Nos Sages disent : « A l’endroit où les Baalé Téchouva [les hommes repentis] se tiennent, même les Justes intègres ne peuvent se tenir, comme il est dit : ‘Paix, paix, pour qui s'est éloigné comme pour le plus proche ! Parole de l’Eternel, Je le guérirai’ (Ichaya 57, 19). »

Cette idée très connue mérite toutefois réflexion : comment un homme qui a fauté peut-il surpasser celui qui, toute sa vie durant, s’est toujours montré fidèle à D.ieu ? D’ailleurs, comme le rappelait le ‘Hafets ‘Haïm, même après qu’un vêtement est passé à la teinturerie, il en ressort tout au plus propre, mais jamais il n’en revient avec de nouveaux ornements…

L’explication réside peut-être dans une remarquable réflexion, due à rav Its’hak Hutner. Ce maître de la pensée juive éclaire l’un des aspects centraux de la téchouva à l’aide d’un exemple tiré des lois des bénédictions.

Une pomme et un verre d’eau

Nous savons que parmi les différentes bénédictions que l’on prononce sur des aliments, il existe une certaine priorité. Ainsi, si l’on souhaite manger une pomme et boire un verre d’eau, c’est à la pomme que revient la priorité, car sa bénédiction – boré péri haets [Qui a créé le fruit de l’arbre] – a la primauté sur celle du verre d’eau – chéakol nihya bidvaro [D.ieu… dont la Parole a créé toute chose]. De prime abord, cet ordre semble incohérent : la création des fruits de l’arbre n’est-elle pas un infime détail par rapport à l’ensemble de la Création ? Et donc, n’est-il pas beaucoup plus flatteur de louer D.ieu sur l’ensemble de la Création, plutôt que sur l’un de ses composants ?

La sagesse – capacité de distinguer

La réponse réside visiblement dans un texte que l’on ajoute à nos prières à l’issue du Chabbat : « Ata ‘Honantanou ». Dans cette prière, nous déclarons que c’est grâce à la sagesse que D.ieu nous accorde, que nous sommes en mesure de distinguer le « saint du profane ». En effet, expliquent nos Sages, « séparer le Chabbat de la semaine est une sagesse, c’est pourquoi on l’instaura dans la bénédiction de ‘honen hadaat [Qui donne la sagesse] » (Bérakhot 33/a).

Par cette remarque, le Talmud révèle l’essence même du daat [la sagesse] : c’est la faculté par laquelle on parvient à s’identifier à un élément extérieur. En effet, lorsqu’on dit d’une personne qu’elle a assimilé une chose, c’est qu’elle est parvenue en comprendre le principe. A un autre degré, si l’on dit d’elle qu’elle « maîtrise » une idée ou une science, c’est quelle est parvenue à en extraire la quintessence. En revanche, lorsqu’elle saisit une information au niveau du daat, c’est qu’elle s’en est pénétrée au point de s’identifier à elle.

C’est en ce sens que l’on dit d’un enfant qu’il n’est pas « bar daat » [apte au daat], et qu’en conséquence, on ne peut se fier à lui pour garder un objet. Un enfant a connaissance des responsabilités exactement au même titre qu’un adulte, mais il est incapable d’en prendre conscience au point de s’identifier au rôle de gardien. S’il est capable de garder un objet, jamais il ne sera un gardien, imprégné de sa mission.

Etre capable de séparer le Chabbat du profane signifie donc prendre conscience de cette distinction, au point d’en éprouver sensiblement toutes les implications. Car le discernement est cette capacité à « vivre » de l’intérieur la différence entre une chose et l’autre, entre le Chabbat et le jour de semaine, entre le saint et le profane.
Revenons à présent à notre pomme et notre verre d’eau. Si la bénédiction « Qui a créé le fruit de l’arbre » est plus importante que celle de chéhakol, c’est en cela qu’elle est plus spécifique. C'est-à-dire que par elle, nous parvenons à une connaissance de la Création divine plus précise et distincte ; et bien que la bénédiction annonçant que « Sa Parole a créé toute chose » englobe infiniment plus d’éléments, sa généralité nous prive d’une identification plus palpable avec son contenu.

La force du repentir

Ces explications révéleront la force particulière du repentir, auquel nul homme n’ayant pas été confronté à la faute ne peut prétendre accéder. 
Lorsqu’un homme prend sur lui a priori d’accepter le joug de la Torah et des mitsvot, il le fait nécessairement de façon très globale ; accepter le respect d’une mitsva plus qu’une autre serait en effet considéré comme un reniement des autres mitsvot, voire même une forme d’apostasie. Lorsqu’un enfant de treize ans s’engage à respecter la Torah, il le fait de manière uniforme, sans accorder plus d’importance à un commandement qu’à un autre. Autrement dit, il évolue dans une dimension de « chéakol nihya bidvaro », dans laquelle tout appartient à une même globalité.
En revanche, quand un homme entame un processus de Téchouva, qu’il scrute ses actions et découvre les torts qu’il se reproche, son approche est tout autre. Il doit aborder chaque mitsva dans laquelle il a failli de manière spécifique, et l’accepter elle seule comme une Torah toute entière. Il pénètre alors dans une dimension de « boré péri haets », dans laquelle il pourra s’identifier personnellement aux devoirs qu’il s’engage à respecter.

Ces explications de rav Its’hak Hutner nous aideront à comprendre en quoi un Baal Téchouva peut être supérieur à un Juste intègre. Le Baal Téchouva découvre en effet un aspect de la Torah que le Juste – malgré toutes les autres qualités dont il jouit – ne peut connaître par lui-même.

Ceci nous éclairera également sur un autre enseignement talmudique, selon lequel la Téchouva est l’une des choses créées avant que le monde voit le jour (Pessa’him 54/a). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ceci ne signifie pas que la faute était, à l’origine, inscrite dans l’ordre du monde. Si la Téchouva devança le monde, c’est parce qu’elle implique une dimension formidable de la connaissance divine, à laquelle les hommes devaient pouvoir accéder, d’une manière ou d’une autre.