La Paracha Lekh Lekha nous introduit la personnalité du premier Patriarche, Avraham. Nous savons que son importance est essentielle dans la genèse du peuple Juif, et il constitue une figure centrale de la Torah. Son exemple mérite d’être médité avec attention, car nos maîtres nous enseignent que l’ambition quotidienne de chaque Juif doit être de hisser ses actes et son comportement au niveau des patriarches.

La Paracha Lekh Lekha évoque notamment les déplacements d’Avraham Avinou en Erets Cana’an, le texte nous apprend qu’il construisait une tente qui lui servait de lieu de résidence, et Rachi précise (chap. 12, v. 8) : « Sa tente : Le mot est écrit au féminin (aholo : « sa tente à elle »). Il a commencé par dresser la tente de sa femme, et ensuite la sienne (Beréchit Rabba 39, 15). »

Voici donc un premier enseignement qui mérite d’être médité. Rachi nous explique qu’Avraham commençait par monter la tente de Sarah avant de monter la sienne. Evidemment, il ne s’agit pas d’une simple galanterie, mais d’une approche des relations humaines beaucoup plus fine.

Tout d’abord, donner la priorité à autrui est une marque de respect, d’honneur et d’amour. Avraham souhaitait témoigner en toutes circonstances son amour pour ses contemporains, et en premier lieu, son amour pour sa femme. Ces égards sont d’autant plus remarquables qu’ils se déroulent dans l’intimité du foyer, en l’absence de tout regard extérieur ou de tout public qui pourrait créditer Avraham de cette conduite et l’en féliciter.

Pour Avraham Avinou, le ‘Hessed n’était pas un moyen de valorisation sociale, c’était un art de vivre au quotidien qu’il exerçait avec les plus proches comme avec les plus lointains. Ce point mérite d’être souligné, car parfois les hommes exercent leurs Midot auprès des « étrangers » vis-à-vis desquels ils fontpreuve d’une patience remarquable et d’une grande générosité, mais dès qu’ils franchissent le seuil de leur domicile, ils relâchent leurs efforts et considèrent qu’il n’est plus utile de faire « bonne figure ». Or, les qualités humaines d’un homme se mesurent bien souvent à son attitude dans l’intimité du foyer, lorsqu’il referme la porte de chez lui. A ce moment-là, où aucun code social ne s’impose, on peut mesurer véritablement où on est l’homme dans son travail des Midot.

Mais il y a encore plus à dire de ce comportement exemplaire. En effet, face à la construction d’une tente, une femme est bien souvent démunie car elle ne dispose pas de la force physique nécessaire pour la monter, elle se trouve donc dans une situation de vulnérabilité et de dépendance à l’égard de son mari. Or, ces sentiments sont particulièrement désagréables, pour ne pas dire humiliants, pour la personne qui les vit. En effet, dépendre de la bonne volonté de son prochain, fut-il son mari, n’est pas agréable, et l’on souhaite ardemment que cette situation cesse le plus tôt. Voilà pourquoi Avraham commence par la tente de sa femme afin de la soulager de ce fardeau psychologique, afin de ne pas lui donner trop longtemps le sentiment qu’elle dépend de lui, mais aussi parce que cette idée même que sa femme puisse se sentir vulnérable, dépendante, et faible lui est insupportable. Il ressent dans son cœur et dans son âme la souffrance ou la faiblesse d’autrui, et il est impératif pour lui d’y répondre immédiatement.

C’est à la fois un service qu’il rend à autrui et un soulagement qu’il s’apporte à lui-même. Nous ne trouverons peut-être pas de meilleure illustration du verset « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Cet état d’esprit est celui qui devrait animer chacun d’entre nous face à la souffrance de nos frères et nos sœurs, parfois plongés dans des difficultés familiales, financières ou spirituelles très lourdes. Leur vulnérabilité et leur précarité sont parfois extrêmes, et face à cette faiblesse, il faudrait agir comme Avraham, c’est-à-dire en répondant à leurs besoins avant de répondre aux nôtres, ressentir comme impossible de manger ou de faire des courses, avant de nous être souciés de ce que vont manger nos frères et nos sœurs dans le besoin.

On devrait,non seulement, ressentir comme un devoir impérieux de leur apporter toute l’aide que l’on peut leur donner, mais nous habituer à ressentir dans nos cœurs la vulnérabilité d’autrui et l’urgence qu’il y a à les rassurer, car ils dépendent de nous. Il ne fait aucun doute que celui qui agit de cette manière, D.ieu agira de la même manière que lui à son égard, et Il satisfera ses besoins éventuels très rapidement.

En ces périodes troublées, nos maîtres nous enseignent qu’il faut multiplier les actes de ‘Hessed afin de hâter la délivrance du peuple juif et limiter les épreuves. En effet, depuis longtemps, nos Sages nous ont avertis que la base de toute sagesse et de toute Torah repose sur les actes de générosité, il s’agit du B-A-BA de la Torah, ou plutôt de son « Alef Beth ». En effet, le traité Chabbath (104a) nous enseigne que l’on peut interpréter le début de l’alphabet hébreu « Alef, Beth, Guimel, Dalet » de la manière suivante « Alef Bina, Gomel Dalim » c’est-à-dire « apprends la sagesse et soutiens les pauvres » ou bien « le début de l’intelligence est de soutenir les pauvres ».

Rappelons, pour conclure, ce mot fameux du Rav Israël Salanter : « les besoins matériels de mon prochain constituent mes besoins spirituels ».