ou est une interdiction rabbinique. Le Ritva rapporte l’avis de la Tossefta que c’est un interdit de la Torah déduit du verset : « Vous ne commettrez point de vol, point de dénégation » (Vayikra 19,11). De nombreuses autres autorités sont d’avis que la Guénévat Da’at est un interdit de la Torah. L’auteur du Chaaré Téchouva écrit toutefois que les maîtres d’Israël considèrent cette faute comme plus grave que le fait de voler aux non-Juifs. Ceci sous-entend que c’est un interdit d’ordre rabbinique, car il se réfère aux rabbins comme la source de cet interdit. L’avis du Rambam sur cette question n’est pas clair. En revanche, dans les Hilkhot Mékhira, le Rambam compare la Guénévat Da’at dans les affaires monétaires à l’interdit d’Ona’at Dévarim (offense verbale) et de Chéker (mensonge) qui sont des interdits de la Torah. De là, il semble que le Rambam est d’avis que la Guénévat Da’at est issue de la Torah.

Il semble que le Rambam tient qu’en général, la Guénévat Da’at est d’ordre rabbinique, cependant, lorsqu’il s’agit d’un réel vol d’argent, dans ce cas, c’est interdit par la Torah. Certains décisionnaires statuent de cette manière : lorsqu’une perte d’argent est impliquée dans la Guénévat Da’at, alors il s’agit d’un interdit de la Torah, mais lorsqu’il n’y a pas de perte monétaire, c’est un interdit rabbinique.

Il existe diverses opinions sur la raison d’interdire la Guénévat Da’at : le Ritva déduit cet interdit de la défense de ne pas voler, et rapporte le Tossefta dans Baba Kama décrivant trois sortes de vol. « Gonev Da’at Briot (tromper les gens) est la plus grave. C’est apparemment l’avis du Smag et du Smak. D’après le Rambam, il semblerait qu’en cas de perte monétaire, l’interdit repose sur la prohibition de voler. Mais lorsqu’aucune perte financière n’est en jeu, la source de l’interdit est la défense de ne pas mentir, car il finit sa phrase là, en expliquant qu’il convient de s’exprimer avec honnêteté.

Le Cha’aré Téchouva inclut dans le groupe de menteurs celui qui est coupable de Guénévat Da’at. Il souligne que ce type de vol est pire que le vol ordinaire. En effet, il n’est pas question de voler l’argent de l’autre, mais plutôt de voler son Da’at (c’est-à-dire de le duper), comme s’il ne croyait pas que Hachem connaît toutes ses pensées.

Le Tour et le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 228) rapportent cette loi avec celle de Ona’a (qui signifie littéralement abuser, et se réfère dans ce cas à causer à autrui du tort sur le plan financier en présentant une facture excessive ou en le sous-payant), impliquant que la source de cet interdit est la Ona’a (abus) et non le vol.

 

NB : Une bonne partie de cet article repose sur un cours donné par Rav David Genish chlita, Rav de la communauté Mé’am Loèz, une synagogue séfarade de Ramat Beth Chémech.