J’écris cet article alors que nous lisons la Paracha Chla’h, la section qui nous rappelle les conséquences tragiques pouvant résulter de propos médisant sur la terre d’Israël. En examinant de près le texte, il est évident que les rapports accablants des explorateurs n’étaient pas dénués de tout fondement. Ils contenaient une bonne part de vérité. Il y avait effectivement des géants sur la terre et d’autres énormes enjeux…en réalité, Yéhochoua et Kalev, deux fidèles explorateurs, n’ont jamais remis ceci en question. Ils ont néanmoins souligné que la terre était bonne, une terre où coule le lait et le miel, et qu’il ne fallait nullement craindre les Cananéens, qui ne constituaient pas d’obstacle au peuple juif. « Ils seront notre pain… » assurèrent-ils au peuple, à savoir que tout comme D.ieu les avait nourris avec du pain sous forme de manne, là aussi, D.ieu continuerait à faire des miracles pour eux et leurs ennemis tomberont entre leurs mains, comme la manne du ciel. 

D’où Kalev avait-il une Emouna si forte ? La Torah atteste que contrairement aux autres, il s’était rendu à Hévron pour prier sur les tombes de nos Patriarches et Matriarches, et cette expérience avait instillé en lui beaucoup de force et de confiance. Kalev comprit que c’était par le mérite de nos ancêtres que D.ieu avait promis la terre en héritage éternel, et si le peuple le désirait, ce mérite les soutiendrait. Il leur suffisait d’y adhérer.

Tout cet épisode s’est déroulé il y a des milliers d’années, mais en réalité, il pourrait avoir lieu aujourd’hui. La terre demeure un véritable défi - remplacez les « géants effrayants » par les « terroristes » et il devient clair qu’au fil des millénaires, rien n’a beaucoup changé. Mais si nous nous inspirions de Kalev, nous verrions qu’il n’y a rien à craindre. Nous découvrons le pouvoir d’une vie bâtie sur les piliers de la Torah et des Mitsvot, le pouvoir de la prière sur les tombes de nos patriarches et matriarches.

A chacun de mes voyages en Erets Israël, je me fais un point d’honneur d’aller à ‘Hévron, et ma dernière visite, il y a quelques semaines, n’a pas été une exception. Je me trouvais à Jérusalem pour des programmes du centre Hinéni et pour présenter la traduction en russe de mon ouvrage, Une vie engagée à de nombreux Juifs immigrants d’origine russe.

Alors que je m’apprêtais à partir pour ‘Hévron, on me demanda : « N’avez-vous pas peur d’aller là-bas ? »

« J’aurais peur de me rendre en Erets Israël et de ne pas m’y rendre, répondis-je. »

Nous prîmes néanmoins nos précautions et voyageâmes dans un véhicule blindé, mais avec tout ça, aucun lieu n’est sûr, aucune région du monde n’est à l’abri du danger des attentats terroristes islamistes. Ceci dit, même des véhicules blindés ne peuvent convaincre les gens d’y aller. Nous avons trouvé le Caveau des Patriarches tristement vide, privé de visiteurs.

L’étymologie du terme Hébron est le verbe « Likhbor-relier », car ‘Hévron est un lieu où nous nous lions aux Patriarches et Matriarches qui y sont enterrés. C’est un lieu où le passé, le présent et le futur fusionnent. Hévron, disent nos Sages, est le cœur même d’Israël. Hébron a été la première capitale du roi David, et à l’époque du Beth Hamikdach, ce n’est que lorsque le soleil se levait sur ‘Hévron que les prières pouvaient commencer à Jérusalem.  

Lorsque je pense à ‘Hévron, j’entends la voix de mon époux, Rav Méchoulam Halévi Jungreis, rappelé au Ciel il y a presque huit ans. Je n’oublierai jamais ce jeudi après-midi où il a été chez le médecin pour une visite de routine. Le médecin lui a donné de sombres nouvelles : il avait trouvé une tumeur suspicieuse. Le lendemain matin, veille de Chabbath, nous étions dans le bureau du chirurgien, qui recommanda à mon mari de se rendre immédiatement à l’hôpital pour l’opération. « Dans tous les cas, vous n’allez pas opérer Chabbath », répondit mon mari, « alors pourquoi perturber ce Chabbath ? Je vais rentrer à la maison et je reviens Motsaé Chabbath, samedi soir. »

Le médecin accepta, à condition que mon mari s’abstienne de manger pour qu’il puisse procéder à l’opération sans délai.

Je demandai à mes enfants de venir tous passer le Chabbath avec nous. Dois-je vous décrire le Chabbath que nous passâmes ? Nous tentâmes de faire comme si tout allait bien, mais toutes les quelques minutes, quelqu’un craquait et quittait la table pour pleurer dans son coin. Quant à sa communauté, mon mari ne voulait pas les attrister le Chabbath, donc personne ne fut mis au courant de la situation.

Généralement, le discours de mon mari le Chabbath matin à la synagogue ne dépassait pas dix minutes, mais cette fois-ci, il prit la parole pendant près d’une demi-heure. Il parla de tout son cœur et son âme, et le sujet qu’il évoqua était le pouvoir de la prière à ‘Hévron. Ce fut sa dernière Dracha avant d’entrer à l’hôpital.  

Mon mari n’oublia jamais ‘Hévron. Ses visiteurs l’entendirent parler de cette ville sainte à de nombreuses reprises. Parmi ses visiteurs, se trouvait une femme mondaine de Manhattan et son mari. Elle enregistra le message de ‘Hévron et le grava dans son cœur.
Quelques années après le décès de mon mari, j’organisai une visite guidée en Erets Israël. Cette dame se joignit à notre groupe, et à la fin du voyage, elle resta en Israël pour pouvoir faire du bénévolat à ‘Hévron. Cette dame mondaine de Manhattan vécut chez une famille typique de ‘Hévron et était fort heureuse de leur offrir ses services. Elle fut stupéfiée de voir tant d’enfants vire en harmonie dans un minuscule appartement. Insensibles à leur pauvreté, ils se contentaient des nécessités de base, mais accueillaient chaque jour avec joie et enthousiasme.

Elle aima tous les aspects de son séjour, et me confia que le plus exaltant avait été ses visites quotidiennes au Caveau des Patriarches, le pouvoir de la prière sur le site où sont inhumés nos Patriarches et Matriarches.
Il y a de longues années, j’avais interviewé Yossef Mendelevitch - un prisonnier de conscience russe. « Dites-moi, lui avais-je demandé, lorsque vous étiez en cellule d’isolement en Sibérie, avez-vous parfois rêvé de liberté ? »

« Tout le temps », me répondit-il.

« Avez-vous pensé à la première chose que vous feriez en recevant ce précieux don, la liberté ? »

« Oh, oui ! » répondit-il immédiatement.

« Pourriez-vous partager vos rêves avec notre audience ? »

Pendant quelques instants, il hésita. Je me demandai ce qu’il dirait, peut-être un bon repas, une bonne douche chaude, ou une promenade le long de la plage. Mais Mendelevitch ne mentionna aucune de ces options.

Au lieu de cela, il déclara qu’il rêvait d’aller prier sur les tombes des patriarches et matriarches à ‘Hévron.

Quelle douloureuse ironie qu’aujourd’hui, nous pouvons tous prier à ‘Hévron, mais que le Caveau des Patriarches reste privé de visiteurs…