Moi, Sandrine, 64 ans, vous ne croirez jamais où j’étais ce samedi. A la synagogue. Je n’y avais pas remis les pieds depuis la cérémonie religieuse de mon mariage. Et ce, par choix. Je suis loin de me sentir très à l’aise dans ce lieu de recueillement, moi qui ai choisi un mode de vie plus libre et moderne.

Mais ce samedi, ma fille, qui elle, a pris un chemin tout autre depuis son union avec Emmanuel, m’a supplié de lui faire l’honneur de l’accompagner à la choul pour écouter mon petit-fils, son aîné, lire la Paracha. Pour l’occasion, j’achète une jupe et un chapeau, et nous voilà en route vers la maison du Seigneur. Ce n’est pas sans une légère appréhension que nous rentrons côté femmes, et là, je sens une angoisse me serrer la gorge. Je me sens étouffée, mise à l’écart, j’entends difficilement la voix fluette de mon petit-fils, je ne parle même pas de le voir. Je devine à peine sa silhouette à travers ces paravents opaques. Ce petit bonhomme, entouré de tous ces hommes drapés. J’ai besoin de prendre l’air, je sors. Sur mes pas, la femme du rabbin me rejoint. Elle avait entendu mon angoisse.

« Mme Lévy, ça ne va pas ? Je peux vous proposer un verre d’eau ? »

Je ne voulais pas l’agresser, elle était avenante et douce. Mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Le débat était lancé. « Comment se fait-il que le milieu religieux soit le seul milieu qui n’évolue pas avec son temps ? Excusez-moi, mais je suis outrée de voir la place que vous octroyez aux femmes dans le lieu saint qu’est la synagogue. Elles sont parquées dans un espace d’archives. Personne ne les consulte, ou ne remarque leur présence. D’ailleurs, qu’il y ait 10, 20 ou 0 femme, l’office se déroule exactement de la même façon. Elles ne prennent jamais la parole. Je trouve ça dégradant et archaïque. Vous qui êtes une femme, n’avez-vous pas envie d’un renouveau, d’un rafraichissement des traditions ? L’heure est au changement.»

« Un des symboles de notre société actuelle est l’égalité des sexes. Les femmes se sont rebellées et ont ainsi réclamé des droits égaux à ceux des hommes. Aujourd’hui, Mme Lévy, dans cette synagogue, vous êtes animée par ce même sentiment. Vous vous sentez diminuée par rapport à l’élite masculine. Les hommes ont tous les rôles lors des offices, ils sont plus confortablement installés… En effet. Mais si je vous disais que toutes les lignes directrices de la prière ont pour seul et unique but d’enseigner aux hommes de prier comme des femmes. Laissez-moi vous expliquer.

En fait, la référence de prière par excellence, c’est la Téfila de ‘Hanna, qui, étant stérile, a épanché son cœur au Tabernacle de Shilo. Elle a prié de manière si intense et particulière qu’Eli, le Cohen Gadol, pensait qu’elle était ivre. Lorsqu’il comprit qu’elle ne l’était pas et qu’elle venait de lui montrer ce qu’était un idéal de prière, il la bénit. Quelques mois plus tard, elle donnait naissance au prophète Chmouel.

De l’histoire de ‘Hanna, nous apprenons les fondements de la prière. Il s’agit d’un acte tranquille. Le prieur ne doit pas se contenter de remuer ses lèvres, mais il doit véritablement s’entendre. Il doit chercher la ferveur au plus profond de son âme. Si la prière est faite de façon sincère, Le Grand Patron peut déroger à certaines règles en Ta faveur. Rien n’est impossible pour le Créateur du Monde, il faut savoir comment lui demander.

Les hommes éprouvent assurément une grande difficulté à s’annuler et à mendier de l’aide. Pleurer devant le Seigneur en se remettant entièrement entre Ses mains, ceci est contre nature pour les détenteurs de la puissance humaine. Ne serait-ce que dire ce qu’ils ont sur le cœur, représente un vrai défi pour eux, défi qu’ils arrivent à surmonter entre autres avec l’alcool. C’est pourquoi Eli pensait que ‘Hanna était ivre.

Prier, pleurer, chanter, admettre son impuissance, sont autant de challenges pour un homme, challenges qui deviennent carrément inaccessibles en présence de femmes, devant lesquelles ils doivent se distinguer en montrant force et self-control. Ainsi, à la choul, les hommes et les femmes doivent être séparés pour permettre aux hommes de prier correctement sans peur d’être rabaissé.

La prière, art maîtrisé par les femmes, s’effectue dans les synagogues, endroits dirigés par les hommes. Voici la preuve que la religion est organisée. En effet, ‘Hanna a délivré une prière ultime, mais Hachem n’a accédé à sa requête que lorsqu’Eli l’a bénie. L’un ne va pas sans l’autre. La femme apporte passion et fougue à la prière, et l’homme, lui, apporte le cadre et la raison. Lorsqu’Aharon était chargé d’allumer les bougies de la Ménorah du Temple pour la première fois, vous imaginez quelle excitation, quel enthousiasme il devait ressentir. A son sujet, il est écrit "Aharon fit exactement comme Hachem lui avait demandé". On pourrait penser que d’autres compliments seraient plus appropriés. Celui-ci paraît trop simple par rapport au personnage et à l’envergure de l’acte. Et pourtant, il n’y a pas plus beau compliment. Aharon aurait pu vouloir changer les consignes, faire du zèle, mettre sa touche personnelle. Non, il s’est recadré, a annulé son esprit et sa volonté face aux ordres Divins. Tout comme Eli, homme de protocole, qui a gardé son esprit limpide malgré le fait qu’il venait d’être témoin d’une prière parfaite. Cet endroit était sain, de par les services et les offrandes qui s’y déroulaient quotidiennement, il n’était donc pas question qu’une femme, soupçonnée d’ivresse, entache la pureté de ces lieux.

La Torah est remplie de ces complémentarités. Les Cohanim travaillent, les Léviim chantent. Notre système juridique est une harmonie entre Hillel (terre à terre) et Shamaï (vers le ciel). Nous devons étudier la Torah (apportant la sagesse Divine sur terre) et accomplir les Mitsvot (rapportant les choses terrestres au ciel). A l’échelle familiale, la maman dit à l’enfant qui il est (un enfant est juif si sa mère est juive) et le papa lui révèle comment devenir cette personne. Selon la même logique, l’homme et la femme ne sont pas deux entités distinctes, ils sont un tout.

La prière ne se résume pas à un air entonné tous les jours à la même heure en présence de 10 hommes. La prière est ce que nous sommes. Comme le dit le roi David à plusieurs reprises dans ses prières : "Je suis une prière".

Il n’est écrit nulle part "Tu prieras", mais il est écrit "Tu serviras D.ieu de tout ton cœur". Ce qui sous-entend que la façon dont le service Divin va se dérouler dépend du cœur de chacun. Un cœur fatigué, un cœur en détresse, un cœur pétillant, un cœur éprouvé, un cœur reconnaissant, chacun servira son Créateur différemment. Les hommes ont besoin de se réunir à heure fixe sur un lieu saint pour faire descendre la Chekhina (présence Divine= sur terre. Mais la femme, elle, est la Chekhina. Elle peut donc prier avec ses mots, tout en continuant à s’occuper de ses petits, depuis sa maison, à l’heure où elle en ressent le besoin.

Dans les recueils de prières, il existe la prière pour trouver une maison, pour avoir une bonne Parnassa, pour trouver son conjoint, pour faire tomber la pluie… Mais il n’existe aucune prière retranscrite pour avoir un enfant. En effet, ce genre de prières ne s’écrit pas, elle se dit, elle se ressent, elle se pleure. La femme qui a un besoin inné de donner la vie saura quels mots dire et dans quel ordre les dire. Aucun rabbin ne saurait retranscrire l’intensité d’une telle prière. A chaque femme, le soin de la dire avec ses mots. »

Que toutes les prières que vous prononcerez avec la bouche ou avec le cœur soient exaucées pour le bien.