Il y a quelque temps, je me suis promise que si je devrais prendre la parole non loin de la Hongrie, je me rendrais sur les Kéver Avot, les tombes de mes ancêtres et de mon beau-père, que leur souvenir soit une bénédiction. C’étaient tous des géants en Torah, des Rabbanim et des Raché Yéchivot, qui dirigeaient leurs ouailles avec amour et dévouement. Je devais parler en Allemagne, et je m’arrangeai pour passer un jour en Hongrie et en Tchécoslovaquie. Bien que j’ai eu le mérite, à de nombreuses reprises, de me rendre sur les tombes de mes ancêtres en Hongrie, je n’avais jamais eu le privilège de me rendre à Holoso, un shtetl, un petit village juif situé à trois heures de Prague où repose mon ancêtre, remontant jusqu’aux années 1600, le Chakh  - le Gaon Rav Chabtaï Méir Hacohen. C’était un géant en Torah qui diffusa la parole de D.ieu et écrivit de nombreux ouvrages. Parmi son œuvre monumentale : son célèbre commentaire sur le Choul’han Aroukh, étudié jusqu’à aujourd’hui par des érudits en Torah dans le monde entier.

Lorsque mon père avait six ans, mon grand-père, Rav Israël Halévi Jungreis (qui a été tué en Kiddouch Hachem - sanctification du nom Divin - à Auschwitz) l’avait emmené à Holoso pour se rendre sur la tombe du Tsadik. A cette époque, un tel voyage était long et ardu, mais mon grand-père pensait qu’il était important d’y emmener le petit garçon. Arrivé au Kéver (tombe), mon père, en dépit de son jeune âge, pria avec beaucoup d’intensité, et tout en priant, il éclata en sanglots incontrôlés. Ses larmes ne cessaient de couler et il ressentit une terrible tristesse. En assistant à cette scène, mon grand-père bénit son fils : « Par tes pleurs, et les larmes qui sont sorties droit de ton cœur, toi, mon enfant, tu survivras, et tes enfants continueront dans le chemin de la Torah ».

Mon grand-père a dû avoir un pressentiment sur le ‘Horban (destruction) à venir, la terrible Shoah qui se profilait. Et il s’avéra que mon père fut le seul survivant du foyer de mon grand-père. Toute la famille périt à Auschwitz en sanctifiant le Nom de D.ieu. Et moi, après toutes ces années, j’étais en route pour Holoso. Je voulais ressentir la bénédiction donnée à mon père il y a de si longues années, et prier au Kéver de ce Tsadik. La logistique pour se rendre à Holoso et revenir à Prague à temps pour prendre le vol vers Budapest était complexe, en particulier en raison de l’hiver, et, bien entendu, en atterrissant à Prague, il faisait très froid et il neigeait. Je me demandais si nous y parviendrions, car même si nous arrivions jusqu’à Holoso, le cimetière posait problème. Comme la plupart des cimetières d’Europe sont des champs, sans route, le mauvais temps en rend l’accès presque impossible. Mais miraculeusement, en nous approchant des environs du shtetl, le climat changea radicalement. Le soleil se mit à briller et nous parvînmes facilement au Kéver du Tsadik. Je ne peux décrire mes sentiments lorsque, pour la toute première fois, j’arrivai face à face devant la Matséva - la pierre tombale de mon ancêtre qui avait vécu des centaines d’années plus tôt et dont les histoires avaient bercé mon enfance. Pendant un moment, je restai debout, dépassée et sans voix. En me remémorant les larmes de mon père, mes propres larmes commencèrent à couler. Je priai puis ressentis le besoin de me présenter et d’expliquer ma filiation qui me conduisait jusqu’au Chakh. Le temps fila, et il était temps que je reparte. J’aurais aimé rester un peu plus longtemps et regrettai d’avoir prévu si peu de temps pour cette visite.     

Le retour vers Prague se déroula sans incident, et nous prîmes sans problème le vol du soir vers Budapest. Le soleil au rendez-vous à la tombe du Chakh nous accompagna pendant notre séjour en Hongrie, une réelle bénédiction. 

Nous commençâmes par nous rendre à Csece, un minuscule shtetl où reposait mon ancêtre, remontant jusqu’aux années 1700, Rav Chmouël Halévi Jungreis, fils du saint Rav Its’hak Halévi de Pupa et père du célèbre Ménou'hot Ocher, Rav Ocher Anshil Halévi Jungreis, le Tsadik de Csenger. Pour atteindre sa tombe, il fallait frapper à la porte d’un vieux paysan qui reconnut immédiatement le nom Jungreis et nous conduisit au-dessus d’une croûte de glace au fin fond du champ où se trouvait le Ohel, le monument funéraire. De manière remarquable, bien que des siècles se fussent écoulés depuis lors, le Ohel de Rav Chmouël était toujours intact, imprégné d’honneur et de dignité.

Mon père nous relatait souvent l’attention toute particulière portée par Rav Chmouël à l’étude de la Torah de son fils. Le soir de sa Bar Mitsva, le jeune Ocher Anshil fit un rêve. Dans ce rêve, il se trouvait seul au milieu d’une synagogue, et soudain, quatre étrangers apparurent aux quatre coins de la salle. Instantanément, il les reconnut. C’étaient les patriarches, Avraham, Its’hak et Ya'acov et le prophète Elie. Submergé par ce qu’il vit, il commença à trembler. Qui devait-il accueillir en premier ? Mais, tout en réfléchissant aux options qui s’offraient à lui, il se remémora l’enseignement : « Heureux est celui qui voit Elie dans ses rêves et le salue et est salué par le prophète en retour… ».

Immédiatement, le dilemme d’Ocher Anshil fut résolu. Il accueillerait d’abord le prophète Elie, puis les patriarches. Au réveil, il relata son rêve à son père, Rabbi Chmouël, qui, sans délai, le conduisit au Mikvé puis passa toute la journée avec lui. A compter de ce jour-là, le jeune Ocher Anshil se distingua par son étude, était méticuleux dans sa conduite et se distinguait par le ‘Hessed (bonté) qu’il prodiguait.

De Csece, nous continuâmes vers Gyongyos, le lieu de sépulture de mon beau-père, un célèbre Gaon (géant), réputé pour son ouvrage, le Zakhor Véchamor. Il était né un Chabbath et mort le Chabbath précédant l’année de notre déportation. Dans son ouvrage, il explique comment chaque Paracha est reliée au Chabbath. Une seule copie survécut aux flammes et a été miraculeusement retrouvée il y a de nombreuses années par un membre de la communauté qui se trouvait en Hongrie pour ses affaires. Grâce à D.ieu, nous avons depuis eu le privilège de réimprimer son livre.

De Gyogyos, nous avons continué jusqu’à Tisza-Fured, où mon ancêtre, Moché Nossen Notte Halévi Jungreis repose. Il était connu pour être un grand auteur de prodiges, dont les prières apportaient d’extraordinaires bénédictions à son peuple. Là aussi, nous avons dû traverser un grand champ pour atteindre le Ohel, et, grâce à D.ieu, nous avons trouvé tout intact.

De là, nous avons pris la route pour Csenger (proche de la frontière roumaine), où nous avons aussi eu le privilège de prier sur la tombe du célèbre Ménou'hot Ocher, le Rav Ocher Anshil Halévi Jungreis, célèbre pour ses délivrances, les guérisons miraculeuses et les bénédictions qu’il donnait à tous les visiteurs venus demander son aide. Les histoires à son propos font légion. Sa sainteté et sa piété ne connaissaient pas de limites. Chaque matin, avant la prière, il envoyait en Israël dix-huit guilden, une somme énorme à l’époque, pour construire et entretenir les communautés de Torah. Pendant cinquante ans, Rav Ocher Anshil a enseigné la Torah au peuple juif. Il a formé d’innombrables disciples qui sont tous devenus des Rabbanim, des Talmidé ‘Hakhamim et des Raché Yéchivot. Il a publié de nombreux ouvrages, dont le Menou’hat Ocher, qui est si exceptionnel que c’est une Ségoula de le posséder dans sa bibliothèque. L’auteur du Béer Chmouël ne déplaçait jamais le livre de son bureau, le considérant comme une bénédiction pour tout le foyer. Mais surtout, le Rav Ocher Anshil était connu pour ses pouvoirs miraculeux de guérison. Cette faculté lui a été conférée par le prophète Eliyahou en personne, qui lui rendit visite à Csenger et lui enseigna l’art de soigner les autres. Il recevait des visiteurs de partout et aidait chacun d’entre eux. Son humilité, sa gentillesse et son amour étaient sans pareil et il consacra toute sa vie au service de son peuple bien-aimé. Le jour de son décès, le 5 Kislev, il étudiait un passage du Talmud sur Moché Rabbénou qui était monté dans le ciel pour accepter la Torah, et il vit D.ieu placer les couronnes sur les lettres de Séfer Torah. Après avoir enseigné ce passage, il récita le Chéma' du coucher, se coucha puis rendit son âme pure à son Créateur. Ses enfants suivirent tous ses traces et devinrent d’éminents Rabbanim et Raché Yéchivot qui dirigèrent le peuple avec amour et dévouement.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous révèle toutes ces histoires. La réponse est simple. Je pense que nous vivons grâce au Zékhout Avot, le mérite de nos ancêtres. Leur droiture, leur ‘Hessed, leur bonté et leur Torah nous soutiennent et intercèdent en notre faveur devant le trône céleste d'Hachem. En cette période difficile, nous avons plus que jamais besoin de leurs mérites. Puissent leurs actions vertueuses, leur Torah et leurs Mitsvot nous accompagner constamment.