Après les cours et de longs entretiens avec le Rabbin et son épouse Hanna (cf. 1er épisode), nous avions donc décidé Benjamin et moi de prendre sur nous la Mitsva de la pureté familiale. J’étais donc toute excitée à l’idée de découvrir, la veille de mon mariage, ce fameux bassin divin qu’est le Mikvé, comme le veut la loi juive.

 

Je souhaitais que cette expérience soit une expérience intime et profonde, et je décidais donc d’y aller seule avec pour unique accompagnatrice celle qui m’a mise au monde et à qui je dois tout : ma mère. J’appelais donc ma belle-mère pour lui expliquer qu’à l’occasion de mon premier Mikvé je désirais être en cercle restreint. Elle fit mine de comprendre et raccrocha poliment.

 

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque, le soir, mon fiancé m’appela et m’annonça que sa mère était très vexée que je ne l’invite pas au Mikvé. Même plus que ça, elle aurait souhaité inviter toute la famille : les tantes, les grands-mères, les cousines, car c’est la coutume ! Elle avait même déjà préparé des corbeilles à distribuer aux jeunes filles et avait prévu de déguiser une poule, comme le veut la tradition !

“Déguiser une poule”, avais-je bien entendu ?!

 

Je ne savais que répondre et j’étais assez perplexe, je trouve qu’elle ne manquait pas d’aplomb ! Je raccrochais et j’envoyais donc un message whatsapp à mon groupe de copines pour leur raconter l’affront auquel je faisais face. Je réclamais de l’intimité pour cette soirée que je considérais si spéciale, et on m’imposait d’inviter du beau-monde, et de faire du folklore !

 

Mes amies ont tout de suite répondu à mon message en me soutenant ardemment : “ta belle-mère manque de délicatesse”, “ne te laisse pas marcher sur les pieds”, “c’est ton moment et non pas le sien, tu ne lui dois rien” furent quelques-uns de tous les messages de soutien que je reçus !

 

Je me sentais enfin comprise : décidément, mes amies me comprenaient mieux que mon propre fiancé.

 

Enfin, c’est ce que je pensais… car je ne me sentais pas parfaitement en accord avec ce que je venais de faire et une petite voix en moi me soufflait que je n’avais pas complètement raison. Mais à qui demander ? Je ne souhaitais pas raconter cet épisode à ma mère car je risquais de créer de la rancoeur entre elles.

 

Je me décidais donc à appeler Hanna, la rabbanite qui m’avait formée pour le mariage. Je sentais qu’elle aurait le recul et la sagesse nécessaires pour m’orienter de la façon la plus adéquate.

 

“Allo ? C’est moi Emilie, vous auriez quelques minutes ?”

 

“J’ai tout mon temps pour t’écouter…”

 

Je racontais toute l’histoire, elle m’écouta patiemment et me répondit posément :

 

“Emilie, tu dis que tu souhaites n’inviter que ta Maman car elle est la seule personne à qui tu dois tout. Mais n’y a-t-il pas une autre personne à qui tu dois tout ?”

 

“Euh… mon père ?”

 

“Effectivement, ton père aussi, mais je ne parle pas de lui. Je parle de celle qui a donné naissance à ton ‘Hatan, qui l’a nourri, vêtit, cajolé, lui a prodigué tous les bienfaits jusqu’à aujourd’hui. Celle qui se réveillait la nuit pour le rassurer lorsqu’il pleurait petit, qui plus tard lui donnait un goûter à la sortie de l’école, qui lui a donné toute son estime de soi, et enfin l’a accompagné toute l’adolescence pour qu’il devienne un jeune homme équilibré et aimant, celui que tu connais aujourd’hui.

 

Te rends-tu compte que ta belle-mère a investi autant et t’a préparé le plus beau cadeau que tu n’aies jamais reçu ? Aujourd’hui, elle doit, certes, petit-à-petit apprendre à se mettre en retrait pour vous laisser créer votre petit nid familial à tous les deux, mais ce n’est pas pour autant que tu dois effacer toute ta reconnaissance !”

 

Elle avait réussi à me mettre les larmes aux yeux : c’est vrai qu’après tout, c’était grâce à elle que Benjamin existait et je n’avais jamais envisagé les choses sous cet angle-là. Lentement, l’idée de reconnaissance et de respect pour ma belle-mère faisait son chemin dans mon esprit. Et c’est ainsi que je me décidais donc à l’appeler pour l’inviter et je concédais même à accepter tout son folklore traditionnel…

 

Je réalisais également que mes amies avaient voulu bien faire en me soutenant, mais, en vérité, elles avaient mis du feu au poudre plutôt que de m’aider à relativiser. La prochaine fois que j’ai une question qui concerne mon couple, j’y réfléchirai à deux fois avant d’interroger mes amies par whatsapp !

 

Le soir de mon Mikvé arriva, et j’arrivais donc dans cet endroit qui s’apparentait à un spa digne des plus grands hôtels. Je fus accueillie par la Balanite, la responsable du Mikvé, avec le plus grand sourire et un regard bienveillant : “Bienvenue et Mazal Tov pour ta première immersion, la première étape en tant que femme juive au sein du Peuple d’Israël.”

 

La veille, j’avais été assez nerveuse à l’idée qu’il y ait autant de monde, mais je me suis sentie apaisée par cet accueil, et, au-delà de tout, je me sentais heureuse d’avoir mis un peu d’eau dans mon vin au nom du Chalom (paix) et de la reconnaissance qui s’imposait tout naturellement en moi pour ma belle-mère.

 

Au final, je dois avouer que j’ai même ressenti du plaisir à voir toutes ces jeunes filles et femmes plus âgées de 7 à 77 ans se réjouir pour ce moment grandiose. Les sourires, les éclats de rire, et les youyous furent les meilleurs souvenirs que j’en garde. Finalement, ce que j’appelais folklore n’était autre que l’expression de l’immense joie que toutes ces personnes ressentaient pour moi ! Et cette joie qu’elle me communiquait était indicible !

 

Le point d’orgue fut lorsque je pénétrais réellement dans la salle du Mikvé, seule cette fois-ci. Ou plutôt pas vraiment seule, puisque, dès que je pénétrais dans le bassin, je ressentis la Présence Divine m’entourer. La responsable du Mikvé m’expliqua que je vivais un moment hors du temps et même hors de l’espace. En effet, le Mikvé, qui rassemblait les eaux du ciel sans intervention humaine ni même matérielle, est l’unique endroit au monde faisant la connexion directe entre le Ciel et la Terre, entre la femme et le Créateur.

 

Pénétrer dans ces eaux chaudes me fit ressentir tel un foetus dans le ventre de sa mère, et me donna l’impression de renaître à nouveau. Je récitais la Brakha “Baroukh Ata Ado-nay Elo-hénou Mélèkh Ha’olam Achèr Kidéchanou Bémitsvotav Vétsivanou ‘Al Hatevila” “Béni sois-Tu Eternel Roi de l’Univers qui nous a sanctifié par Ses commandements et nous a ordonné la Mitsva de l’immersion rituelle”.

 

Je ressortais en essuyant mes larmes toute heureuse de goûter à ce moment si privilégié pour une femme : celui de l’immersion rituelle dans un Mikvé ou la sensation que Dieu Lui-même me serre dans Ses bras.