Avec la Paracha de cette semaine, s’ouvre une nouvelle page de l’histoire des enfants d’Israël. La Torah nous précise que les conditions bienveillantes avec lesquelles Ya’akov et sa famille se sont installés en Égypte se dégradent, au point que le « nouveau » Pharaon oublie Yossef, et toute la gratitude qui accompagnait son souvenir.

L’esclavage et l’oppression s’abattent sur le peuple hébreu, et à la souffrance physique s’ajoute évidemment une épreuve morale et psychologique. Ces conditions terribles d’asservissement contribuent notamment à supprimer toute forme d’espoir tant le peuple est accablé par les tâches gigantesques qui lui incombent et par la violence qui lui est infligée. Comme nous le verrons la semaine prochaine, les Bné Israël étaient tellement épuisés par les travaux qu’ils accomplissaient qu’ils n’avaient plus la disponibilité d’esprit nécessaire pour entendre le message d’espoir de Moché Rabbénou quand il se présente à eux pour leur annoncer la libération prochaine.

L’esprit de servitude qui s’instille dans le peuple est particulièrement pernicieux car il étend ses tentacules sur tous les attributs de la dignité d’un homme :  sa capacité à bâtir sa vie, à faire des choix de manière autonome, à préparer son avenir, à penser le futur de sa famille. Lorsque l’homme est en proie au désespoir, tous ces sentiments peuvent sembler dérisoires.

Et précisément, nos Sages nous enseignent que lorsque Pharaon instaura son troisième décret visant à jeter à la mer tous les enfants mâles, le désespoir était tel qu’Amram, un des grands dirigeants des Bné Israël en Égypte, décréta que les hommes et les femmes devaient se séparer afin de ne plus donner naissance à de nouveaux enfants.

Toutefois, face au désespoir des adultes, un sursaut de vitalité et d’espérance viendra des enfants. En effet, ce décret suscita l’indignation de Myriam, la fille d’Amram, qui s’insurgea contre la décision de son père. Elle lui fit remarquer que Pharaon ne visait « que » les garçons alors que lui, empêchait même la naissance de filles.

Cette objection trouva grâce aux yeux d’Amram. Il abolit son décret, et se remaria à nouveau avec son épouse. Quelque temps après devait naître, dans ce foyer, Moché dont Myriam avait prophétisé qu’il serait le futur libérateur d’Israël. Cette prophétie s’incarna notamment dans la grande lumière qui envahit le domicile d’Amram et Yokhéved à sa naissance.

La suite de l’histoire est connue ; Moché sera recueilli par la fille du pharaon et élevé dans le palais royal. Ironie de l’histoire, celui qui souhaitait détruire toute possibilité de vie chez les Hébreux, va élever à son insu leur libérateur.

Nos Sages y voient un exemple de ce verset des Proverbes : « Beaucoup de pensées naissent dans le cœur de l’homme, mais seule la volonté d’Hachem s’accomplit ».

Au cœur même de l’obscurité égyptienne, et en dépit des souffrances de l’oppression, des miracles ont pu avoir lieu de manière individuelle, et les graines de la libération future ont été progressivement semées.

Cette lumière n’a pu voir le jour que grâce à la force d’espérer d’une petite fille qui refusa d’hypothéquer tout l’avenir du peuple Juif en raison de l’oppression, fut-elle terrible. Et aussi, reconnaissons-le, grâce à l’humilité d’un père qui a été capable d’écouter les conseils de sa fille, et d’abolir le décret qu’il avait pris plus tôt.

Ce n’est pas un hasard si c’est précisément Myriam qui a prophétisé la naissance imminente d’un libérateur. En effet, l’inspiration divine ne repose que sur ceux qui gardent un espoir dans l’avenir, et refusent de céder au désespoir.

L’oppression égyptienne était terrible, elle échappait de manière radicale à l’entendement humain et pouvait conduire au désespoir. Toutefois, notre Paracha veut probablement nous indiquer que dans de telles situations, l’homme doit suspendre son raisonnement pour éviter de s’épuiser à essayer de comprendre l’incompréhensible pour un esprit humain. En revanche, il peut investir son esprit et ses forces dans les petites ou grandes décisions qui lui permettent de préserver en lui la dignité, l’espoir et la proximité avec D.ieu.

C’est peut-être là aussi, un des enseignements du nom de l’Éternel, tel qu’Il se définit dans notre Paracha, « Je serai ce que je serai », c’est-à-dire « Je suis le D.ieu du temps futur », suggère le Rav J. Sacks.

Et de fait, l’ensemble de l’histoire juive est tourné vers le futur : la terre « promise », l’espérance messianique, la « reconstruction » du Beth Hamikdach, le Tikoun Hamiddot (le raffinement de ses qualités) et le Tikoun Ha’olam (la réparation du monde), des processus progressifs de « réparation » qui adviennent au cours de l’histoire.

Notre tradition nous enseigne ainsi que ce qui définit l’homme, ce qui lui donne sa force, sa créativité, son énergie, c’est précisément sa capacité à se projeter vers l’avenir, à faire le pari que demain sera meilleur qu’hier, que les erreurs du passé seront surmontées à l’avenir et seront ainsi, rétrospectivement, effacées grâce à la Téchouva.

Cette idée a été retrouvée dans les travaux modernes de la psychologie positive (notamment les recherches de Martin Seligman, dans son ouvrage Homo Prospectus, rapporté par Rav J. Sacks) qui soulignent combien la capacité d’un homme à se projeter dans le futur, et à croire aux potentialités infinies de l’avenir est la source de son épanouissement psychologique et spirituel.

« Ha-Yipalé me Hachem Davar » « Existe-t-il quoi que ce soit d’inaccessible pour l’Éternel ? », demande l’Éternel à Avraham lors de l’annonce de la naissance d’Its’hak. Rien n’est impossible pour le Maître du monde ! Et c’est précisément le moteur de l’espérance du peuple juif dans son histoire collective et pour chaque destin particulier.

Aussi, tous les « petits » actes du quotidien, porteurs de vie et d’espoir, peuvent contribuer à diffuser une grande lumière, à l’image de la naissance de Moché Rabbénou, qui a permis de faire reculer progressivement l’obscurité jusqu’à la libération finale de l’ensemble du peuple.

La foi dans l’Éternel et l’espoir dans l’avenir ont permis de faire échec à tous les plans funestes des ennemis de notre peuple, et nous permettront de susciter très rapidement, avec l’aide d’Hachem, la délivrance finale.