La Paracha conclut par le récit de Myriam qui dit du Lachone Hara’ sur Moché Rabbénou et qui fut sévèrement punie – frappée par la lèpre. Moché s’était séparé de sa femme, parce qu’il devait être constamment pur, pour pouvoir parler avec Hachem à tout moment. Myriam estimait qu’il n’aurait pas dû se séparer de sa femme, étant donné qu’Aharon et elle n’avaient pas dû le faire. Elle partagea cette préoccupation avec son frère Aharon, espérant que ce dernier en glisse un mot à Moché. C’était une erreur ; Moché avait un niveau de prophétie bien plus élevé que le sien et celui d’Aharon, Hachem pouvait lui parler à tout instant, ce qui fut le cas d’aucun autre prophète. De ce fait, il devait être constamment pur et donc totalement séparé de sa femme.

Apparemment, cet épisode semble assez simple et direct – Myriam médit de son frère et fut sanctionnée. Cependant, en analysant plus profondément la nature de son Lachone Hara’, d’après les grandes lignes des lois y ayant trait, on réalise que l’erreur de Myriam et sa punition ne sont pas si évidentes que cela.

Rapportons les mots du Rambam qui évoque cet épisode quand il parle de la lèpre : « La Torah nous avertit et affirme : "Prends garde au Néga de Tsara’at (lèpre). Souviens-toi de ce qu’Hachem fit à Myriam en chemin". Regarde ce qui arriva à Myriam la prophétesse, qui parla de son jeune frère qu’elle avait porté sur ses genoux, pour lequel elle s’était mise en danger afin de le sauver de la noyade et qui ne parla pas de manière négligente à son égard. Elle fit une petite erreur en le mettant au même niveau que les autres prophètes, elle ne fit pas attention à tout ce qu’elle dit… et malgré tout, elle fut immédiatement punie de lèpre. A fortiori, les gens méchants et stupides qui disent des tas de "grandes choses" et qui en viennent à parler avec dédain des Tsadikim…[1] »

Le Rambam rapporte plusieurs facteurs atténuants la gravité des propos de Myriam. Notons qu’elle n’avait pas du tout l’intention de dénigrer Moché. Au contraire, ses intentions, en discutant avec Aharon, étaient louables. Malgré tout, elle transgressa l’interdit de Lachone Hara’ dicté par la Torah et elle fut punie par la lèpre. C’est censé nous servir de leçon ; si Myriam sut sanctionnée si sévèrement en dépit de ses nobles intentions, nous devons d’autant plus veiller à éviter le Lachone Hara’.

Ce commentaire semble être en contradiction avec un autre commentaire du Rambam. Concernant les lois du Lachone Hara’, il écrit clairement qu’il est interdit par la Torah d’avoir l’intention de parler péjorativement d’autrui[2]. Il ajoute que si le but n’est pas de dénigrer son prochain, les propos restent considérés comme du Lachone Hara’, mais l’interdit est d’ordre rabbinique ; ce que l’on appelle Avak Lachone Hara’, littéralement « poussière de Lachone Hara’ ». Par exemple, le fait de chanter les louanges d’une personne devant son ennemi constitue du Avak Lachone Hara’, parce que cela va inciter ce dernier à parler négativement de l’individu en question. De même, dénigrer quelqu’un en faisant une blague est considéré comme du Avak Lachone Hara’, parce que celui qui parle n’a pas l’intention de médire de lui[3]. Ainsi, les paroles dont le but n’est pas de causer du mal ne sont pas interdites par la Torah.

Rav Its’hak Berkovits demande comment les propos de Myriam purent être considérés comme interdits par la Torah, au point qu’elle fut frappée de lèpre, alors qu’elle n’avait pas de mauvaises intentions ; le Rambam écrit explicitement qu’elle désirait rectifier un comportement qui lui semblait erroné. Il répond que ce Rambam nous présente une autre forme de Lachone Hara’, interdite par la Torah même si les propos ne sont pas proférés avec des intentions négatives. C’est quand on pense dire du Lachone Hara’ Léto’élèt, mais que l’on se trompe sur le but constructif ; c’est également interdit par la Torah[4]. On a du mal à comprendre que la Torah soit plus sévère avec celui qui se trompe quant aux réelles motivations qui le poussent à parler qu’avec celui qui déprécie son prochain humoristiquement.

De plus, on dirait que le Lachone Hara’ est plus fréquent quand on peut le justifier en disant qu’il est « Léto’élèt » — dans un but constructif. Les gens pensent que leur jugement de la personne critiquée est correct et que cela légitime leurs propos péjoratifs. C’est peut-être cette fâcheuse attitude, qui est devenue très courante, que la Torah juge si sévèrement.

Pourquoi ce type de Lachone Hara’ Léto’élèt est-il plus courant que le Lachone Hara’ ordinaire ? Le Baal Hatania affirme que si l’on proposait à un Juif une certaine somme d’argent pour qu’il dise du Lachone Hara’, ce dernier refuserait, sachant que c’est un interdit de la Torah. Même si l’on insistait et que l’on proposait une somme plus élevée, il s’abstiendrait de dire du Lachone Hara’. Pourtant, peu de temps après, la même personne peut se mettre à dire du Lachone Hara’ de plein gré, sans aucune rémunération. Comment est-ce possible ? Le Yétser Hara’ ne réussira pas à nous convaincre de transgresser un interdit notoire. Mais il peut nous persuader qu’il s’agit d’un acte autorisé, voire d’une Mitsva. Ainsi, un Juif aura moins tendance à dire ouvertement du Lachone Hara’ s’il n’est pas capable de se justifier. Par contre, il critiquera facilement son prochain, ou même un groupe de personnes, sous prétexte que c’est Léto’élèt, alors qu’en réalité, il est très difficile de remplir les conditions permettant le Lachone Hara’ à but constructif.

On en déduit qu’il est primordial d’apprendre les lois du Lachone Hara’ et de savoir quand il est permis de dire du Lachone Hara’ Léto’élèt. Il faut aussi étudier la Hachkafa relative à la médisance afin d’identifier les raisons sous-jacentes aux propos dénigrants.

Myriam, la grande Tsadékèt, échoua à son niveau et se rendit coupable de Lachone Hara’, pensant que ses propos étaient justifiés. Une personne ordinaire doit faire un raisonnement a fortiori : « Si déjà Myriam trébucha dans ce domaine, je risque aussi de me tromper. » Il faut donc redoubler de vigilance et ne pas tomber dans le même piège.

 

[1] Rambam, Hilkhot Toumat Tsara’at, chap. 16, Halakha 10.

[2] Rambam, Hilkhot Déot, chap. 7, Halakha 2.

[3] Ibid., Halakha 4. S’y référer pour d’autres exemples de Avak Lachone Hara’.

[4] À condition que l’erreur eût pu être évitée