Cette semaine, nous débutons le deuxième livre de la Torah, le livre de Chémot, qui fait la transition entre l’histoire familiale des patriarches et la naissance du peuple juif, sa croissance miraculeuse en Egypte, son asservissement et enfin sa libération afin de recevoir la Torah et d’hériter de la terre d’Israël, tel que D.ieu l’avait promis à Avraham lors de « Brit Ben Habétarim » (l’alliance entre les morceaux).

Le texte de Chémot revêt une actualité particulière dans la mesure où il nous présente l’une des premières formes d’antisémitisme institutionnalisé et à grande échelle. Les ressorts de cet antisémitisme sont bien connus : tout d’abord, l’ingratitude face au bien que les juifs apportent aux nations, illustrée ici par la phrase : « Pharaon ne se souvint pas de Yossef ».

Ensuite, le fantasme selon lequel le peuple juif constitue un « Etat dans l’Etat » et qu’il fomente une révolte ; et bien sûr, en trame de fond, l’opportunité politique pour les dirigeants d’unir leur peuple contre un ennemi commun imaginaire, à défaut d’avoir pu les unir par une politique éclairée et sage.

Mais laissons les antisémites à leur antisémitisme. En ce qui nous concerne, intéressons-nous à ce que notre Paracha révèle à propos du secret et de la grandeur du peuple juif.
 

Durant l’exil égyptien, les Bné Israël connurent une bénédiction particulière qui leur permit d’accroître leur population de manière très significative en un temps record. Cette forte expansion du peuple juif fut l’un des arguments du Pharaon pour l’asservir. Cependant, cette oppression ne servit à rien, et qui plus est, elle ne fit qu’accélérer encore davantage la croissance du peuple hébreu. C’est notamment ce qu’évoque Rachi dans le commentaire suivant :

Et comme ils les opprimaient : Plus ils s’évertuaient à les opprimer, plus le Saint béni soit-Il avait à cœur de les multiplier et de les accroître.

Voilà un commentaire édifiant que les ennemis du peuple juif gagneraient à méditer. Loin de l’affaiblir, l’oppression imposée au peuple juif contribue à renforcer son lien avec Hachem et à lui donner davantage de force. Bien sûr, cette résistance miraculeuse est insupportable aux yeux des antagonistes d’Israël car cela remet en cause non seulement leur confiance en leur puissance, mais aussi leur approche matérialiste du monde et des rapports de force.  C’est également ce qu’indique Rachi quelques mots plus loin :

Ils furent écœurés (Vayakoutsou) : Ils ont été écœurés de la vie (selon certains, cela signifie que les égyptiens étaient écœurés d’eux-mêmes). Nos Maîtres expliquent que les hébreux étaient comme des épines dans leurs yeux.

Dans ce début d’exil que connaît le peuple juif, cette notion d’épines est une image récurrente dans le texte biblique. En effet, lors de la Paracha précédente, Rachi expliquait que la localité de « Goren Haatad », dans laquelle a démarré le grand deuil en l’honneur de Yaakov Avinou, signifiait « la grange des épines ». Yossef avait alors déposé sa couronne sur le pourtour du cercueil et avait été ensuite imité par les rois des pays voisins. Cela donnait l’impression que le cercueil était entouré d’épines.

Cette image est bien sûr loin d’être anodine. Il s’agit d’un message spirituel que Yaakov souhaite donner à ses enfants alors qu’il entame un voyage que feront plus tard ses descendants depuis l’Egypte jusqu’en Israël, en traversant des contrées qui se révèleront hostiles ou ayant des mœurs impures. Yaakov Avinou nous rappelle ainsi que face à l’adversité, le peuple juif dispose d’une protection infaillible : des épines invincibles qui ne ploient et ne cèdent sous aucun assaut.

Cette protection, symbolisée par la couronne de Yossef Hatsadik, est bien évidemment celle de la Providence divine représentée par la Torah et les Mitsvot qui accompagnent le peuple juif dans tous ses exils, et qui le protègent contre toutes les formes d’oppression, aussi bien physique que spirituelle.

Cette protection éternelle inhérente au lien intime unissant Hachem aux Bné Israël est rappelée dans les derniers mots de notre Haftara, par le prophète Jérémie (chapitre 2, versets 1-3) :

« La parole de l'Eternel me fut adressée en ces termes : "Va proclamer aux oreilles de Jérusalem ce qui suit : Ainsi parle l'Eternel : Je te garde le souvenir de l'affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, lorsque tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte. Israël est une chose sainte, appartenant à l'Eternel, les prémices de sa récolte : ceux qui en font leur nourriture sont en faute ; il leur arrivera malheur," dit l'Eternel »
 

Pour conclure, rappelons que ces épines ne sont nécessaires pour protéger Israël que dans un monde où règnent l’impureté et l’immoralité. En effet, lorsque la sainteté d’Israël sera reconnue par les nations, les épines ne seront plus d’aucune utilité. De même que « le loup et l’agneau paîtront ensemble », de belles roses se substitueront alors aux épines. Elles susciteront le respect et la sollicitude de tous ceux qui les verront, comme l’indique ce verset du Chir Hachirim (Cantique des Cantiques) évoquant la beauté du peuple d’Israël : « Ton corps est comme une meule de froment, bordée de roses ».

La vocation messianique du peuple juif, tout comme l’horizon final de l’aventure humaine, réside peut-être dans l’espoir que les nations finiront par ne plus confondre les épines avec les roses.