La paracha de Vaeira marque une étape charnière dans l’histoire du peuple Juif puisqu’elle coïncide avec le début du processus de libération des enfants d’Israël, et elle témoigne magistralement de la présence et de l’intervention de D.ieu dans l’histoire des hommes.

Cette idée est au cœur même de la foi juive, et un des particularismes les plus puissants de notre tradition. En effet, nous ne considérons pas que l’Eternel est simplement le Créateur de la Terre et du Ciel, et qu’il s’est ensuite retiré de l’histoire des hommes. Nous portons, au contraire, le témoignage que D.ieu agit auprès des hommes en permanence, et qu’Il est intéressé par ce qui arrive à l’humanité. Aussi, il est possible de L’invoquer, de Le prier, et de solliciter Son aide au quotidien.

La paracha de cette semaine illustre pleinement ce principe, les enfants d’Israël sont encore esclaves mais la grande roue de l’histoire est en train de tourner et la porte de la liberté s’ouvre progressivement.

Nos Sages nous enseignent ainsi, à propos du verset « Alors l'Éternel parla à Moïse et à Aaron; il leur donna des ordres pour les enfants d'Israël et pour Pharaon » (Shemot, 6.13), que c’est précisément à ce moment que Moshé va transmettre au peuple une mitsva spécifique qu’ils devront observer lorsqu’ils s’installeront sur le leur terre : la libération des esclaves (Talmud de Jérusalem, Roch Hachana 3.5)

Comme nous le savons, le respect de la dignité et de l’humanité des esclaves est un principe fondamental de la Torah. Il revêt une importance d’autant plus forte que nous avons été, nous-mêmes, esclaves en Egypte et que nous avons vécu dans notre chair les affres physiques et psychologiques de la servitude.

Et de fait, l’Eternel a tenu à ce que ce commandement soit transmis aux enfants d’Israël tant qu’ils étaient encore esclaves afin que l’importance de cette loi trouve un écho dans la sensibilité des hommes et s’ancre définitivement en eux. C’est là une règle éternelle : nul ne peut mieux comprendre ce qu’est l’esclavage que l’esclave lui-même, nul ne peut mieux comprendre ce que signifie « avoir faim » que celui qui est affamé.

C’est précisément à partir de la sensibilité à Autrui, à sa souffrance, à ses besoins, que l’homme peut trouver la force et l’inspiration pour développer son hessed, ses actes de bonté et de générosité, qui sont les piliers centraux de la Torah et de l’existence du monde.

 Or, c’est bien souvent lorsque l’homme connait des difficultés, D.ieu nous en préserve, qu’il réalise la réalité et l’étendue de la souffrance de son prochain. Aussi, les moments d’adversité qu’un homme peut rencontrer sont bien souvent l’occasion pour lui de prendre des bonnes résolutions, d’aller chercher au fond de lui tous les trésors de générosité et de bonté qui y étaient enfouis (cf. Tossefot sur Choulin 2b).

C’est ainsi qu’un rabbin avisé attendait une heure avant la fin de Yom Kipour, au moment où la faim est la plus forte, pour exhorter ses fidèles à être généreux envers les pauvres. Il les exhortait alors à mesurer ce que souffrir de la faim signifie, surtout lorsqu’on n’a pas la perspective de pouvoir manger une heure plus tard.

C’est ainsi que la sensibilité à autrui, la compassion, l’empathie, sont des vertus fondamentales de notre tradition.

C’est précisément cette vertu qui a permis à la fille de pharaon de sauver Moshe Rabénou. Mesure-t-on ce que ce geste avait d’improbable ? Seule l’humanité, la sensibilité a la souffrance des hommes et le sentiment de compassion ont pu avoir raison de toutes les logiques qui auraient dû en principe rendre impossible ce sauvetage miraculeux.

A cet égard, nos sages nous enseignent la récompense extraordinaire que la fille de pharaon reçut en reconnaissance de sa bonté, et de sa sensibilité à Autrui. En effet, alors que tous les patriarches ont été nommés directement par D.ieu, Moshé reçoit son nom principal, non pas de D.ieu, ni de ses parents, mais de la fille du pharaon Egyptien. Et, de plus, en dépit de tous les noms qu’il avait, c’est par ce nom, qu’il sera désigné et par ce même nom que D.ieu s’adresse à lui. C’est là « la reconnaissance des actes de bonté » nous disent nos Sages (Shemot Rabba 1.26).

Et de même, la fille de pharaon se nomme Bity.a ou Baty.a, « la fille de D.ieu », pour nous dire que l’Eternel la considère comme sa fille, elle qui a considéré un enfant souffrant comme son fils.

Nous sommes invités une fois de plus à mesurer l’importance de la sollicitude vis-a-vis d’autrui, de la bonté et de la compassion. C’est là un des attributs principaux de l’Eternel, désigné par le tétragramme, et qui introduit précisément notre paracha.

Nos maitres nous disent ainsi que le monde ne subsiste que grâce à l’attribut de compassion et de miséricorde auquel a recours l’Eternel pour juger le monde. La contrepartie de ce cadeau divin réside probablement dans les actes de bonté des hommes, qui sont, eux aussi, un pilier du monde.

Puissions-nous, avec l’aide de D.Ieu, ressentir de manière naturelle, apaisée et spontanée les besoins matériels et spirituels de nos prochains afin de leur apporter l’aide qu’ils attendent. En nous renforçant dans les actes de bonté et de générosité, nous participerons ainsi à l’avènement du Mashiah’ et à accomplir la mission que l’Eternel attend de nous.