Éliézer, le fidèle serviteur d’Avraham Avinou, arriva à Aram Naaraïm, à la recherche d’une épouse pour Its’hak. Il pria Hachem de l’aider à trouver la femme idéale et demanda même un signe qui lui prouverait qu’elle est la bonne candidate. Éliézer souhaitait qu’elle se démarque par son ’Hessed, qu’elle excelle en bonté.[1] Pourquoi cet attribut était-il si important ?[2]

Le Maharal nous aide à répondre à cette question.[3] Après que Rivka eut prouvé qu’elle convenait à Its’hak, Éliézer lui offrit des cadeaux : « Une boucle en or, du poids d’un Béka, deux bracelets pour ses bras, d’un poids de dix shekels d’or ».[4] Rachi nous révèle la profondeur de ces présents. Le Béka fait référence à la future Mitsva de donner un demi-shekel, comme l’enjoint la Torah au  peuple juif : « Un Béka par tête »[5] (un Béka équivalant au poids d’un demi-shekel). Les deux bracelets correspondent aux deux Tables de la Loi données au Mont Sinaï et les dix shekels d’or vont de pair avec les Dix Commandements. Le Maharal explique qu’Éliézer faisait allusion aux trois piliers du monde : la Torah, le service de D.ieu et la bonté.[6] Le Béka correspond à la bienveillance, parce que la Mitsva de Ma’hatsit Hashekel implique le don. La boucle au nez fait penser à la bonne odeur des Korbanot (offrandes) grâce auxquels nous servons Hachem dans le Beth Hamikdach[7]. Et les deux bracelets – les Tables – font bien sûr référence à la Torah.

Éliézer insinuait à Rivka – poursuit le Maharal – que puisqu’elle excellait dans l’un des trois piliers, le ’Hessed, elle allait également mériter les deux autres. Son lien avec le service divin allait se faire par son mariage avec Its’hak et celui avec la Torah allait se concrétiser avec Yaakov Avinou. Le Maharal explique que la bonté est la base de toutes les autres qualités. Ainsi, en se distinguant dans ce pilier, Rivka les mérita tous. Nous comprenons à présent pourquoi la bonté était d’une telle importance aux yeux d’Éliézer. Il réalisa que c’était la base de toute chose positive, et donc que la femme d’Its’hak devait en regorger.

Le Maharal développe une idée similaire sur la Parachat Lekh Lékha, quand Hachem promit que le nom d’Avraham serait relié à la première bénédiction de la Amida[8]. Pourquoi précisément Avraham et non Its’hak ou Yaakov ? C’est parce que le ’Hessed englobe les qualités d’Its’hak et de Yaakov.[9]

La Guémara appuie cette idée quand elle raconte qu’un homme en voie de conversion demanda à Hillel de lui apprendre la Torah « sur un pied »[10]. Hillel lui répondit : « Ne fais pas à ton prochain ce qui t’es détestable. Ceci est la Torah, tout le reste n’en est que commentaires. »[11] Les commentateurs comprennent que Hillel enseignait à ce non-juif la Mitsva d’aimer son prochain comme soi-même[12] qui recèle toutes les Mitsvot interpersonnelles. Mais comment comprendre qu’elle incarne tous les autres Commandements – ceux concernant notre relation avec Hachem ?[13] Le ’Hazon Ich explique que Hillel lui enseignait par là une leçon très profonde. Une personne égocentrique est enfermée dans sa propre façon de penser et de voir le monde. Elle ne peut pas se confronter aux opinions des autres ; elle n’essaie même pas. Un tel individu ne vit pas avec la Torah. Celui qui ne peut établir de rapport avec son entourage ne peut pas vraiment se lier à Hachem. Hillel voulait faire comprendre au converti que ce n’est qu’en sortant de son monde égoïste que l’on peut accepter la Torah.[14]

Ceci nous aide à comprendre pourquoi la bonté est un point de départ dans la Torah. Un homme bienveillant peut sortir de son petit monde et tenir compte des besoins ou de l’avis d’autrui. Aussi, il est capable de faire abstraction de ses partis-pris et de se conformer à la conception de le Torah.

C’est ce qu’Éliézer recherchait chez la future femme d’Its’hak. Le ’Hessed est essentiel dans toute relation, et plus particulièrement au sein du couple. En travaillant sur le don, on améliore immensément et durablement sa vie de couple, tandis que si l’on reste focalisé sur soi-même, on sera incapable de comprendre et de satisfaire les besoins de son conjoint. Cette étroitesse d’esprit est la cause de nombreux différends. Quand on fait l’effort de se rapprocher de l’autre, le lien du mariage ne peut que se renforcer.

Puissions-nous tous mériter des relations interpersonnelles pleines de bienveillance.



[1] Voir Béréchit, 24:12-15.

[2] Certains estiment qu’Éliézer cherchait une femme dont le ’Hessed allait équilibrer la Guévoura (rigueur) d’Its’hak. Cet article propose une approche différente.

[3] Voir Gour Arié, Béréchit, 24:22, note 16, avec le commentaire du Rav Yéhochoua Hartman, notes 89-93. Voir également Maharal, Dérekh Ha’haïm, sur Avot, 1:2.

[4] Béréchit, 24:22.

[5] Chémot, 38:26.

[6] Avot, 1:2.

[7] Le Maharal souligne que la Torah décrit les Korbanot par leur odeur agréable. Voir Dérekh Ha’haïm sur Avot, 1:2.

[8] Voir Rachi, Béréchit, 12:2.

[9] Gour Arié sur Béréchit, 12:2, note 6 ; Pa’had Its’hak du Rav Its’hak Hutner, Souccot, article 20.

[10] Le converti demandait à Hillel de lui enseigner un principe fondamental qui résumait toute la Torah.

[11] Chabbat 31a.

[12] Vayikra, 19:18. Voir Maharcha sur Chabbat 31a pour comprendre pourquoi Hillel paraphrasa cette Mitsva avec des termes négatifs.

[13] Pour d’autres réponses à cette question, voir Rachi, sur le traité Chabbat 31a et Kli Yakar, Vayikra, 19:18.

[14] Propos du Rav Its’hak Berkovits.