La Paracha Vaète'hanane poursuit les ultimes recommandations que Moche adresse au peuple Juif avant de quitter ce monde. Il rappelle aux enfants d’Israël les miracles auxquels ils ont assisté et il les enjoint non seulement de ne pas les oublier mais également de conserver la proximité qu’ils ont acquise avec Hachem.

Cette Paracha est également très célèbre, car elle contient des passages qui sont restés parmi les plus emblématiques de la Torah, à savoir le Chema Israël, véritable profession de foi quotidienne du peuple juif mais aussi le texte des dix paroles, ou « dix commandements » énoncés ici pour la deuxième fois.

Toutefois, au-delà de l’exhortation collective adressée aux enfants d’Israël, il se joue également dans notre texte le destin particulier de Moche Rabbénou et notamment l’autorisation qu’il ne cesse de solliciter d’Hachem d’accompagner le peuple juif en Israël.

Sauf revirement inattendu de la volonté d’Hachem, Moche ne pourra pas accompagner le peuple en Israël et il appartiendra à ce dernier, doté d’un nouveau dirigeant, de mener la conquête de la terre d’Israël conformément à la volonté de D.ieu et de s’installer sur cette terre. Parmi les prescriptions que D.Ieu donne aux Enfants d’Israël concernant leur installation en Erets Israël, il en est une qui concerne la désignation de villes de refuges pour les meurtriers involontaires, comme nous l’avions vu dans la Paracha de Matot-Masse.

Trois villes de refuge doivent ainsi être désignées à l’intérieur des frontières d’Israël et trois autres villes doivent être désignées de l’autre côté du Jourdain où vivront les tribus de Reuven, Gad et la demi-tribu de Ménaché. Ces villes de refuge ne joueront leur rôle protecteur que lorsque la conquête sera achevée et que l’ensemble des six villes de refuge auront été désignées. Pourtant, Moché s’empresse dès notre Paracha de nommer les villes de refuge qui se situeront de l’autre côté du Jourdain, en dehors d’Erets Israël, alors même que la conquête n’a pas commencé, que les villes de refuge d’Israël n’ont pas été nommées et que ces villes ne jouerontpas encore  leur rôle de refuge.

Rachi nous donne une explication à propos de cette décision de Moche de désigner immédiatement les villes de refuge qui se situeront en dehors d’Israël, à propos du verset suivant (chapitre 4, verset 41) : « C'est alors que Moïse désigna trois villes en deçà du Jourdain, à l'orient,42 pour servir de refuge au meurtrier qui ferait mourir son prochain sans préméditation et sans avoir été précédemment son ennemi […]»

Alors il sépara (littéralement : « il séparera ») : Il s’est appliqué à penser à les séparer bien qu’elles n’aient acquis cette qualité [de refuge] qu’après la désignation de celles d’Erets Yisrael (Makoth 10a). Mochè s’est dit : « Toute Mitsva que j’ai la possibilité d’accomplir, je l’accomplirai. »

Moche Rabbénou désirait si ardemment accomplir les Mitsvot que dès qu’une Mitsva se présentait à lui, il s’empressait de l’accomplir. Peu importe que l’exécution de cette Mitsva n’était que partielle, peu importe qu’elle n’ait pas encore d’utilité concrète, le fait d’exécuter la volonté de D.ieu suffisait à Moche, et il ne souhaitait en aucun cas différer son accomplissement.

Ces mots de Rachi nous rappellent l’importance des Mitsvot, et la manière dont nous devons les vivre. En effet, dans la « avodat Hachem », le service divin, l’homme peut être tenté de considérer la Mitsva comme une prescription qu’il doit certes accomplir, mais au même titre qu’il doit accomplir toute une série d’activité dans sa journée. Ce faisant, l’homme intègre le commandement divin, la Mitsva, dans un temps social et il perd le goût si précieux d’absolu et de transcendant que la Mitsva recèle. Il ramène, pour ainsi dire, l’infini dans le fini, l’intemporel dans le temporel. Voilà pourquoi, les Sages de la Torah, et notamment du Moussar, invitent l’homme à cultiver en lui un élan spontané dans l’accomplissement de la Mitsva.

Dans Le sentier de la rectitude, Rabbi Moshe Haïm Lussato , un maitre du Moussar décrit les différents degrés que l’homme doit franchir pour parvenir à la sainteté, l’un d’eux est la « zerizout » que l’on peut traduire par « zèle » ou encore « empressement » dans le service divin.

Cette spontanéité dans la pratique des Mitsvot et l’étude de la Torah, permet à l’homme de se sentir porté par un « feu sacré », une envie brûlante de réaliser les Mitsvot qui ne tolère aucune temporisation, aucun retard, aucune mise à distance par la réflexion. Il ne s’agit pas naturellement d’agir de manière irréfléchie, mais il s’agit plutôt d’éviter la tentation de ramener la Mitsva dans les frontières étroites du temps social à l’image de nos autres activités matérielles.

Cet élan peut déconcerter les esprits modernes habitués à valoriserle fait de prendre le temps de la réflexion, et de ne pas se précipiter. Mais cette attitude, aussi louable soit-elle dans nombre de circonstances, est inappropriée dans l’exécution de la volonté divine. Cette dernière fait appel à un autre ressort que celui de la réflexion, elle fait appel avant tout à une adhésion spontanée, naturelle qui se passe de mots, d’arguments ou de raisons.

Le Talmud n’ignore pas ce qu’une telle attitude peut avoir d’incongru pour les esprits rationnels lorsqu’il évoque cette discussion entre un Sadducéen et Rava : "Peuple irréfléchi ! Vous avez fait devancer votre bouche sur vos oreilles, et vous voilà toujours aussi inattentifs ! Vous auriez mieux fait de prêter l’oreille à ce qu’impliquaient les Mitsvot afin de vérifier si vous étiez ou non capables de les respecter !". Rava lui répondit alors : "C’est parce que nous l’avons acceptée en toute confiance qu’il est dit à notre sujet : "L’intégrité des hommes droits est leur propre guide" (Proverbes 11, 3). Mais réciproquement, c’est à propos de ceux qui ne la suivent qu’à la condition d’en percevoir d’abord la validité que le verset ajoute juste ensuite : "La perversion des traîtres provoque leur ruine" (Idem.) ».

Évidemment, loin d’être une naïveté irraisonnée, cette disposition à accepter la Torah avant tout examen par la raison ou la logique humaine est bien au contraire le signe de la grandeur du peuple Juif qui accepte sa finitude, comprend qu’il ne s’est pas créé lui-même et que par conséquent son esprit n’est pas habilité à pouvoir appréhender la transcendance de la Torah.

L’adhésion à la Torah doit effectivement précéder toute réflexion, elle est la condition de possibilité de la vie spirituelle, de la réflexion, et en dernière analyse de la liberté de l’homme. L’illusion rationaliste inverse l’ordre et soumet toute croyance au tamis de la raison, des démonstrations comme si l’esprit humain était capable de démontrer toute vérité. L’aventure scientifique, elle-même, prouve le contraire.

Voilà pourquoi, la Torah engage l’homme à faire échapper la vérité fondamentale de la Torah à toute temporalité humaine, afin de pouvoir connaître la vraie liberté, la liberté profonde qui n’est pas une licence de faire ce que l’on souhaite, mais plutôt la possibilité de coïncider avec l’essence profonde de notre être.