Lors de précédents articles, j’ai évoqué mes visites sur les tombes des Tsadikim, nos sages, mais aucune visite sur le continent européen ne peut avoir lieu sans rappeler le souvenir de nos millions de martyrs privés de tombes - assassinés en sanctifiant le Nom de D.ieu. Le sol européen est imbibé de leur sang juif. Mais l’air, les rivières, les mers protestent également.

Lorsque Caïn tua son frère, D.ieu l’appela et lui dit : « Le sang de ton frère s’écrie depuis la terre… » Mais en Europe, le ciel même s’écrie, les cendres de notre peuple flottent dans l’air. Les étendues d’eau - les océans et les rivières s’écrient pour ceux qui ont été jetés dans leurs profondeurs.

L’an dernier, lorsque nous avons visité Budapest, j’expliquai à notre groupe de Hinéni que le Danube bleu n’était plus bleu : il était devenu rouge du sang juif. Là, les Nazis, avec la coopération de la milice hongroise, avaient attaché notre peuple à des chaînes et l’avait jeté dans ses eaux.

Nous étions maintenant à Kiev, une cité réputée pour la cruauté barbare perpétrée contre notre peuple. Nous savions que nous devions nous rendre à Babi Yar, nous avions entendu parler de ce site, et même pour moi, survivante de Bergen Belsen, qui connais bien la Shoah, la sauvagerie satanique de Babi Yar défie l’entendement.

Kiev est tombée aux mains de l’armée allemande en septembre 1941. La population juive dans la ville était d’environ 170 000 personnes et les Nazis avaient une priorité à l’esprit : liquider ces « indésirables », les Juifs.

Les Nazis postèrent des affiches ordonnant aux Juifs de se déclarer en vue d’une « réinstallation ». Ceux qui ne se sont pas présentés ont été chassés, un but facile à atteindre dans une ville où la population locale méprisait les Juifs et était ravie de les voir marcher vers les champs de la mort.

Les Juifs furent conduits vers le ravin de Babi Yar situé à proximité du cimetière juif. Des fils barbelés furent installés d’un côté et gardés par les Sonder commando, les Waffen SS et la police ukrainienne qui était souvent plus vicieuse et brutale que les Nazis. On demanda aux Juifs de remettre toutes leurs possessions, ils furent contraints de retirer tous leurs habits et de s’approcher du ravin par groupe de dix. Lorsqu’ils approchaient du bord, ils étaient abattus par fusil automatique. Ceux qui n’étaient pas blessés mortellement étaient enterrés vivants. A la fin de la journée, les corps furent recouverts par une fine couche de terre, mais la fusillade se poursuivit sans relâche jusqu’à l’assassinat de tous les Juifs.

Vous vous demandez peut-être comment un tel mal pouvait être approuvé par les citoyens locaux. Tragiquement, non seulement cette violence était approuvée, mais les registres indiquent que les bureaux nazis reçurent tant de lettres de la population ukrainienne dénonçant des Juifs cachés qu’ils avaient des difficultés à tenir le rythme par manque de personnel. Babi Yar, comme les autres événements de la Shoah, indique que l’éducation, la culture, la civilisation n’ont aucune valeur, l’homme peut devenir plus vil que l’animal s’il ne révère pas D.ieu et vit selon Ses commandements.

En 1943, l’Armée Rouge avançait, et les Nazis décidèrent qu’il serait prudent d’effacer toute trace de leur sombre massacre. A cet effet, ils formèrent deux groupes spéciaux sous les ordres des SS qui firent venir des prisonniers d’un camp de concentration voisin. On attribua à ces hommes émaciés la besogne macabre d’exhumer tous les corps victimes de Babi Yar et de les incinérer. Les prisonniers étaient logés dans un bunker formé dans le mur du ravin. Ils portaient des chaînes aux pieds, et toute personne qui tombait était immédiatement exécutée par pistolet.
Les tombes furent creusées par des bulldozers et les prisonniers étaient chargés de l’affreuse corvée de tirer les restes des corps pour les incinérer. Certains os résistaient à l’incinération, mais l’ingéniosité des Nazis ne fut pas entravée : ils rapportèrent les tombes du cimetière juif voisin pour écraser les os. Les cendres furent ensuite triées pour y retrouver de l’or ou de l’argent. Les feux du crématoire brûlèrent pendant six semaines et lorsque les Nazis achevèrent leur sinistre besogne, il n’y avait plus de trace de cette tombe collective. Les prisonniers chargés de cette tâche odieuse tentèrent de s’échapper, mais sur les 325 prisonniers, seuls quatorze d’entre eux y parvint et les autres furent exécutés.

Il fallut de longues années après la guerre pour ériger un mémorial à Babi Yar. Le gouvernement et la population préféraient le considérer comme un joli parc - un lieu agréable de pique-nique. De courageux écrivains juifs russes, comme Iliya Ehrenberg, demandèrent l’érection d’un mémorial, mais leur appel ne fut pas entendu. En 1961, le poète Yevtushenko, publia son poème épique, Babi Yar, qui commence ainsi :

« Aucune tombe ne se tient à Babi Yar ;

Seule de la terre froide empilée sur une plaie béante ;

une telle frayeur me saisit… »

Or, il fallut attendre 1966 pour que des artistes soient invités à soumettre des propositions pour un mémorial, et 8 ans de plus pour qu’il soit effectivement construit. Mais ce mémorial est une mascarade, il évoque les « victimes du fascisme » qui y ont été enterrées et aucune mention n’y est faite des Juifs. Enfin, tout récemment, un mémorial dédié aux saints martyrs y a été inauguré par Moché Katsav, le Président d’Israël. Les Nazis et leurs cohortes voulaient effacer le souvenir de notre peuple. Ils étaient déterminés à nous réduire en cendres, mais ils n’ont pas été en mesure de nous faire disparaître. Nous sommes présents, plus que jamais !

En allumant une bougie à leur mémoire, nous prenons l’engagement de vivre pour eux. Chacun d’entre nous, chaque Juif vivant aujourd’hui est un survivant, nous devons prendre ce même engagement : vivre conformément à la Torah, aux Mitsvot et au ‘Hessed, la bonté. N’oublions jamais notre destin divin.