Il y a cent ans environ, le ‘Hafets ‘Haim avait émis l’idée que les films avaient été inventés pour aider l’homme à visualiser le jugement divin. Nous donnerons un compte-rendu de nos actions après avoir visionné un « film » de nos méfaits passés. Aujourd’hui, grâce à l’avènement des technologies informatiques, nous pouvons aller plus loin dans l’appréhension des réalités spirituelles invisibles à l’œil nu.

Je ne sais pas si Harry l’a vécu, ou qu’il a juste imaginé tout cet épisode. Quoiqu’il en soit, cette expérience le bouleversa jusqu’à la moelle, et transforma également ma vie. Ni l’un ni l’autre n’avons été les mêmes depuis ce fameux soir.

Cet épisode eut lieu lors d’une soirée orageuse pendant les Jours de Pénitence. Le vent soufflait, le tonnerre grondait et le ciel s’éclairait en raison de la foudre. J’avais une étrange prémonition : quelque chose d’inquiétant était sur le point de se produire, et mon appréhension fut vite confirmée par de petits coups anxieux frappés à la porte d’entrée. J’accourus pour ouvrir la porte : je vis Harry, les cheveux en désordre, la chemise au dehors et un regard hagard.

« Que s’est-il passé ? On dirait que tu viens de voir un fantôme », demandais-je nerveusement.

« C’est plus effrayant, répliqua-t-il. Je viens de traverser le Cha’ar Hachamayim (le Portail du Ciel). » Il se mit alors à me raconter cet incroyable récit.

« Je surfais sur le web depuis huit ou neuf heures lorsque j’entendis un coup de tonnerre. Les lumières s’éteignirent pendant quelques instants, et lorsque l’électricité revint, je vis une nouvelle icône étrange sur l’écran de mon ordinateur. C’était l’image d’une échelle montant vers les cieux, avec des anges montant et descendant. En dessous apparut ce nom fascinant : Cha’ar Hachamayim.

Naturellement, je fus cynique. "Bien sûr. Hachem a un site Internet et emploie Windows 2000." Mais je ne pus contenir ma curiosité et je cliquais avec ma souris sur l’icône.

Trois colonnes apparurent sur l’écran de mon ordinateur : Le Livre de la Vie, le Livre de la Mort et les Indécis. Je pensais : quelle idée sympathique pour les ‘Asséret Yémé Téchouva, et juste pour rigoler, j’inscrivis mon nom dans la colonne de recherche.

A mon grand étonnement, mon nom apparut dans la colonne : INDECIS.

Je fus contrarié de ce qui apparaissait comme une farce, et je bougeais la souris pour double-cliquer sur mon nom. Un nouvel écran s’ouvrit avec un texte étonnant et à glacer le sang…

Harry : Age : 47, Mitsvot : 49,832,562, ‘Avérot : 62,521,724, Statut : Racha’

Tout ceci était très inquiétant, mais j’avais encore du mal à croire à la réalité de la chose. Je fus vite convaincu du contraire. Je cliquai sur les liens hypertexte des Mitsvot et des ‘Avérot, et des entrées infinies apparurent, documentant chaque seconde de ma vie. Sous le choc, je fis défiler lentement le tableau vers le bas, et cliquais au hasard sur un lien où l’on lisait : 12 janvier 1970, 7h30, Mitsvot et ‘Avérot mêlées.

Ce que je vis me stupéfia. Sur mon lecteur multimédia, je vis un playback de tout l’incident. J’avais trente ans de moins et je priais à la Yéchiva. On aurait dit que j’avais beaucoup de Kavana lorsque je me balançais d’avant en arrière en récitant le Chéma’. Puis j’entendis un playback de ma voix à l’intérieur de ma tête :

« Chéma’ Israël, si je gagne à la loterie, que devrais-je acheter en premier ? Hachem Elokénou, une Jaguar ou une Rolls ? Hachem E’had. »

Dans la frénésie, je cliquais sur d’autres entrées. Certaines Mitsvot étaient très impressionnantes, mais les ‘Avérot étaient terriblement embarrassantes. Toute ma vie était enregistrée jusqu’au plus petit détail. J’avais oublié la plupart de ces événements datant de plusieurs années en arrière, mais ils étaient tous là dans les liens hypertexte appropriés.

Comme pour répondre à ces mêmes pensées, un message apparut sur l’écran : « L’œil voit, l’oreille entend, et tous vos actes sont inscrits dans un livre » (Pirké Avot 2, 1).

Je n’avais jamais réalisé que le livre était écrit en HTML !

D’autres pensées troublantes traversèrent mon esprit. Etait-ce un site protégé ? La phrase de conclusion du Roi Salomon à la fin de Kohélet prit une autre dimension : « Enfin, tout est entendu. » Le Targoum (traduction araméenne) le rend ainsi : « Tous les actes accomplis en privé seront rendus publics dans le Monde à venir. » Je tremblais à la pensée de mes amis ouvrant une session dans mon dossier et examinant toute l’histoire de ma vie.

Je tentais de me ressaisir. Reste calme et ne t’inquiète pas, pensais-je. Je suis probablement en bonne compagnie. Mes amis sont certainement sur le même bateau que moi. Cette pensée réconfortante ne dura pas trop longtemps.

J’aperçus une option sur la barre d’outils nommée « classement ». J’ouvris l’écran et je vis que je pouvais apercevoir mon statut en relation avec divers groupes. Pendant des années, j’avais pensé avec complaisance être supérieur sur le plan religieux à la plupart de mes amis. Or, ce que je vis sur l’écran me donna immédiatement un sentiment d’humilité. J’étais au bas de l’échelle, au 23ème centile de mon groupe d’amis, même plus bas si on compare avec d’autres groupes.

J’avais désormais une épée sur ma tête. J’avais toujours supposé que D.ieu m’inscrivait automatiquement dans le Livre de la Vie chaque année, mais je vis alors que je me trouvais dans la colonne des Indécis, et ce, à juste titre. Je pensais à ma famille qui avait besoin de moi et à mes plans potentiels pour l’avenir. J’étais trop jeune pour mourir, et j’avais peur.

J’eus ensuite un éclair de génie. Si ma vie est enregistrée sur un ordinateur, je pourrai employer la touche « effacer » pour effacer tout mon passé sordide. Il me sera ainsi possible de repartir du bon pied et D.ieu déplacera mon nom dans la colonne du « Livre de la Vie ». Rapidement, d’une main tremblante, je pris la souris, surlignais une longue liste d’Avérot, et appuyai sur la touche « effacer » sur mon clavier.

Quelle déception. Un nouveau message apparut : « Fonction illégale. Emploi impropre de la touche "effacer" ».

Désespéré, j’appuyai sur la touche « Aide ». Peut-être un ange allait-il voler à mon secours et m’aider à sortir de cet affreux imbroglio.

Aucun ange n’apparut. Un message succinct apparut sur l’écran : « Afin d’annuler les ‘Avérot, vous devez d’abord exécuter un sous-programme de Téchouva. »

Bien entendu. Quelle simplicité. Comment n’y avais-je pas pensé moi-même ? Je serrai d’abord le poing, puis me frappai la poitrine à plusieurs reprises en récitant le Vidouï : « Ana Hachem, ‘Hatati, Aviti… D.ieu, je suis désolé. » Je pensais que je m’étais tiré d’affaire, lorsqu’un autre message apparut : « Téchouva peu sincère détectée. La touche "annuler" n’est pas opérationnelle. »

J’étais stupéfié, mais je savais que c’était vrai. Il n’était d’aucune utilité de faire semblant devant le tribunal divin.

Je commençais à penser aux millions d’Avérot que j’avais commises. Je savais que je n’étais pas le Gadol Hador (grand de la génération), mais je m’étais imaginé être quelqu’un d’assez bien. Je n’avais jamais réalisé à quelle rapidité les moments de faute s’accumulent, je ne réalisai pas le nombre d’Avérot différentes que j’avais commises chaque jour. Peu à peu, on est obligé d’être réaliste. J’ai été classé comme Racha’ en raison de mes insuffisances et de mes indiscrétions, et il était inutile de renier les faits. J’étais accablé.

Je fus pris d’un sentiment de remords en pensant à ma vie. J’aurais souhaité ne pas perdre mes années et compromis mes valeurs. Je me promis qu’en survivant à cette pagaille, l’avenir serait différent.

Soudain, l’écran de mon ordinateur commença à clignoter et mon lecteur multimédia se mit automatiquement en route en jouant un air joyeux. Un nouveau message apparut sur l’écran : « Le processus de Téchouva a été exécuté avec succès. La touche "effacer" est opérationnelle. »

Je n’en croyais pas mes yeux. Etait-ce si facile d’effacer le passé ? Je saisis la souris et surlignais toutes les fautes que j’avais commises. Il y avait des millions d’entrées, et je les fis défiler à la vitesse de l’éclair. Avec une grande trépidation, j’appuyais à nouveau sur la touche « effacer ». Miraculeusement, toutes les fautes entre l’homme et D.ieu disparurent en un flash (la Téchouva n’est effective pour les fautes entre les hommes que si l’on a demandé pardon à la personne offensée ; je lutte encore avec cet aspect de la question). J’étais un homme nouveau, pouvant repartir du bon pied, et le passé était effacé. Je vérifiais mon statut sur l’écran d’origine et je vis que j’étais désormais un Tsadik inscrit dans le Livre de la Vie.

Bien que j’eusse dû me trouver dans un état d’extase, quelque chose me rongeait. Il est vrai que j’avais éradiqué des millions de moments de crime, mais je me sentais à présent comme un homme sans passé. Toutes ces secondes perdues à tout jamais. Des millions d’opportunités étaient tombées dans l’oubli. Hachem avait été gentil avec moi ; même lorsque j’étais un Racha’, Il avait pourvu à chacun de mes besoins, et j’avais réagi avec ingratitude en agissant de manière destructrice. Je savais que mes ‘Avérot m’avaient éloigné de mon Créateur, et je sentais à présent une envie de me rapprocher d’Hachem, comme un enfant perdu courant dans les bras tendus par ses parents. Mes pensées furent interrompues par une musique et un autre flash sur mon moniteur : « Processus de Téchouva Méahava (par amour) exécuté. Initiation de la conversion des ‘Avérot en Mitsvot. »

Je me souvins ensuite du passage talmudique (Yoma 86b) : Si la Téchouva est motivée par la Ahava (l’amour d’Hachem), toutes les ‘Avérot sont transformées en Mitsvot. Les fautes passées deviennent une force positive dans l’existence de l’individu.

Etait-il possible que ma misérable existence fût sauvée ? Je vérifiai ma colonne de Mitsvot et je vis que j’avais désormais un crédit de 89 364 252 Mitsvot. Quelle aubaine incroyable. Toutes mes ‘Avérot étaient maintenant converties en Mitsvot.

Je n’en revenais pas. Chaque année, dans le passé, les fêtes de Roch Hachana et de Yom Kippour s’étaient déroulées rapidement, offrant chacune une occasion en or que j’avais manqué. Il est vrai qu’à la synagogue, je tentais de faire Téchouva, mais je n’étais jamais vraiment sincère ou authentique. Quelle perte terrible ! J’étais si chanceux d’avoir aperçu la lumière. »

Lorsqu’Harry eut fini de me conter son récit, il devint inexplicablement et extrêmement agité. Il se dirigea soudain vers moi, saisit le revers de ma veste et me secoua. Il hurlait, et au début, je n’arrivais pas à saisir la teneur de ses propos.

- Dis-leur, Yankel, dis-leur, hurla-t-il.

- Leur dire quoi, Harry ?

- Raconte aux gens. Tu es obligé de leur raconter.

- Leur raconter quoi ?

- Dis-leur qu’ils sont fous !

- Pourquoi, Harry ?

- Ils utilisent la touche « effacer » sur leurs ordinateurs, mais ils n’effacent pas ce qui compte vraiment.

Et en un éclair, Harry partit en courant.

- Harry, où vas-tu ?, criais-je derrière lui.

- De retour à Cha’ar Hachamayim.

Il était parti.

J’ai récemment reçu un e-mail d’Harry. Il s’appelle dorénavant Rav ‘Haim et habite dans la vieille ville à côté du Kotel, le vrai Cha’ar Hachamayim que Ya’acov Avinou vit dans son rêve.

Les derniers propos d’Harry résonnent encore à mes oreilles. « Ils utilisent la fonction "effacer" sur leurs ordinateurs, mais ils n’effacent pas ce qui compte vraiment. »

Ce message est puissant, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu vous faire part de cette histoire. Je vous souhaite une Kétiva Ve’hatima Tova à tous. Puissions-nous être tous inscrits dans le Livre de la Vie.

Rabbi Yaakov Luban