La Parachat Vayigach nous dit : « Yaacov envoya Yéhouda devant lui, vers Yossef pour préparer avant lui l’entrée à Goshen ; ils arrivèrent en terre de Goshen. » (Beréchit, 46:28)

Rachi commente, sur les mots « Avant lui » :… et le midrach agada affirme : pour enseigner avant lui ; pour lui préparer une maison d’étude de laquelle sortira l’enseignement.

Le midrach, dans Beréchit Raba, 95:2 ajoute une divergence d’opinion entre Rabbi ‘Hanina, le fils de Rabbi Aha et [un autre] Rabbi ‘Hanina ; l’un dit que c’était pour préparer une habitation pour Yaacov et l’autre affirme que c’était pour lui préparer une salle d’étude, pour qu’il y enseigne la Thora et que les tribus étudient à l’intérieur.

Avant que la famille de Yaacov ne descende en Égypte, ce dernier envoie Yéhouda pour préparer le terrain. Selon un avis, le but de sa mission est d’établir un Beit HaMidrach (maison d’étude). Ceci nous enseigne que lorsqu’on entreprend un projet, il faut donner priorité au spirituel avant de s’occuper des aspects matériels.

Le Chla HaKadoch en déduit que peu importe l’entreprise, nous devons tout d’abord réfléchir au côté sacré de la chose. Ainsi, si une personne construit une maison par exemple, elle doit préalablement réserver un endroit pour l’étude de la Thora, la prière, l’introspection et les réunions avec des érudits en Thora. Ensuite, seulement, elle peut prêter attention aux nécessités matérielles[1].

Pourtant le midrach fournit une seconde opinion, selon laquelle Yaacov envoya Yéhouda pour lui préparer un simple lieu de résidence. Cet avis paraît difficile à comprendre – pourquoi était-il nécessaire d’envoyer le meneur de la fratrie, Yéhouda, pour une tâche si banale ? N’était-il pas possible de nommer quelqu’un d’autre, d’un niveau inférieur, pour assumer ce rôle ?

Un passage de la guemara parle des différentes attitudes des patriarches vis-à-vis du Beit HaMidrach et, par extension, de la avodat Hachem. Avraham considérait le Beit HaMidrach comme une montagne, Its’hak, comme un champ tandis que Yaacov le voyait comme une maison[2]. Pourquoi Yaacov faisait-il précisément ce lien ?

Parmi les patriarches, Yaacov fut le plus exposé aux vicissitudes de la vie ; il eut affaire à des gens malhonnêtes, dut travailler durant de longues journées, élever une grande famille... Durant de nombreuses années, il dut affronter ces difficultés sans pouvoir consacrer son temps à l’étude ou à la prière.

C’est l’une des forces de Yaacov – il parvint malgré tout à élever ses activités journalières et à les transformer en actes saints. La maison est l’endroit où l’on accomplit toutes sortes d’actes routiniers (boire, manger, dormir, etc.) Yaacov éleva ce genre d’actions, parce qu’il les considérait comme des opportunités pour s’élever. Ainsi, sa maison était à ses yeux un moyen pour améliorer son service Divin.

Nous pouvons à présent comprendre pourquoi Yaacov estima nécessaire d’envoyer précisément Yéhouda pour lui préparer une maison. D’après Yaacov, une maison n’est pas moins « spirituelle » qu’une salle d’Étude ou qu’une synagogue. Chaque aspect de sa vie était imbibé de spiritualité, d’où la nécessité de préparer son habitat par le vertueux Yéhouda.

Yaacov ne voulait pas que ses enfants s’installent en Égypte, pays spirituellement corrompu ; ces derniers devaient vivre dans leurs propres quartiers, formés de modestes maisons, dans lesquelles ils pourraient s’épanouir dans un environnement juif. Cette mission était si importante qu’il ne pouvait la confier qu’à Yéhouda, chef incontesté de la famille.
 

Ce midrach nous offre une leçon vitale – la spiritualité n’es pas confinée dans la maison d’étude ou dans la synagogue. Elle doit pénétrer également dans notre quotidien – notre lieu de résidence, notre attitude dans la maison, etc.

Une personne peut facilement tomber dans le piège et considérer sa maison comme un simple domicile et oublier qu’elle doit mériter le titre de mikdach mé’at – un mini Temple. Un tel comportement peut avoir plusieurs conséquences négatives. Tout d’abord, on risque de permettre certaines influences extérieures dans la maison, qui peuvent nuire grandement au niveau spirituel de la famille. Deuxièmement, on risque de trop rester chez soi et de trop se préoccuper de matérialité, alors qu’il est primordial de consacrer du temps à l’étude de la Thora et autres activités spirituelles à la maison.

C’est d’autant plus important en ce qui concerne le ‘hinoukh (l’éducation) des enfants – ceux-ci voient leurs parents principalement à la maison, et s’ils passent leurs journées à lire le journal ou à fixer l’écran de leur ordinateur, les enfants les imiteront très probablement quand ils grandiront. Ceci, même si les parents répètent constamment que l’étude de la Thora est très importante ; il est bien connu que le comportement des parents a beaucoup plus d’effet sur l’enfant que leurs paroles.

Dans le même ordre d’idées, rav Mikhel Yéhouda Lefkowitz[3] zatsal raconta que quand ses enfants étaient jeunes, il avait l’habitude d’étudier chez lui avec une ‘havrouta (un compagnon d’étude). Ils décidèrent un jour d’étudier plutôt au Beit HaMidrach. Quelques jours après ce changement, le jeune fils du rav Lefkowitz lui demanda : « Papa, pourquoi as-tu arrêté d’étudier la Thora ? » L’enfant n’avait pas réalisé que son père poursuivait son étude autre part, il pensait qu’elle avait complètement cessé. En entendant ceci, rav Lefkowitz reprit sa ‘havrouta à la maison !

Puissions-nous tous mériter d’élever nos maisons et de les transformer en un mikdach mé’at.
 


[1] Torah Chébikhtav – Chla HaKadoch, parachat Vayigach.

[2] Pessa’him, 88a.

[3] L’un des dirigeants spirituels de la génération précédente – il décéda il y a quelques années.