Dans la paracha "Toledot" (25, 28), il est écrit : וַיֶּאֱהַב יִצְחָק אֶת עֵשָׂו כִּי צַיִד בְּפִיו וְרִבְקָה אֹהֶבֶת אֶת יַעֲקֹב (Its’hak aimait Essav parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche; mais Rivka aimait Yaacov. 

Sur les mots « parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche », Rachi cite les paroles du Midrach : « Dans la bouche d’Essav, qui attrapait et trompait son père par des paroles. »

Or il est extrêmement difficile de comprendre comment Its’hak ne distinguait pas la véritable nature de son fils, alors que les sages sont réputés pour leur connaissance profonde de la nature humaine, et à plus forte raison quand il s’agit de leur propre fils, qu’ils côtoient au quotidien. Et même si cet égarement était dû à la cécité qui l’avait frappé, il est certain que son épouse Rivka l’avait informé du mauvais comportement d’Essav, auquel cas comment comprendre que son père l’aimât ? En réalité, il s’avère que le patriarche connaissait parfaitement la véritable personnalité de son fils, comme le prouve le commentaire de Rachi à propos du verset « Approche donc que je te tâte, mon fils (27, 21) » – Its’hak s’est dit en lui-même : « Il n’est pas dans les habitudes de Essav d’avoir à la bouche le nom de D.ieu ! Or, celui-ci vient de dire : "C’est que Hachem ton Dieu m’a donné bonne chance" » (Béréchit Rabba 65, 19).

Quant à son attitude aimante envers son fils, elle trouve sa justification dans le principe éducatif voulant que lorsqu’un fils se détourne du droit chemin jusqu’à en arriver à mépriser son père et sa mère en public, ces derniers se doivent de le répudier ; en revanche, tant qu’il continue à respecter ses parents, et s’évertue à masquer son inconduite sous des couverts de dévotion, il est conseillé de le rapprocher, car il subsiste un espoir qu’avec le temps, il s’amendera.

Or, en dépit de toute sa dépravation, Essav pratiquait le commandement divin du respect dû aux parents à un niveau extrêmement élevé, comme le souligne le Midrach affirmant qu’ « il se parait de vêtement royaux au moment de servir son père. » Et c’est donc à ce titre que son père – bien que parfaitement au fait de sa conduite – lui manifestait toute son affection, espérant ainsi le rapprocher du droit chemin (Zi’hron Méïr).

Dans la même veine, on raconte que le juste Rabbi Méïr de Premichlan confia un jour à ses disciples : « Mon maître, Rabbi ’Haïm de Tchernovitch, l’auteur du Béèr Maïm ’Haïm, avait un fils qui ne suivait pas le droit chemin. Malgré cela, Rabbi ’Haïm ne le chassa pas de sa maison et, fermant les yeux sur ses égarements, il pourvut à tous ses besoins comme il le faisait pour le reste de ses enfants. Levant ses mains au ciel, il avait l’habitude de dire : "Maître du monde, qu’il soit Ta volonté que Tu te comportes avec Tes enfants avec miséricorde, au même

titre que je le fais avec mon fils. Moi-même, j’ai un enfant qui s’est détourné du droit chemin, et malgré tout, je le prends en pitié et je pourvois à tous ses besoins." » 

Rabbi ’Haïm marquait une courte pause dans ses paroles avant d’ajouter : « A mon humble avis, c’est à ce principe que la Torah fait allusion dans le verset : "Its’kak aimait Éssav parce qu’il mettait du gibier dans sa bouche; mais Rivka préférait Yaacov". Its’hak Avinou, inspiré par l’Esprit Saint, vit que dans le futur, le Saint béni soit-Il lui reprocherait le fait que ses fils aient fauté contre Lui et il serait donc contraint de défendre leur cause (c.f. Chabbat 99). C’est la raison pour laquelle le patriarche prépara le remède avant le mal en vouant de l’affection à son fils, afin que plus tard, il puisse parer à cette accusation en objectant : "J’ai moi-même aimé mon fils bien qu’il s’agisse d’Essav." »