Rabbi Moché et Rabbi Its’hak Ashkénazi étaient deux frères qui comptaient parmi les élèves les plus brillants du Gaon de Vilna. Rav Moché s’est également forgé une réputation grâce à son ouvrage Brit ‘Olam, un livre profond sur la Kabbale.

Un jour, Rav Moché décida de s’engager à réaliser une Mitsva, qu’il serait vigilant de réaliser en tout temps et en toutes circonstances, dans tous ses détails, même si, par ce biais, il était tenu de se sacrifier. Après réflexion, il décida de s’engager à respecter la Halakha de ne pas marcher plus de quatre Amot sans Tsitsit.

Dès lors, il fit attention à ne pas marcher plus d’un pas sans Tsitsit. Son Tsitsit était bien entendu le plus parfait au niveau halakhique. Il déboursa une grande somme à cet effet, et lorsqu’il dut déployer de grands efforts dans ce but - il ne prit pas en compte la difficulté inhérente. Il affronta un jour une épreuve et donna tout son argent et presque sa vie pour cette Mitsva.

En voici le récit : Rabbi Moché était enseignant en Torah dans un village à proximité de Vilna. Pendant six mois, il y résida et enseigna la Torah aux enfants du village. Au terme de cette période, il revint à Vilna en emportant son salaire de six mois de travail.

Le soleil était à son zénith, c’était l’heure de Min’ha Guédola. Il demanda au cocher d’arrêter la course des chevaux et se mit de côté pour la prière de Min’ha. Alors qu’il priait, son corps se balançait avec ferveur, lorsque soudain, les franges de son Tsitsit s’empêtrèrent dans les branches de l’arbre. La tentative de sauver les fils des Tsitsit empêtrés dans l’arbre ne réussit pas. L’un des fils resta coincé entre les branches et se détacha des autres. Rabbi Moché retint un cri : son Tsitsit était devenu Passoul (non-conforme).

De nombreuses pensées traversèrent son esprit, mais il en avait la certitude : sans Tsitsit Cachère, il ne bougerait pas de là, même pas d’un pas. En vérité, le lieu où il s’était arrêté était considéré comme dangereux, et, même privé de Tsitsit, il avait le droit de partir, mais il ne souhaitait pas fléchir dans sa détermination à respecter la Mitsva à laquelle il s’était engagé, et pour laquelle il était prêt à donner toutes ses forces et même son âme. Après quelques instants de réflexion, il s’adressa au cocher, le seul être vivant à part lui dans toute cette région : « Regarde, mon Talith s’est brisé et je ne peux pas bouger d’ici. Pourrais-tu te rendre dans la localité voisine et me rapporter un Talith Katane avec des Tsitsiot Cachères ? Je te paierai une belle somme d’argent pour ces efforts. »

Pâle comme un linge, Rabbi Moché exprima une seule demande : un Talith Cachère

Le cocher éclata de rire : « Tu as perdu la raison ?, dit-il sur un ton moqueur, parcourir une distance de deux heures uniquement pour te rapporter un Talith en tissu ? Monte dans la carriole et retourne chez toi, où tu pourras t’envelopper de Talith, autant que tu le désires… ».

Les deux hommes continuèrent à échanger des propos pendant un bon moment, jusqu’à ce que le cocher n’ait plus la patience et menace de poursuivre la route seul et sur le champ. Après maintes négociations et exhortations, Rabbi Moché transmit au cocher tout son argent, dans le but qu’il lui rapporte de la localité voisine un nouveau Talith. La bourse, précisons-le, contenait tout le salaire de Rabbi Moché qu’il avait perçu pour son travail des six derniers mois, avec lequel il comptait nourrir ses enfants et sa famille pour les mois à venir.

Le cocher, surpris de la somme astronomique délivrée entre ses mains - qu’il n’aurait pas gagnée en déployant des efforts pendant des mois de travail intensif - était fou de joie : une telle somme d’argent, tout ceci grâce à une mesure de rigueur idiote et inexplicable. Il n’avait jamais rencontré un tel esprit borné, qui lui donnait tout son argent en échange d’une mission aussi facile.

Au bout de quelques minutes de réflexion, le cocher décida de renoncer à cette peine. Il allait rentrer chez lui et laisser le Juif seul, à moins que ce dernier ne décide au final de partir sans Talith Cachère.

C’est ainsi que Rabbi Moché resta seul dans la forêt jusqu’au soir, il passa la nuit sous l’arbre au bord de la route, mais ne songea pas un instant à revenir sur sa décision : il s’était engagé à respecter cette Halakha, et il y était prêt coûte que coûte.

Un jour s’écoula, puis deux, ses réserves de nourriture s’étaient épuisées et il était au bord de la mort. Le troisième jour, une carriole passa à ses côtés avec des Juifs en route pour Vilna. Avec le reste de ses forces, Rabbi Moché leur demanda de s’arrêter.

Pâle comme un linge, Rabbi Moché ne bougeait pas. Les voyageurs craignaient qu’il lui soit arrivé quelque chose, ils descendirent de la carriole, l’observèrent pour voir s’il s’était blessé, mais non. Un Talith Cachère, c’était sa seule demande.

L’un des voyageurs ouvrit son sac, en sortit un Tsitsit Cachère qui rassura le pauvre homme. Rabbi Moché mit le Talith et monta dans la calèche en direction de sa ville.

A sa femme, qui attendait impatiemment le salaire de son mari après six mois d’absence, il ne dévoila rien de ce qui s’était passé. « L’argent a été volé », expliqua-t-il, sans plus de détails, ce qui était la pure vérité.

Je transmets le salaire de la Mitsva que j’ai accomplie avec abnégation à mon frère malade

Quelques années s’écoulèrent, et Rabbi Moché apprit une triste nouvelle : son frère, Rabbi Its’hak, avait contracté une maladie fatale, et il vivait ses dernières heures dans ce monde-ci. Rabbi Moché se hâta de chercher une carriole pour le conduire rapidement chez son frère.

A son arrivée, les membres de la ‘Hévra Kadicha (entreprise funéraire) étaient déjà rassemblés autour de son lit. Hormis quelques faibles respirations, il ne montrait aucun autre signe de vie. Rabbi Moché hésita un instant, puis s’adressa aux personnes présentes en leur demandant de quitter la pièce. La requête, quoiqu’étrange, fut acceptée. Les membres de la ‘Hévra Kadicha, les élèves et la famille quittèrent la pièce, se demandant ce que Rabbi Moché voulait dire à son frère en ses derniers instants.

Mais Rabbi Moché ne s’adressa pas à son frère malade, il se mit dans un coin et s’épancha en prières : « Maître du monde, s’écria-t-il, Tu as ordonné dans Ta Torah d’accomplir la Mitsva de Tsitsit, et je l’ai accomplie selon la Halakha de toutes mes forces et de toute mon âme. J’ai renoncé à tout mon argent pour l’accomplir, même en sachant que j’imposais à moi et ma famille une vie de pauvreté. J’y ai presque laissé ma vie, alors que j’étais entre la vie et la mort au milieu d’un carrefour. »

Rabbi Moché s’arrêta un instant, puis reprit : « Il y a une Mitsva supplémentaire dans Ta Torah : "Tu ne feras pas abstraction de ta chair", et je transmets ici le salaire de la Mitsva à mon frère, que cette Mitsva accomplie avec abnégation soit portée à son mérite; envoie-lui un rétablissement complet du Ciel. »

En conclusion, il ne resta pas un instant de plus dans la pièce. La porte s’ouvrit, Rabbi Moché sortit et la famille qui pénétra dans la pièce vit une scène prodigieuse. Le visage du malade avait repris des couleurs, des gouttes de sueur perlaient sur son front et ses yeux étaient grand ouverts.

« De l’eau, s’écrièrent-ils, appelez le médecin ! ». Profitant de l’agitation, Rabbi Moché fila à l’anglaise, et personne ne lui demanda ce qui avait transpiré dans les minutes où il s’était trouvé dans la chambre.

Quelques jours plus tard, Rabbi Its’hak se releva de sa maladie, en pleine forme, sans aucun souvenir de la maladie qu’il avait contractée. Il vécut alors 15 ans de plus au cours desquelles il ne dut pas une seule fois mettre les pieds chez le médecin. Tout ceci, grâce à la Mitsva de Tsitsit pour laquelle son frère s’était sacrifié.