Parmi toutes les fêtes du calendrier hébraïque, et mentionnées dans notre Paracha, Souccot occupe une place particulière : à la fois simple et humble dans sa pratique, mais aussi porteuse d’un message bouleversant.

En effet, le commandement est simple en apparence (même si les conditions de vie modernes le rendent plus difficile dans son exécution pratique) : « Vous habiterez dans des cabanes pendant sept jours… afin que vos générations sachent que J’ai fait habiter les enfants d’Israël dans des Souccot lorsque Je les ai fait sortir d’Égypte » (Vayikra 23:42). Mais que représente cette Soucca ? Une cabane précaire, ouverte au vent, instable par essence. Où est le miracle ? Où est la force de ce symbôle que l’on célèbre pendant une semaine ?

Comme le souligne longuement Rav Sacks dans son commentaire, le sens de la Soucca fait l’objet de différentes interprétations (Traité Soucca, 11a). Les uns, à l’image de Rabbi Eliézer, y voient une évocation des « nuées de gloire » qui entouraient les Hébreux dans le désert — une protection divine surnaturelle. Les autres, à l’image de Rabbi 'Akiva, à rebours, affirme que ces Souccot étaient bien réelles, des cabanes dans lesquelles résidaient les Bné Israël. Dans cette deuxième interprétation, il n’y a pas de miracle visible, pas de dévoilement majestueux, mais un miracle bien plus profond : celui de l’espérance silencieuse mais invincible.

Pour le comprendre, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Nos Sages soulignent combien le fait de quitter l’Égypte fut un acte de foi pour cette génération. Traverser un désert sans savoir de quoi demain serait fait, avancer pieds nus vers un avenir incertain, sans armes, ni abri, ni nourriture, soutenus seulement par une Promesse divine — tel fut le courage du peuple hébreu. Là où tant auraient réclamé garanties et certitudes, Israël se mit en route sans poser de questions.

C’est cette foi que célèbre la Soucca. Non la Puissance divine comme à Pessa’h, non la révélation majestueuse comme à Chavou'ot, mais l’audace, la foi et la fidélité de l’homme au cœur du vide.

À rebours de la logique historique, c’est cette fragilité qui devient notre « saison de joie » — Zeman Sim'haténou. Quelle nation, ballottée par l’histoire, dispersée, expulsée, humiliée, aurait pu faire de sa précarité une fête ? Quel peuple, sans terre ni temple, aurait pu continuer à bénir la vie dans une hutte de fortune ? Quel miracle plus grand que celui-là : garder la foi, sans toit ?

Cette cabane symbolise deux mille ans d’exil. Des maisons brûlées, des ports d’où l’on part sans retour, des pogroms, des ghettos. Et pourtant, chaque automne, le peuple juif construit de ses mains une cabane ouverte sur le ciel, et s’y installe pour manger, chanter, vivre. Il affirme ainsi que rien ne peut entamer sa joie d’être en route avec D.ieu.

Rav Sacks nous rappelle : « Il existe une foi qui ressemble à l’amour ; il existe un amour qui exige la foi. » Ce que D.ieu loue chez Israël, ce n’est pas son obéissance, c’est son courage de marcher près de Lui dans l’incertitude, l’espérance en bandoulière.

Cette interprétation n’est pas sans rappeler la remarque de Rabbi Lévi Its'hak de Berditchev sur les deux noms de la fête de Pessa'h : 'Hag Hamatsot et 'Hag Ha-pessa'h. Le premier est le nom que l’on trouve dans la Torah et à travers lequel l’Éternel désigne cette fête, soulignant le mérite de Ses enfants qui ont quitté précipitamment l’Égypte dans un acte de foi de radical que symbolisent les Matsot ; « 'Hag Hapessa'h » est le nom utilisé par les hommes qui se rappellent, pour leur part, du miracle opéré par l’Éternel pour les sauver en « sautant » par-dessus les maisons juives. Nous pourrions dire que pour Souccot aussi, nous avons ces deux nuances : les nuées de gloire rappellent aux hommes la Providence qui les a protégés durant leurs pérégrinations, alors que la « cabane » rappelle à l’Éternel le mérite de Ses enfants et la force de leur foi.

Les mots du prophète Jérémie, régulièrement rappelés dans notre liturgie, désignent cette foi avec une grande poésie : « 'hessed neourayikh, ahavat kiloulotayikh » «  la bonté/dévotion de ta jeunesse, l’amour du temps de tes fiançailles » quand les enfants d’Israël suivaient l’Éternel dans le désert, quand rien n’était sûr, quand tout était possible.

Dans le monde contemporain qui valorise la sécurité, la propriété, l’ivresse de la maîtrise et du contrôle, la Soucca est une protestation joyeuse. Elle affirme que la vraie force ne se mesure pas à travers l’épaisseur de ses murs ou la puissance de ses armes, mais à travers sa capacité à espérer. C’est aussi là le sens du fameux verset du prophète Zaccharie : « Ni par la force, ni par les armes, mais par mon esprit ». Ce que nous célébrons, ce n’est pas ce que nous avons, mais ce que nous croyons encore possible, l’horizon vers lequel nous tendons, et la foi qui nous habite.

C’est cela, le secret de l’espérance juive : la fidélité de continuer, même quand tout chancelle, être capable de marcher, même dans le doute, en sachant que D.ieu ne nous abandonnera pas.

Au cœur de la Shoah, le Rabbi de Alexander avait ainsi délivré une interprétation particulièrement poignante du verset des Téhilim « lehaguid baboker hasdeh’a ve-émounatekha baleilot » « il est bon de dire Ta bonté le matin, et Ta foi durant les nuits ». Durant les périodes de joie (« le matin » de manière métaphorique), nous sommes prompts à louer D.ieu pour Ses bontés, en revanche, durant les nuits, les périodes sombres de la vie, les hommes sont confrontés à des épreuves de « Émouna » plus difficiles. Mais le verset n’évoque pas la foi des hommes, mais celle de D.ieu (« Ta foi »). Le Rabbi de Alexander nous explique que durant les périodes sombres de la vie, D.ieu a foi en l’homme qu’il ne coupera pas le fil qui le relie à son créateur et qu’il saura trouver en lui les forces de surmonter les épreuves en maintenant sa foi dans son Créateur.

À l’heure où nos sociétés doutent, où l’avenir semble incertain, où les institutions s’érodent, la Soucca est un modèle radical. Elle enseigne que l’avenir ne se construit pas par des bastions, mais par des âmes ouvertes à la Providence.

Quand tout s’effondre, la Soucca se dresse. Modeste, vulnérable, mais pleine de lumière, elle nous invite à espérer, et nous souvenir que la véritable force de l’homme se trouve dans sa foi.