Question de Barbara B :

Bonjour Rav Scemama,

J'ai une question complexe à vous soumettre et, pour que vous puissiez bien cerner mon problème, j'ai besoin de vous rapporter quelques détails importants.

Je viens d'une famille aisée et assimilée. Notre judaïsme tournait autour du jour de Kippour et de la consommation de la Matsa le premier soir de Pessa’h. 

Au niveau matériel, nous vivions dans un cadre "embourgeoisé", le message de mes parents étant la réussite professionnelle, faire une carrière et surtout avoir beaucoup d'argent, "la clef pour pouvoir profiter de la vie".

Ma grande sœur (nous sommes deux enfants) a suivi les directives familiales et s'est mariée avec un juif d'une famille assimilée, très aisée, à la joie et à la satisfaction de mes parents. Pour ma part, bien que je profitais de tous les avantages de ce genre de vie, j'avais un certain recul devant toute cette matérialité et me posais des questions existentielles.

Lors de mes études à la fac, je fis la connaissance d’un jeune homme juif très sympathique, qui portait tout le temps une casquette. Il m'expliqua qu'il était pratiquant (comme sa famille) et essaya de me montrer la beauté du judaïsme. Il démonta un par un tous mes stéréotypes et mes idées préconçues sur la religion, en répondant calmement à toutes mes questions. 

Il insista pour me faire connaître des rabbins érudits, me fit inviter le Chabbath dans des familles pratiquantes, m'apporta des lectures sur le sujet, et m'encouragea à écouter des cours intéressants. 

Tout était cohérent et, peu à peu, j'ai amorcé une Techouva, le plus discrètement possible, pour ne pas éveiller la colère de mes parents. Malgré tout, le conflit ne tarda pas à éclater, et ce fut le début d’une guerre qui ne s'est jamais terminée.

Deux ans après notre première rencontre, je fus surprise par ce camarade, lorsqu'il me demanda si je voulais me marier avec lui.

Je lui demandai un temps de réflexion, et ce délai passé, je lui fis part de mes hésitations :

1. J’étais encore en grand décalage avec lui sur le plan religieux, ce à quoi il me répondit qu'il était très patient quant à mon évolution, et qu'il était prêt à me prendre telle que j'étais présentement.

2. Je ne m'étais jamais projetée épouse et mère au foyer, je ne savais ni coudre, ni cuisiner, ni m'occuper d'une maison (je voyais dans ces tâches un intérêt quasiment nul). Je me voyais avec des activités à l'extérieur et le mariage était bien loin de moi.

Là aussi, il me rassura, en me disant que ces détails n'avaient pas d'importance pour lui. Il aimait ma présence.

Mais il y avait une troisième raison que je ne lui avais pas dévoilée et qui, en fait, était la principale : il y avait entre nous un décalage socio-économique et culturel énorme.

Je souffrais déjà de mauvaises relations avec mes parents depuis ma Techouva, comment pourrai-je leur présenter un tel parti qui, à coup sûr, allait leur déplaire (trop religieux, trop simple socialement et sans culture générale profane etc.) ?

C'est vrai qu'il avait un caractère en or et qu'il m'avait fait découvrir le judaïsme, mais je n'avais encore aucun sentiment pour lui.

Finalement, en pesant le pour et le contre, j'ai compris que si je voulais fonder un foyer de Torah, c'est seulement avec lui, avec sa patience et sa compréhension, mais surtout grâce à ses connaissances et son engagement religieux, que je pourrais concrétiser ce rêve. Je lui ai fait savoir que j'acceptais.

Lorsqu'il m'a présenté à sa famille, j'ai réalisé combien nos familles étaient différentes et mon appréhension a encore grandi.

Mes parents, comme prévu, se sont opposés catégoriquement à ce mariage et étaient absents lors de la cérémonie. Vous pouvez vous imaginer ce que ça représente pour moi.

J'ai progressé et j'ai aujourd'hui 3 merveilleux enfants qui, grâce à leur père, grandissent dans les valeurs de la Torah.

Les rapports avec mes parents, et spécialement avec ma mère, sont des moments de tension.

J'ai tout entendu : des humiliations sur ma façon de vivre et mes choix, des critiques sur mon mari qui nous fait "vivre dans la gêne" et qui ne me concède même pas une femme de ménage, sur l'éducation des enfants, que nous faisons grandir "dans l’obscurantisme".

Mes beaux-parents sont à leurs yeux des "petites gens", sans culture et ambitions.

Et voici mon dilemme. Malgré le fait que mon mari soit profondément bon, doux et compréhensif, les propos de mes parents réussissent à pénétrer dans mon cœur. Ils touchent en moi une corde sensible et réveillent un malaise profond : mon mari et moi venons de deux mondes très différents, de plus, nous vivons en effet avec peu de moyens et lorsque je rencontre ma sœur qui vit dans la facilité matérielle, mon cœur se serre et le doute m'assaille. N'ai-je pas fait un choix trop difficile ? Trop loin de ce que j'étais ?

C’est vrai que je ne suis pas très matérialiste et j’assume mes choix religieux, mais n’aurais-je pas dû choisir un mari d’une famille riche et plus proche de mon passé ? Cela aurait facilité énormément les rapports avec ma mère. Du coup, je perds l’estime que j’ai de mon mari, et cela ne nous fait pas du bien.

Parfois, je me dis que je devrais couper les ponts avec mes parents pour éviter ces dissensions, mais avons-nous le droit d’agir ainsi, alors que la Torah insiste sur le respect du père et de la mère ?

C’est pourquoi je m’adresse à vous, pour que vous m’aidiez à gérer cette situation.

En vous remerciant d’avance.

Réponse du Rav Daniel Scemama :

Bonjour Barbara,

L’histoire de votre Techouva est magnifique.

On voit comment le destin intervient pour donner à chacun la possibilité de s’approcher du judaïsme et de fonder un foyer juif authentique, même si les éléments de base ne laissaient pas envisager une telle réalisation.

1. Pour ce qui est de votre problème, nous commencerons par une considération générale : les parents ne doivent pas se mêler et entrer dans l’intimité de leurs enfants mariés. Ils doivent prendre conscience qu’à part le fait qu’en général, ils ont tort dans leur vision, car chaque couple a ses propres codes pour gérer sa famille, mais même lorsqu’ils ont raison, ils risquent plus de détruire que de construire en intervenant.

Une dame de notre connaissance, qui s’entendait parfaitement avec ses nombreuses belles-filles, nous avait dévoilé la clef de ses bonnes relations : « Lorsque je vais chez mes enfants, je suis aveugle, sourde et muette. »

2. A plus forte raison dans votre cas, où vos parents ne sont pas pratiquants et n’ont pas « avalé » votre Techouva et vos choix, il faut absolument les empêcher de pénétrer dans votre intimité. Pour cela, vous devez agir. Soit, en vous éloignant géographiquement de leur lieu d’habitation, soit de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas désirés chez vous. C’est vrai que c’est délicat, et qu’il est pénible d’en arriver à cette situation, mais il n’y a pas de choix, car votre vie passe avant.

Nous avons été témoins de nombreux cas où des parents, qui n’avaient pas accepté la Techouva de leurs enfants, cherchaient par tous les moyens à les détruire moralement et à détruire leur foyer. Ils espéraient ainsi retrouver la relation « normale » qu’ils entretenaient auparavant avec leurs enfants, sans Chabbath, Cacheroute et tout le cérémonial religieux. Pour eux, tous les coups seraient permis, même au risque de provoquer des divorces et autres calamités à leur progéniture.

Dans ces cas là, nous n’avons aucune Mitsva de les écouter et de respecter leur volonté. Au contraire, il faut s’éloigner d’eux, comme ont agi Avraham Avinou ("Lekh Lékha… Mibeth Avikha") et Ya’acov Avinou qui fuit Lavan, ce dernier projetant de détruire toute sa famille.

3. Dans votre cas, Barbara, le Ciel vous envoie une épreuve, car votre mari aurait pu venir d’une famille aisée et cultivée, et dans ce cas, vos parents n’auraient pas eu grand chose à redire.

Mais le Destin en a décidé autrement et vous envoie un défi que vous avez sans aucun doute les forces de relever.

Tout au long de vos propos revient votre appréhension de « Comment vont réagir mes parents ? ». Vous vous trouvez tout le temps en dilemme avec le fait que, d’un côté, vous voulez leur plaire et d’un autre, faire vos vrais choix. Vous n’arrivez pas à trancher et ce problème vous poursuit.

C’est vrai que, de façon générale, nous devons respecter nos parents et ne pas leur causer de la peine, mais la Torah ne nous demande pas d’être paralysés dans nos choix par leur avis. Nos décisions et la direction de notre vie ne doivent être prises que par nous-mêmes, même si nous savons pertinemment qu’ils ne sont pas d’accord, particulièrement dans un choix d’ordre religieux. Dans votre cas, où votre famille refuse de façon absolue votre engagement, de toute façon, vous ne parviendrez jamais à les contenter, quels que soient les efforts que vous ferrez. C’est pourquoi, il est primordial de se détacher totalement de toute volonté de leur plaire : ce n’est qu’après cette mise au point avec vous-même, que vous serez à même d’apprécier votre choix de vie et votre conjoint. Ce n’est pas un challenge facile, mais c’est votre seule issue pour vous construire et trouver le bonheur.

Béhatsla’ha.