À plusieurs reprises, la Thora nous enjoint de pratiquer la charité. L’un de ces commandements se trouve dans parachat Béhar. « Si ton frère s’appauvrit, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fût-il converti ou résident, afin qu’il vive avec toi » [1].

Les commentateurs expliquent que ce verset se rapporte au cas précis d’une personne qui a perdu son indépendance financière, mais qui n’est pas devenu un véritable ani (indigent) [2]. La Thora nous ordonne de faire la charité à ce genre de personnes et certains commentateurs affirment qu’il s’agit d’une mitsva à part entière [3].

Le Rambam, dans ses grandes lignes sur les lois de la charité, écrit qu’il existe huit niveaux différents de tsedaka, et le degré le plus élevé est atteint lorsque le bénéficiaire du don ne se sent pas dépendant, mais qu’on l’aide à devenir financièrement autonome. [4]. Il s’appuie sur les mots de la paracha de cette semaine, « Soutiens-le ». Le Beit Yossef demande pourquoi c’est la forme la plus noble de charité et explique que de cette façon, la personne n’est pas honteuse d’être assistée. Ceci, essentiellement parce qu’elle n’estime pas recevoir l’aumône. Nous savons qu’il est naturel chez l’homme de vouloir gagner sa vie, et qu’il est humiliant d’être obligé de recevoir des cadeaux. Le fait de donner à autrui sans porter atteinte à sa dignité est donc considéré comme une prouesse, plus encore que le don lui-même.

Nous apprenons d’ici une leçon importante sur le ’hessed. Il est extrêmement important de s’assurer que l’individu qui reçoit quelque chose en soit le moins gêné possible. Le mieux, c’est qu’il ne se sente même pas soutenu, mais que l’on lui montre qu’il est, en quelque sorte, en train d’aider le donateur ! Cette idée est mise en évidence par une interprétation originale d’une guemara épineuse.

La guemara affirme que si quelqu’un dit : « Je donne cette pièce à la tsedaka pour que mon fils vive », c’est-à-dire pour que le mérite de cette mitsva guérisse l’enfant gravement malade, cet homme est un « tsadik gamour » — un homme exceptionnellement vertueux [5]. Plusieurs commentateurs demandent pourquoi quelqu’un qui accomplit la mitsva de façon intéressée mérite un tel éloge.

Le rav Mordékhaï Banet zatsal explique, dérekh drouch – au sens large, que la guemara parle d’un homme qui pratique la charité en faisant attention à ne pas embarrasser la personne à qui il fait le don en question. Il dit donc au pauvre que ce dernier bénéficie de son acte charitable, parce qu’il a un enfant malade qui a des chances de guérir par le mérite de la tsédaka. La guemara affirme qu’un donateur qui trouve le moyen de donner à l’autre tout en évitant son humiliation est un « tsadik gamour » — un individu de grande vertu.

Dans le même ordre d’idées, on raconte l’histoire d’un homme qui acheta des tas de bois et les plaça dans son porche, devant sa maison. Quand il voyait un pauvre, il l’employait pour déplacer le bois vers l’arrière de la maison ; quand un autre indigent arrivait, il l’employait et lui demandait de déplacer les bois vers le porche. Ainsi, il assistait financièrement ceux qui étaient dans le besoin, tout en préservant leur dignité puisqu’il leur faisait ressentir qu’ils méritaient cet argent et non qu’ils recevaient l’aumône [6].

Il n’est pas toujours possible de montrer à l’autre qu’il est lui-même en train de nous aider, mais il reste primordial de s’efforcer de préserver sa dignité le plus possible.

Le rav Zalman Ashkénazi zatsal était un grand baal ‘hessed  et excellait dans ce domaine. Il fonda l’association Messam’hé Lev, grâce à laquelle des milliers de pauvres reçurent nourriture et vêtements. Il s’occupait de distribuer 62 000 paires de chaussures, 30 000 livres (13 608 kg) de matsa, 4000 cartons de vin avant Pessa’h ; 300 000 livres (136 080 kg) de viande et de volaille avant les Yamim Noraïm (Jours Redoutables, entre Roch Hachana et Yom Kippour) ; près de 500 paniers de michloa’h manot à des veuves et orphelins, chacun contenant une enveloppe avec de l’argent pour les dépenses de Pessa’h, il collectait des fonds pour des dizaines de mariages d’orphelins chaque année. Cependant, il ne se contentait pas de subvenir à tous ces besoins physiques. Il se préoccupait toujours de la dignité des bénéficiaires.

Malgré ses efforts pour rester anonyme, il était parfois identifié et sa question était alors « Est-ce assez respectable ? N’est-ce pas rabaissant ? »

Nous avons vu que le fait de donner de façon à ce que la personne qui reçoit l’aide garde sa dignité est très important, au point que cela est considéré comme la forme la plus noble de charité. Puissions-nous tous mériter de donner aux nécessiteux, sans qu’ils se sentent assistés.


[1] Vayikra, 25:35.

[2] Rachi, Vayikra, 25:35.

[3] Voir Ohel Moché, Vayikra, 25:35 pour plus de détails sur ce sujet.

[4] Rambam, Michné Thora, Hilkhot Matanot Aniim, 10:7-14. Par exemple, lui octroyer un prêt ou l’aider à trouver un travail. Le Beit Yossef ajoute que même un cadeau ne gênera pas une personne qui n’est pas réellement pauvre, parce qu’il est courant qu’un homme offre un cadeau à son ami, même quand il n’est pas dans le besoin.

[5] Pessa’him, 8a-b.

[6] L’explication du rav Banet, ainsi que l’histoire qui l’accompagne, sont tirées d’un chiour (discours) du rav Éli Mansour chlita, mis à l’écrit.