Dans une série de plusieurs articles, nous voudrions ouvrir un dossier douloureux qui est celui d’adolescents et d’adolescentes de familles pratiquantes en « ballotage ». Ce problème touche de nombreuses familles et a des implications graves sur la fratrie, les parents, mais surtout sur le jeune lui-même qui se déconnecte de son environnement. 

Le monde dit : « Il faut bien que jeunesse se passe », et nous, nous disons : « Il faut que jeunesse se passe bien ».

Nous apporterons des témoignages de jeunes, leur ressenti, ce qui a provoqué leur sortie des cadres scolaires vers « l’extérieur » et les réponses de spécialistes dans le domaine de l’éducation. 

Nous verrons, à travers les témoignages, que ce n’est pas toujours les mauvaises fréquentations ou l’exposition aux iPhone qui ont provoqué la dégringolade, mais, parfois, un problème latent et négligé, comme les troubles de l’apprentissage, de l’hyperactivité, ou un relationnel avec les parents défaillant. 

Peut-on prévoir, anticiper, remédier à ces difficultés ? 

Se créent aujourd’hui des organismes en Israël qui réunissent sous le même toit les services les plus adaptés pour essayer de recadrer cette jeunesse en déroute. Ils proposent les « premiers soins », du repêchage de la rue jusqu’à l'insertion dans des structures adaptées où ils pourront suivre des formations professionnelles et se construire un avenir, ceci entourés d’une équipe de Rabbanim, d’éducateurs et de tuteurs ('Honekhim) formés à ces problèmes. 

Nous parlerons dans le prochain volet du dossier de l’un de ces centres, “Binou”, et décrirons ses activités pour la jeunesse en Israël, toutes tendances socio-économiques religieuses confondues.

Ecoutons le témoignage poignant d’un jeune, qui, à travers son monologue, dévoile exactement où le bât a blessé :

Yossef ‘Haïm T., 16 ans

“Il y a déjà six mois que je ne suis plus dans un cadre. Je dors la journée, et je vadrouille la nuit. Je ne parle plus avec mes parents depuis quatre mois. Depuis qu’ils m’ont dit qu’ils n’ont pas l’intention de payer pour mon nouvel iPhone. Nos relations depuis deux ans sont avec des hauts et des bas. Difficile ? Plus trop. Au début, ça me faisait mal. Là, je me suis habitué.

Autrefois, avant que tout ne commence, j’avais de bonnes relations avec ma mère. Elle s’énervait un peu sur moi lorsque je ne remplissais pas les tâches qu’elle me donnait. Ça criait un peu, mais, en gros, on s’aimait bien et ça passait.

Mon père, lui, ne m’a jamais compris. On est sur deux planètes. Il a toujours mis la barre très haute pour moi, avec une bonne dose de critique sur mon comportement et même sur ma personne, depuis petit. Dans tous les domaines, scolaires bien sûr, mais également religieux, il faut que ce soit comme il veut. Un truc bête, mais significatif, c'est qu’il voulait, quand j’étais plus jeune, que je me lève tôt le Chabbath pour aller avec lui au premier Minyan à 7h. Moi, je voulais aller à l’autre, plus tard. Ça faisait des disputes et il me réveillait de force. Après, il a laissé tomber, mais chaque fois qu’il en avait l’occasion, il me lançait une pique. C’était très blessant, devant mes frères et sœurs, et des fois des invités.

Mes résultats scolaires étaient très moyens et je sentais la déception de mon père.

Je ne sais pas si c’est l’ambiance à la maison qui m'empêchait de me concentrer et de réussir, le manque de considération, ou si j’avais vraiment un problème de me focuser sur les études. En tout cas, j’étais dans le cercle vicieux des résultats moyens qui engendraient zéro appréciation de l’entourage, et vice versa. Le temps en classe passait trop lentement, j'avais faim, soif, je voulais sortir, j’avais des épines là où... on s’assied, et lorsqu’enfin les cours étaient terminés, je m’éjectais de ma chaise comme un bouchon d’une bouteille de Coca qu’on aurait secoué pendant deux heures.

Ma “bande”, mes potes, je les ai connus un Chabbath, après un repas où mon père m’avait fait une remarque désobligeante. J’ai pris une poignée de pépites et je suis sorti. J’ai marché dans l’air frais. Ça m'a fait du bien. Ils étaient assis aux confins du quartier, sur un banc, et on a tout de suite sympathisé. Aujourd’hui, je partage une petite piaule avec trois d’entre eux. On vit au jour le jour, ce n’est pas toujours le Pérou, mais on s’encourage. Les études bye, et la religion aussi. Mais, au moins, je suis libre d’être moi-même. Et j’ai de vrais amis qui ne me jugent jamais et me prennent comme je suis.”

Nous avons demandé à un spécialiste du Centre Binou pour adolescents et adolescentes en Israël en difficulté (nous présenterons l’organisme dans l’article à venir) de nous donner des conseils de premiers secours pour un cas comme celui de Yossef ‘Haïm.

“Lorsqu’un jeune en est arrivé là et a déjà été éjecté de tout son environnement, c’est compliqué. Nous envoyons nos “hommes” dans les endroits qu’ils fréquentent pour essayer de les repêcher. On essaye de transposer leurs soirées et tout ce qu’ils aiment dans le licite. On organise la même chose, mais dans le permis, avec des encadreurs qui comprennent la tête de ces jeunes.

Après, on peut proposer ça et là un cours de Torah, sans rien imposer, par des Rabbanim qui connaissent le public, mais pas plus. Tout se fait à leur rythme, sans forcer sur rien. Ils sont entourés par nos tuteurs, qui savent donner chaleur et compréhension, qui ont l’écoute et la tolérance nécessaires.

Parallèlement, on est en contact avec les parents, pour voir dans quelle mesure, dans une perspective de temps, le jeune pourra revenir à la maison ; il faudra préparer le terrain, en prenant en compte la complexité des éléments.

Mais les résultats sont très encourageants et c’est notre plus grande satisfaction de voir un jeune revenir chez lui, dans toute l’acceptation du terme.