« Dan vengera son peuple, comme l’une des tribus d’Israël. Dan sera un serpent sur le chemin, une vipère sur le sentier, qui mord les talons du cheval [de manière que] son cavalier tombe en arrière. En Ton secours, j’espère Hachem ! » (Béréchit, 49:16-18)

Rachi commente le mot Kéé’had (verset 16) : « … On peut également expliquer que "Comme l’une des tribus d’Israël" signifie "Comme la plus spéciale des tribus", il s’agit de David, issu de Yéhouda. »

La bénédiction faite à Dan est très énigmatique et plusieurs questions peuvent être soulevées. Rachi explique que les mots « Comme l’une des tribus d’Israël » sont une allusion à celle de Yéhouda, qui est la tribu de la Royauté. Ceci laisse sous-entendre qu’il y a une certaine comparaison possible entre Dan et Yéhouda et elle semble indiquer que le membre le plus célèbre de la tribu de Dan, Chimchon, aurait pu devenir roi et peut-être même le Machia’h. Ceci semble difficile à comprendre – de nombreux versets et autres sources bibliques indiquent que la Royauté est exclusivement réservée à Yéhouda, alors comment un membre de la tribu de Dan, connue pour être la plus petite de toutes[1], put-il atteindre ce niveau sublime ?

Il est également difficile de comprendre pourquoi Yaacov compara Dan au serpent, l’animal le plus méprisé depuis la faute d’Adam Harichon. Enfin, il faudrait expliquer pourquoi la bénédiction se termine par un appel, apparemment déplacé, à la délivrance.

Pour résoudre ces interrogations, il nous faut tout d’abord savoir quel est notre objectif dans ce monde. Rav Ouziel Milevsky[2] précise, sur la base d’explications de Mékoubalim, que notre tâche consiste à rectifier la Faute et d’élever le monde à son niveau original de sainteté et de pureté. Ils décrivent ce processus comme un « Tikoun ». Il existe deux méthodes pour y arriver : en nous élevant spirituellement et en influençant les autres dans ce sens ; ou bien en s’infiltrant dans les forces de l’impureté et en y dénichant les étincelles de sainteté qui y sont piégées.

Le rôle de Yéhouda fut de rectifier le monde de la première façon – en atteignant un haut niveau spirituel et en élevant les autres de la sorte. Ceci fut personnifié par les rois de Yéhouda en général, par David Hamélekh en particulier et plus particulièrement encore par son fils Chlomo qui construisit le Beth Hamikdach. Celui-ci était comme un phare de spiritualité qui éclaira le monde entier.

La deuxième approche est incarnée par Dan. Son rôle est de s’infiltrer dans les forces impures et de les affaiblir, tout en faisant sortir les étincelles de pureté. D’ailleurs, la tribu de Dan était celle qui marchait à l’arrière dans le désert, elle était la plus exposée à l’ennemi. Comme l’écrit Rav Milevsky[3] :

Le fait que Dan fût exposé au danger dans le champ de bataille qu’était le désert indique sa tendance à se rapprocher des cultures et croyances étrangères. Ce n’est pas un hasard si ce fut un membre de la tribu de Dan qui porta l’idole de Mikha d’Égypte en terre d’Israël, où elle devint le centre d’une nouvelle religion. »

Le rôle de Dan est important du fait qu’il n’est pas toujours possible d’élever le monde sans s’infiltrer dans un environnement négatif. Ceci est toutefois très dangereux, étant donné que Dan est ainsi exposé aux forces du Mal et prend le risque d’en être influencé, au lieu d’avoir l’effet inverse. C’est pourquoi la tribu de Dan fut tenue responsable lors de l’idolâtrie de Pessel Mikha.

Le descendant le plus illustre de Dan, Chimchon, personnifie tant les failles que les avantages de cette sorte de Tikoun. ’Hazal racontent que lorsque Yaacov compara Dan à Yéhouda, il faisait référence à Chimchon qui allait diriger le peuple durant l’oppression philistine. Le personnage de Chimchon est très difficile à cerner. D’un côté, il était évidemment un grand homme, comme le décrit le prophète : « L’esprit divin commença à le saisir… »[4] Et pourtant, peu après, on apprend que Chimchon vit une femme philistine et décida de se marier avec elle. Les commentateurs expliquent que Chimchon n’avait évidemment pas de vils désirs qui l’entrainèrent à vouloir épouser des femmes non juives. Son rôle était de s’infiltrer chez les Philistins et, spirituellement parlant, d’élever les étincelles de sainteté qui se trouvaient en eux, tout en utilisant ses relations (au niveau physique) avec les Philistins pour les ébranler à travers sa propre guérilla. Évidemment, il s’agissait d’une approche très risquée et ’Hazal blâment Chimchon, à son niveau, pour avoir été influencé à un certain niveau par ce que ses yeux ont vu.[5]

Ainsi, Yéhouda et Dan ont des rôles parallèles quant à la rectification du monde, mais leurs méthodes sont très différentes. Il nous reste à comprendre pourquoi Yaacov compare Dan à un serpent infâme. Rav Dessler[6] explique que le rôle de Dan dans le Tikoun était de renverser l’effet du serpent. Celui-ci transforme le bien en mal. Rav Dessler ajoute que c’est ce qui fit penser à Yaacov que le Machia’h pouvait être issu de Dan, dans le personnage de Chimchon. Mais quand il vit prophétiquement que Chimchon trébucherait, il termina sa bénédiction en priant pour une véritable délivrance d’Hachem.

Comment ces enseignements sont-ils pertinents dans nos vies ? Bien évidemment, il est toujours conseillé de se placer dans un environnement le plus protégé et pur qui soit et d’influencer les autres positivement, sans prendre de risque. Mais l’individu doit parfois quitter son environnement sûr et se trouver dans un milieu défiant. Certains devront habiter dans des endroits où règne l’immoralité, d’autres devront s’y rendre pour travailler ou pour se mettre en contact avec des proches ou des amis qui y vivent. Dans de tels cas, l’opportunité est immense, mais le risque l’est également. Le Kidouch Hachem qui peut résulter des actions effectuées peut être de taille et à travers leur exemple, ils peuvent véhiculer des enseignements de Torah. Mais le risque d’être happé et rabaissé par l’entourage est très présent. Notre tâche est d’apprendre de Dan et de Chimchon et d’être très vigilant afin de ne pas, au lieu d’élever les autres, se laisser affaiblir. Et, comme Yaacov Avinou nous l’enseigne, nous devons nous souvenir de prier Hachem pour la Délivrance et pour mériter un temps où le monde sera rempli de Torah.

 

[1] Chémot Raba, 40:5.

[2] Ner Ouziel, p. 290-293. Ses enseignements sont principalement basés sur les paroles de Rabbi Tsadok Hacohen, Likouté Maamarim.

[3] Ibid. p. 292.

[4] Choftim, 13:25.

[5] Sota 9b.

[6] Mikhtav Mééliahou, 2ème volume, p. 269.