La paracha Vayé'hi nous dit : « Zévouloun résidera au bord de mer, il se trouvera aux ports et son territoire atteindra Tsidon. » (Béréchit, 49:13)

Yaakov Avinou bénit son fils Zévouloun dans ses entreprises financières. Rachi ajoute que Zévouloun consacrera la majeure partie de son temps à travailler pour soutenir financièrement son frère Issakhar afin que celui-ci puisse se vouer entièrement à l’étude de la Torah. Moché Rabbénou aussi, dans le Livre de Dévarim, bénit Zévouloun dans l’accomplissement de sa mission et fait même passer le jeune Zévouloun avant son frère plus âgé, parce qu’il permet à Issakhar d’étudier sans souci pécuniaire. Ce partenariat s’est perpétué à travers l’histoire et qui continue d’exister.

Plusieurs commentateurs expliquent que celui qui assume le rôle de Zévouloun est dignement récompensé : il mérite de s’asseoir dans le même emplacement qu’Issakhar, dans le monde futur, et de comprendre toute la Torah, au même niveau que lui.[1]

Rav Yaakov Kamenetsky soulève une difficulté évidente. On peut comprendre que Zévouloun y apprenne la Torah, mais celle-ci ne s’acquière qu’à travers une vie d’efforts et d’approfondissement, d’analyse et de maintes révisions des acquis. D’ailleurs, Issakhar, lui-même ne détient ses connaissances que grâce à son ardeur et à d’innombrables répétitions. Ainsi, comment Zévouloun peut-il acquérir le même savoir en Torah qu’Issakhar sans avoir autant  travaillé?

Il répond en rapportant tout d’abord la célèbre Guémara qui nous informe qu’un fœtus apprend toute la Torah dans le ventre de sa mère et quand il naît, un Ange le frappe au-dessus de la lèvre et lui fait oublier toute cette instruction.[2] A priori, il est donc possible de connaître toute la Torah sans œuvrer pour cette cause. Or, un verset affirme : « L’homme fut créé pour le labeur. »

En réalité, la Torah apprise entre profondément en l’homme et sa Avoda (sa mission) est d’investir son énergie pour réacquérir toute la Torah oubliée.

Ainsi, chacun d’entre nous est intrinsèquement lié à la Torah, puisque nous l’avons apprise avant de naître. Mais cela ne suffit pas ; il faut la retrouver grâce à nos efforts. Ce travail se manifeste généralement par l’étude même de la Torah. Mais il existe une autre sorte d’efforts qui permet également à la personne de la réapprendre. Il s’agit des actions menées pour faciliter l’étude de la Torah de quelqu’un d’autre.

Zévouloun est, comme tout le monde, viscéralement rattaché à toute la Torah. Il n’étudie pas la Torah, mais il travaille pour permettre à Issakhar de le faire. Puisqu’il s’active en faveur de l’Étude, le verset « L’homme fut créé pour le labeur » peut lui être attribué et il mérite sa place aux côtés d’Issakhar dans le Monde Futur.

L’enseignement du Rav Kamenetsky nous inculque un principe fondamental. L’individu peut travailler dans divers domaines, pour diverses raisons. Par exemple, il peut peiner pour subvenir aux besoins de sa famille et pour soutenir l’étude de la Torah ou d’autres causes importantes, ou bien faire le même métier pour des causes moins altruistes (peut-être simplement pour accumuler des biens).

La richesse n’est pas négative, mais il ne faut pas qu’elle devienne un but en soi. La même action peut être considérée comme une Hichtadlout excessive pour des objectifs secondaires, ou bien comme une partie de l’étude qui permet de remplir son obligation et de mériter une place de choix dans le Olam Haba, parmi les érudits en Torah.

Notons, pour conclure, qu’il existe une différence entre Issakhar et Zévouloun, comme le montre l’histoire suivante. Rav Aharon Kotler rencontra un jour un riche donateur qui finançait plusieurs institutions de Torah. Celui-ci demanda au Rav ce qui différenciait Issakhar de Zévouloun, si tous deux partagent les mérites de la Torah étudiée (par Issakhar et sponsorisée par Zévouloun). Rav Kotler lui répondit qu’effectivement la récompense dans le Olam Haba est répartie, mais la différence se trouve dans le Olam Hazé. Ceux qui se consacrent à l’étude de la Torah ressentent les plus vifs plaisirs dans ce monde, une jouissance qui n’est possible qu’en se liant directement au Limoud. C’est ainsi que l’on créera le lien le plus profond avec Hachem.



[1] Voir Émet Léyaakov, Parachat Vézot Habérakha, p. 542, note7, qui liste plusieurs A’haronim de cet avis, dont le ’Hida, le ’Hafets ’Haïm et Rav Aharon Kotler.

[2] Nida, 30b.