Dans la paracha Vayé'hi, il nous est dit : « Et moi, je t’ai donné Chékhem – une portion supérieure à celle de tes frères – que j’ai conquise des mains des Emoréens par mon épée et mon arc. » (Béréchit, 48:22)

Onkelos interprète ainsi les derniers mots du verset : « Par ma prière (Tséloti) et mes supplications (Baoti) »

Après la bénédiction des fils de Yossef, Yaakov Avinou informe ce dernier qu’il lui lègue la terre de Chékhem, en plus. Yaakov explique qu’il prit Chékhem des mains des Emoréens à l’aide de son arc et de son épée, mots que le Targoum Onkelos n’interprète pas au sens littéral ; Yaakov fait allusion à ses prières, pour lesquelles il emploie deux termes distincts. Quelle est la différence entre ces deux formes d’invocations ?

Le Méchekh ’Hokhma explique que ces mots dénotent deux manières très différentes de s’adresser à Hachem. Tséloti fait référence à une prière fixe, établie, telle que l’une des trois prières quotidiennes, tandis que Baoti correspond aux prières « modifiables » que l’on peut réciter à tout moment. Il ajoute que dans le cas d’une prière fixe, si l’individu n’est pas très concentré (pas de Kavana), la prière reste efficace[1]. En revanche, une prière personnelle, non instaurée requiert un niveau de Kavana bien plus élevé pour être utile – la personne qui prie doit être entièrement concentrée, prêter attention et comprendre tout ce qu’elle dit.

En général, les prières fixées sont celles récitées par la communauté[2]. Le Méchekh ’Hokhma rapporte une Guémara[3] qui distingue de cette façon la prière communautaire de la prière individuelle – si un groupe de gens prie sans concentration, Hachem écoute néanmoins leur requête, mais si un individu fait une prière personnelle, il doit avoir la Kavana pour que celle-ci soit exaucée.

Il explique ensuite la symbolique de l’épée et de l’arc. La lame de l’épée est dangereuse en soi, il suffit d’un petit effort et de peu de précision pour causer un dommage important. L’épée correspond à la prière instaurée qui nécessite peu de Kavana pour être opérante. Par contre, l’arc est relativement inoffensif s’il n’est pas utilisé de manière experte. C’est la caractéristique de la prière individuelle, non fixée qui nécessite une grande concentration et une entière compréhension des mots prononcés pour être reçue.

Cette explication du Méchekh ’Hokhma nous éclaire quant à la signification des deux formes de prières et les domaines qui nécessitent une attention particulière. En ce qui concerne les prières fixes, l’enseignement premier est bien sûr l’importance de réciter ces prières aux moments appropriés – et, pour les hommes, de s’efforcer de prier en présence d’un Minyan (groupe de dix hommes priant ensemble). Les femmes n’ont pas l’obligation e prier en présence d’un Minyan, mais elles sont tenues de réciter Cha’harit et Min’ha, sauf si elles ont le statut de Trouda, c’est-à-dire qu’elles sont trop occupées pour prier[4]. (Ce n’est généralement pas le cas des jeunes filles ou des femmes mariées qui ont de grands enfants, et plusieurs jeunes mamans parviennent à faire ces deux Téfilot quotidiennement.)

À propos de la prière non instaurée, personnelle, l’accent est mis sur la Kavana.

La Rabbanite Henny Machlis zal excellait dans les deux sortes de prières. À l’âge de vingt et un ans, alors qu’elle était sur le point de mettre au monde son premier enfant (et après plusieurs heures de contractions éreintantes), on lui annonça qu’elle allait devoir subir une césarienne. Juste avant d’être emmenée en salle d’opération, elle s’écria : « Attendez ! Je voudrais réciter la prière de Min’ha avant de me faire opérer ! »[5] Même dans une situation aussi critique, elle respecta sa résolution de réciter ses Téfilot.

Et pour parler de ses prières personnelles, on raconte que l’une de ses filles, qui suça son pouce durant de longues années eut besoin d’un appareil dentaire. La Rabbanite, certaine qu’Hachem pouvait aligner les dents de sa fille sans cet instrument, pria pour cette cause. L’enfant en question, qui a à présent une vingtaine d’années, a une parfaite dentition sans avoir eu besoin d’appareil. Une autre de ses filles dut porter un appareil dentaire et s’en plaignit à sa mère : « N’as-tu pas prié pour mes dents ? » La Rabbanite Machlis répondit : « J’ai beaucoup prié pour toi, mais étant donné que tu n’as jamais sucé ton pouce, j’ai oublié de prier pour ta dentition ! »[6]

Yaakov Avinou nous a enseigné l’importance des deux formes principales de prières. Puissions-nous mériter de nous inspirer de son exemple ainsi que de celui, plus contemporain, de personnes vertueuses comme la Rabbanite Machlis.


[1] Inutile de préciser que plus on se concentre dans la prière, plus cette dernière est puissante et capable de transformer celui qui la récite.

[2] Ceci s’applique davantage aux prières des hommes qu’à celles des femmes.

[3] Taanit, 8a.

[4] Telle est l’opinion du Ramban, retenue dans les communautés Ashkénazes. Cet avis est débattu et la Halakha pour les femmes d’origine Sépharade tranche qu’elles doivent réciter une prière par jour.

[5] Emunah with Love and Chiken Soup, de Sarah Yokhéved Rigler, chap. 13, p. 451. Ce chapitre raconte l’incroyable force de la prière de la Rabbanite Machlis.

[6] Ibid. p. 467.