Lors d’un banquet, Ben Gourion, qui ne manquait pas d’humour, répondit à un chef d’État qui se vantait de « régner sur une population de 30 millions d’habitants » que lui, il n’en gouvernait qu’un petit million (à l'époque), mais qu’ils étaient tous des premiers ministres en potentiel… 

Tellement vrai. Bienvenue au pays où tout le monde a une opinion, et détient la vérité infuse pour que ça « marche » comme il faut. 

Former un gouvernement tient ici du miracle (nous sommes en plein dans cette saga), car les enjeux sont gigantesques, les opinions diamétralement opposées, les appétits de faire entendre sa voix et sa conception, aiguisés, même lorsqu'on est dans le même camp politique. Cela est dû entre autres au brassage exceptionnel de différences ethniques, de mentalités, d’influences que ce pays rassemble en son sein. Sans parler du fait qu’ici, un chauffeur de taxi a une personnalité beaucoup plus appuyée qu’un président en Suède…

Enfin arrivés à bon port, les bagages posés, l’acclimatation plus ou moins faite après de longues années d’errance sur des terres étrangères, parfois hospitalières, souvent cruelles, qui coûteront si cher au peuple juif en pertes humaines et spirituelles, voici que la Providence nous sourit, et enfin, nous voilà chez nous, en Erets Israël. Terre rêvée, espérée, celle vers laquelle les prières de nos parents étaient tournées, eux qui avaient gardé dans leur besace à travers l’exil, les mêmes lois, mais enveloppées de coutumes différentes, selon s'ils avaient séjourné à Hambourg la ponctuelle, au Caire la cosmopolite, ou à Tunis la douce. Chacun allait « monter » imprégné du parfum, des recettes, et des influences de « là-bas ». 

Arabes assis par terre à tableallumage bougie de chabbath noir et blanc

Qui est juif ?

L’année : 1949. Le jeune État hébreu est encore pratiquement vide et on a besoin de peupler cette terre. Il faut donc urgemment légiférer sur qui aura le droit de monter en Israël, et tout d’abord définir “qui est juif”, car il s’agit bien de construire un foyer national à ce peuple. Et là, ça commence à se corser…  

Si pour tout Juif pratiquant et traditionaliste, la réponse est évidente et se trouve noir sur blanc dans le Choul’han ‘Aroukh (est juive une personne née de mère juive ou s’étant convertie selon la Loi au judaïsme), d’autres pensent que la religion ne doit pas imposer ses directives à une nation qui se veut démocratique. Le ministre d’alors, Israël Bar Yéhouda, prêche une “judéité pour tous”. “Si quelqu'un déclare de bonne foi qu'il est juif, on devra accepter d’office sa demande et l'inscrire comme Juif”, ordonnera-t-il aux fonctionnaires des bureaux de l'Intérieur. Il soulève un tollé chez les membres religieux de la Knesset, ce qui obligera l’establishment à repenser ses définitions.

Même Ben Gourion y perd son yiddish, et devant la complexité des avis, va demander en octobre 1958 à 50 personnalités laïques et religieuses, dont des écrivains, des philosophes, scientifiques, rabbins, de donner leur définition sur cette question épineuse et essentielle, car c’est évident, elle façonnera le paysage sociétal du pays. N’oublions pas également que nous sommes à peine 10 ans après la Shoah, alors que les nazis n’avaient eu de cesse de poser cette question, de l’analyser sous toutes ses facettes, pour émettre ensuite leurs démoniaques théories. La recherche d’une définition de “qui est juif” était donc excessivement délicate. 

Ben Gurion

Parmi les interrogés, le Rabbi de Loubavitch répond on ne peut plus clairement que seule la définition du judaïsme authentique sur ce qu’est l’identité juive peut être acceptable. L’écrivain Shaï Agnon également, tempère pour le respect de la Halakha et en fin de compte, la majorité des répondants (37 sur 50) va dans le sens du respect de la définition de la loi juive. 

Finalement, les instances juridiques légiféreront un texte de loi de compromis, une quadrature du cercle tentant de mettre d’accord tous les partis, ce qui malheureusement entraînera des situations absurdes. La loi stipulera qu'en effet "est juif une personne née de mère juive ou convertie" mais sans jamais préciser de quelle sorte de conversion il s’agit, refusant systématiquement d’accéder aux demandes insistantes des partis religieux d'ajouter :« conversion selon la loi juive ». Les tribunaux considéreront par exemple comme non-juif un homme brisé par la guerre, s’étant converti au catholicisme après les affres de la Shoah , alors qu’aux yeux de la Halakha, l’homme est toujours juif. De l’autre côté, seront acceptées des personnes ayant passé une conversion de pacotille, où en un clin d’œil, ils feront partie des heureux élus : qu’importe si leur motivation est complètement intéressée, que ce soit pour trouver en Israël un refuge, pour un mariage, pour fuir un passé ou des dettes.

Le « petit-fils » aussi…

Que doit faire un Juif, qui désire monter en Israël, alors que sa femme n’est pas juive, et donc, ses enfants non plus ? Doit-il divorcer pour atteindre les rivages de la Terre Promise ? 

Devant ce « cas » le législateur israélien décida, pour ne pas disloquer une famille, que parents et enfants pourront monter en Israël et jouir de tous les droits que leur offre la Loi du Retour. Le texte élargit encore l'éventail en incluant dans l'article 4 alef que les petits-enfants et leurs conjoints seront également inclus dans la loi, même si le grand-père juif est décédé entre-temps ou resté dans son pays d’origine. A l’époque, ce cas de figure était rarissime et pratiquement inexistant en ce qui concernait la Alya des juifs d’Afrique du Nord. Il existait en théorie pour la Russie et l’Europe de l’Est ou les mariages mixtes étaient nombreux, mais le rideau de fer empêchait alors toute émigration, et de plus Israël, pays sans cesse en guerre et économiquement instable, n’était pas vraiment une destination enviée…

Mais à partir de l’effondrement de l’URSS en 1991, en vertu de l’ajout précisant que « les petits enfants » jouiraient de la nationalité israélienne et des avantages que le pays offrait aux émigrants, des dizaines de milliers de non-juifs, se proclamant de grands-parents juifs, purent s’installer en Israël et profiter du panier de l’intégration, d’un nouveau statut, et parfois d’une nouvelle couverture derrière le passeport bleu de l’État hébreu. Le bureau de statistiques évalue aujourd’hui que 90% des jeunes immigrants d’Europe de l’Est ne sont pas juifs Halakhiquement parlant. D’après ce même bureau, d’ici 10 ans, un million de non-juifs seront des citoyens en Israël. 

Qu'Israël soit une terre d’accueil pour des réfugiés à moyen et même long terme est une évidence, une obligation morale, car qui comme nous connaît la condition précaire de l’exilé; mais de là à distribuer à tout vent, les droits et la nationalité d‘un pays créé pour être le foyer du peuple juif…

La Caravane…

Arik Einstein, interprètera la fameuse chanson la Chayara, - la Caravane -, qui illustre la « montée » des juifs, des 4 coins du monde vers la Terre Promise :

“Et de tous les exils

Avec tous les problèmes 

Un peuple renaît, un pays se relève

Et une langue qui s'était endormie

Soudain s'éveille

Et se met à parler, à parler, sans fin...”

Djellaba et homme en costume en noir et blanc

Un merveilleux melting-pot s’est formé au fil des immigrations, et cette mosaïque humaine est unique au monde, parce que dans toute sa diversité, elle a un patrimoine, UN, qui est, qu’on le veuille ou non : Torat Israël. 

Tout le monde est invité à suivre la Caravane, à profiter de son ombre, d’une gourde d’eau fraîche, d'une main tendue, et à faire une partie du chemin avec nous. C’est la vocation du Peuple de D.ieu.

Mais pas de confusion : pour s’y joindre définitivement, faire partie intégrante du voyage, il faut impérativement demander aux bergers qui s’en occupent depuis des millénaires quelle est la marche à suivre. Aucune instance législative, si ce n’est celle de la Torah, ne peut trancher sur la délicate question de « Qui est juif ».