On m’avait toujours dit que j’avais le sens de l’humour et c’est vrai que je trouve toujours une occasion de provoquer les rires… Jusqu’à ce que je réalise un jour que même les meilleures plaisanteries peuvent provoquer des dégâts… jusque dans mon foyer !

Blagues et bonne humeur

Nous avions attendu depuis plusieurs semaines cette belle et longue journée. Tout le monde sans exception avait fait le déplacement pour venir célébrer les 85 ans de notre mamie chérie. Ce qu’elle souhaitait le plus pour son anniversaire, c’était d’être entourée de toute sa famille.

L’humeur est au beau fixe et pendant que les enfants jouent en hurlant à pleins poumons dans le jardin, les adultes profitent du buffet royal qui est dressé fièrement dans le salon.

Pendant que je dépose un plateau de fruits sur une des tables, j’entends près de moi les cousins qui rigolent de leurs mésaventures avec les régimes en tout genre.

Chacun raconte son échec personnel, c’est l’hilarité totale et j’ai moi aussi envie d’y prendre part !

D’un coup, ça me fait penser à une histoire avec mon mari et je leur dis : “Il faut voir quand Jonathan essaie de faire un régime ! Pendant 3 jours, c’est la guerre au gluten et on doit tous croquer des carottes en famille… Avant que je le retrouve planqué dans le garage en train de dévorer la tablette de chocolat des enfants ! Et le pire, c’est qu’il me dit qu’il bricole alors qu’il a du chocolat tout autour de la bouche ! Et après on se demande pourquoi le poids sur la balance ne baisse pas !”

On se met tous à rire… mais qu’est-ce qu’on rit ! Certains en ont même les larmes aux yeux. Quel bon moment ! Je regarde mon mari, lui ne rit pas, il a le visage fermé. Il n’a sûrement pas fait attention à mon histoire.

Et puis rapidement, le sujet de conversation change. On passe tous une journée joyeuse, entre les petits plats et les blagues de chacun.

Enfin… c’est ce que je crois.

Un peu plus tard dans l’après-midi, je me porte volontaire pour faire la vaisselle et je me retrouve dans la cuisine. Ma tante Liza vient me rejoindre… Je suis contente d’avoir un peu d’aide ! Sauf que ce n’est pas celle à laquelle je m’attendais...

“Eva, je t’ai entendue tout à l’heure te moquer de ton mari devant tout le monde, tu sais… ce n’est pas un sujet sur lequel on plaisante.

- Mais enfin ! Il n’y a rien de grave, nous étions juste en train de rire tous ensemble et c’est connu que Jonathan est gourmand et que c’est dur pour lui de faire un régime. C’était pour rire !

- Tu es sûre ? Tu penses qu’il n’a pas été blessé au fond de lui par le fait que sa femme se moque de lui devant tout le monde ? Tu as donc oublié que c’est un interdit grave de la Torah d’humilier en public !

- Tu dramatises Liza ! Ce n’était que de l’humour...

- Tu penses que je dramatise ? Pourquoi crois-tu que ton oncle Simon et moi avons divorcé quand tu étais petite ?”

Un mariage mis en danger

Alors là... Je suis sonnée. Jamais ma tante Liza n’avait parlé de son divorce. Et si grâce à D.ieu, quelques années plus tard, elle et tonton Simon s’étaient remariés, personne dans la famille n’avait jamais plus évoqué cette période. Vu la tête que j’affiche, Liza comprend que je suis plus qu'attentive à présent pour l’écouter et elle se confie avec beaucoup de sincérité :

“Tu sais, quand j’étais jeune, j’étais toujours le clown de service, toujours à rire. Et c’est une des choses que ton oncle avait apprécié chez moi. Mais j’étais ignorante, je n’avais pas réalisé qu’il y a des limites à ce qu’on peut dire, surtout quand il s’agit de son conjoint.

Tu sais que c’est considéré comme du Lachone Hara' - des mauvaises paroles ? Même si c’est ‘juste pour rire’, les conséquences sont les mêmes et la faute que l’on commet est aussi grande ! Et moi, malheureusement je l’ai appris de la manière la plus dure qui soit, parce que c’était tellement blessant pour ton oncle Simon qui se sentait humilié devant les autres… Jusqu’au jour où il n’a plus été possible de réparer quoi que ce soit entre nous.”

Une simple parole… qui détruit

D’un coup, je me repasse la scène en tête et je réalise que même si je n’en avais pas eu l’intention, mes paroles sur Jonathan avaient sans doute été blessantes pour lui.

“Et comment avez-vous réussi à surmonter cette épreuve avec tonton Simon ?”

“Ce n’était pas si simple…”, me répond alors ma tante. “Nous avons beaucoup, beaucoup travaillé pendant des mois. Bien sûr, nous avons aussi prié pour y arriver. Parce que la première chose que nous avons apprise du Rav quand nous sommes allés le voir pour des conseils de Chalom Bayit, c’est que le Talmud enseigne que si l'on peut réparer des objets que l’on a cassés, le mal provoqué par une mauvaise parole est parfois irrémédiable (Talmud, Baba Metsia 58b).

Tu sais, si je te parle de tout ça aujourd’hui, c’est pour t’éviter d’avoir à faire le même travail que moi.”

Je sens alors les larmes me monter aux yeux… A aucun moment je n’ai voulu blesser mon mari. Le soir dans la voiture, spontanément je m'excuse pour ma mauvaise blague de l’après-midi. J’ai honte de moi et j’ai pris conscience grâce à Liza du mal que j’ai pu lui causer.

Mon mari ne me répond rien pendant de longues minutes (ce qui est pire pour moi que s’il s’énervait) puis il finit par me dire à voix basse : “Quand tu te moques de moi devant les autres, même si c’est pour rigoler, non seulement tu me fais passer pour un incapable… mais je ressens que toi aussi tu as une bien piètre image de moi ! Et pense aux enfants, s’ils t’entendent parler comme ça, comment veux-tu qu’ils comprennent que ce n’est que de l’humour caustique ? Eux vont croire que c’est vrai et que leur père est un bon à rien !”

Je fonds alors en larmes ! Comment une simple histoire drôle a pu faire autant de dégâts ? J’ai blessé mon mari. Je réalise à quel point il a besoin d’un regard bienveillant de ma part et me dis que sûrement par le passé, je n’ai pas su le lui donner parce que je pensais rire avec lui… alors qu’en réalité je riais de lui !

Le choix des mots : une force pour l’autre

Je ne vais pas mentir. C’était une tempête dans notre couple et il nous a fallu après du temps et plus que des excuses pour effacer les blessures et le ressentiment.

Grâce à D.ieu, la famille est sortie grandie de cette épreuve. J’ai retenu la leçon et quand je parle en public désormais, je ne fais plus de plaisanteries aux dépens de quelqu’un (qu’il soit en face de moi ou absent) et à la maison, je fais même attention à témoigner sincèrement mes encouragements à mon mari devant les enfants : “Tu vas faire une super présentation au travail, j’en suis sûre !”, “Tu sais tout réparer à la maison, heureusement que tu es là !”.

Je veux à tout prix que mon mari sache combien je l’aime et combien je suis fière de lui. Car de la même manière qu’une parole déplacée peut détruire, un encouragement ou un compliment a une force incroyable… celle de propulser l’autre, lui redonner confiance et lui permettre d’atteindre des sommets ! Alors ne passons pas à côté…