Le Jour J est arrivé ! Je somnole encore lorsque j’entends mon téléphone sonner vers 7 heures du matin. Je décroche machinalement et j’entends au bout du fil :

-Emma, c’est Tata Perla ! Tu dors encore ? Tu as oublié que tu te maries aujourd’hui ?

-Euh, justement, je n’ai pas oublié… Je suis justement en train de prendre des forces pour attaquer la journée.

-Dis-moi, c’est vrai que tu m’as mise à la table de Fortunée Sarfati ? Tu sais bien que je suis froissée avec elle depuis 20 ans ! Ce n’est pas très adroit de ta part !

-Désolée, je n’y avais pas pensé, je vais voir ce que je peux faire…

A peine ai-je le temps de reprendre mes esprits, que de nouveau le téléphone sonne : c’est la maquilleuse : “Bonjour Emma, n’oublie pas que nous avons convenu à 9:00 précises. Ne sois pas en retard car j’ai beaucoup de travail aujourd’hui et je ne peux pas empiéter sur mon emploi du temps si serré”. Je sens la pression monter, mais je répondis calmement : “Ne vous faîtes pas de soucis, je tâcherai d’être à l’heure…”

Puis, je reçois une alerte sur mon téléphone : cette fois-ci, c’était la décoratrice qui m’envoyait des photos de la salle déjà toute prête et décorée avec le message suivant : “Tout est prêt pour le Jour J, j’ai pris l’initiative de changer la couleur des nappes : le fuchsia ira à ravir”. Fuchsia ?? Mais ce n’est pas du tout ce que j’avais décidé ! Elle a du toupet de changer sans me demander mon avis.

Enfin, le coup de grâce fut l’entrée soudaine de mon père dans la chambre ! “Qu’est-ce que j’apprends ? Ta mère vient de me dire que vous avez décidé que les danses de la soirée seront séparées ? Tu sais que ces choses-là n’ont jamais existé chez nous au Maroc ! C’est une nouvelle invention des rabbins. Même mon grand-père qui était très religieux n’a jamais accepté ce genre de choses. Et puis, que vont dire nos amis ? Cela va jaser autour de nous ! Il est hors de question que j’accepte cela !”

Je sentais les larmes monter en moi. Benjamin et moi, en effet, avions décidé, par égard pour Hanna et son mari, ainsi que quelques personnes religieuses, comme ma Tante et mes cousins qui faisaient spécialement le déplacement depuis Aix-les-Bains, de séparer les danses afin de leur permettre de profiter eux aussi de la soirée. De plus, Hanna et son mari nous avaient également sensibilisés au fait que c’était la meilleure façon de commencer notre vie de couple dans les meilleures conditions, dans les voies de la sainteté et de la pureté.

J’étais désemparée. Ce qui devait être le plus beau jour de ma vie prenait la tournure d’un véritable cauchemar.

J’hésitais à appeler mes amies, mais, finalement, mon intuition me poussa à composer le numéro de Hanna : “Bonjour à la plus ravissante Kala ! ” Son enthousiasme, faisant contraste avec toutes les agressions de ma matinée, me fit monter les larmes aux yeux. Je lui fis part de tout ce qui n’allait pas : la Tante Perla qui se plaignait de son placement de table, la maquilleuse qui me mettait la pression, la couleur des nappes qui n’était pas du tout à mon goût, et, le pire de tout, le refus total de mon père au sujet des danses séparées.
 

“Mettons un peu d’ordre dans tout cela, me répondit-elle, sais-tu qu’aujourd’hui tu es comme une Reine ? Tu es la Reine d’Hachem ! Imagines-tu un seul instant la maquilleuse de la Reine d’Angleterre s’adresser à elle de la façon dont ta maquilleuse s’est adressée à toi ? Au contraire, c’est elle qui doit se sentir honorée de prendre soin de toi aujourd’hui. Ne te laisse pas impressionner, sois tranquille, et si elle est en retard, elle s’arrangera.

La tante contrariée par le placement de table ? Rien de plus classique, je te rassure… Ceci dit, écoute bien ce principe : il y a une Mitsva pour les invités de réjouir les mariés; mais il n’y a pas de Mitsva pour les mariés de réjouir les invités. Donc, si elle n’est pas contente, elle devra garder son ressenti pour elle et tu ne dois surtout pas t’émouvoir ni te culpabiliser ! Car ce n’est pas toi qui dois rendre heureux les autres aujourd’hui : c’est toi que l’on doit rendre heureuse !

Quant à la couleur de nappes, c’est certes une mauvaise surprise, mais crois-tu vraiment que tu t’en souviendras dans 10 ans ? Aujourd’hui est un jour spécial avec une grande portée spirituelle pour toi et ton fiancé, pas moins élevé que le jour de Yom Kippour ! Tu dois prier, prendre des ressources, te connecter avec D.ieu et avec ta famille, et surtout te préparer à mettre la première pierre à l’édifice le plus important du monde : ton foyer juif !

Ne t’en fais pas, c’est classique : c’est encore une ruse de notre ami le Yétser Hara’ ! Vu qu’il ne veut pas que tu te concentres sur ta mission essentielle de la journée, il détourne ton attention avec un tas d’imprévus. Sache passer outre. Surtout n’oublie pas de dire à tes parents à quel point tu es reconnaissante de t’avoir accompagné jusqu’ici et de t’avoir permis de devenir une jeune femme juive dans toute sa splendeur. Remercie ton Créateur et demande Lui qu’Il vous donne toutes les ressources matérielles et spirituelles pour réussir votre mission dans ce monde. Et le plus important de tout : n’oublie pas de dire à ton ‘Hatan que tu l’aimes et à quel point tu es heureuse que vos âmes s’unissent en ce jour.

Enfin, pour la séparation des danses, c’est embêtant… mais je te conseille de garder votre bonne résolution au moins pour le début de la soirée, et de voir par la suite. Vos intentions sont tellement pures, que je suis sûre qu’avec l’aide d’Hachem il y aura un bon dénouement !”
 

J’étais aux antipodes de ce que j'avais toujours pensé. Pour moi, le mariage s’apparentait à une suite de réjouissances sans relâche, je n’avais jamais songé à l’idée que le mariage ressemblait à Kippour ! Quoi qu’il en soit, grâce à ces paroles douces et emprunts de sagesse, je me sentais apaisée et renforcée. Je m’apprêtais donc à entamer le Grand Jour du bon pied.

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