« Voici quelle sera la règle imposée au lépreux lorsqu'il redeviendra pur : il sera présenté au Kohen. » (Vayikra 14,2)

« Or, voici la règle de l’abstème : quand seront accomplis les jours de son abstinence, il se présentera à l'entrée de la tente d'assignation. » (Bamidbar 6,13)

Au début de la Parachat Métsora, la Torah parle du processus de purification du lépreux. Les termes employés pour décrire le début du processus sont difficiles à comprendre ; « il sera présenté ». Le lépreux n’est pourtant pas porté jusque chez le Kohen, il vient lui-même, en marchant. Pourquoi parler alors au passif ?

Cette question est renforcée par l’emploi de termes presqu’identiques quand il s’agit de la purification du Nazir. Mais là, la Torah décrit le processus comme on l’aurait imaginé : « Il se présentera… » Quelle est la différence entre le lépreux et le Nazir ?[1]

La situation des deux personnages est très différente et cela nous permet de comprendre la différence des termes employés. Pourquoi un individu devient-il lépreux ? C’est soit à cause du Lachone Hara' émis, soit à cause de l’avarice. Le dénominateur commun entre les deux fautes est de ne pas avoir réussi à maîtriser ses instincts naturels. Concernant la parole, il prend plaisir à médire des autres, même s’il sait que c’est mal. Concernant l’argent, il y est tellement attaché qu’il ne veut pas s’en défaire, même quand il sait qu’il devrait le donner. Dans les deux cas, le lépreux est assujetti par une force extérieure, que ce soit sa bouche ou son argent. Par conséquent, il ne se domine pas. Pour une telle personne, la Torah met l’accent sur la nécessité d’être emmené chez le Kohen plutôt que d’y aller de son propre gré. Cela signifie qu’à cause de son manque de contrôle de soi, il a commis des fautes qui le firent devenir lépreux, et il n’est pas suffisamment libre pour venir seul, il doit y être amené.

Le Nazir entre dans une catégorie de personnes tout à fait différente. Il réalise le risque qu’il a de devenir esclave de ses instincts, en l’occurrence, du vin et de la débauche. Avant de laisser les choses se produire, il prend l’initiative de se séparer du vin et il évite d’embellir son apparence pour éviter la faute et préserver sa liberté. C’est un peu comme s’il disait : « Je risque de trébucher, je vais me prendre en main. » La Torah montre que cette personne entame sa Nézirout de son propre chef, justement parce qu’il sait se maîtriser.

Nous en déduisons qu’une personne peut souhaiter agir d’une certaine façon, mais être esclave de ses instincts et se laisser, de ce fait, dicter par ces derniers. Cette idée est illustrée par une très belle histoire à propos du Rambam, raconté par le Alter de Kelm[2].

Le Rambam était en désaccord avec des sages non-juifs. Ceux-ci croyaient que l’on pouvait habituer un animal à agir avec autant de dignité qu’un être humain, que les instincts naturels d’une bête pouvaient être domptés et atteindre le niveau d’un homme. Le Rambam objecta, arguant qu’il était impossible de changer la nature d’un animal.

Les sages décidèrent de prouver leur point de vue et domptèrent un chat en l’habituant à se comporter comme un serveur. Au bout de plusieurs semaines, ils rassemblèrent fièrement une grande foule, dont le Rambam, pour montrer leur prouesse. Et en effet, le chat se montra à la hauteur de leurs attentes ; il commença par mettre la table et quand les gens vinrent s’asseoir, il s’approcha de chacun en faisant une petite révérence respectueuse. Puis il alla chercher un chariot portant une bouteille de vin pour servir les invités. Soudain, le Rambam sortit une petite boîte et quand il l’ouvrit, une petite souris en sortit. Dès que le chat aperçut la souris, il bouscula le chariot, le fit tomber par terre, ce qui renversa tout le vin. Le chat abandonna son rôle de serveur pour pouvoir attraper la souris ! Voyant cela, tout le monde admit que le Rambam avait raison ; il était impossible d’enseigner à un chat à changer complètement, et pour toujours, sa nature. Tout ce qu’il était possible de faire, c’était de lui apprendre à agir courtoisement tant qu’aucune souris n’était pas dans les alentours, mais rien de plus.

Le lépreux est dans une situation semblable à celle du chat ; il peut vouloir agir d’une certaine façon, mais il n’a pas développé le contrôle de soi lui permettant de réussir à surmonter les défis qu’il rencontre. Le Nazir réalise qu’il est en danger, qu’il risque de tomber dans le même piège que le lépreux et il prend donc l’initiative de se protéger avant de trébucher.

De nos jours, la méthode du Nazir n’est pas nécessairement adaptée, mais l’idée que nous devons retenir, et qui est encore très pertinente, c’est d’étouffer ses désirs avant que ce ne soit eux qui nous étouffent. Ce n’est qu’en étudiant la Torah et en travaillant sur ses Middot que l’on peut en arriver à la véritable liberté.

 

[1] La réponse donnée est basée sur les écrits de Rav Yérou’ham Levovits, et est rapportée par Rav Isakhar Frand.

[2] Darké Moussar, Parachat ’Hayé Sarah, p. 54.