Chaque mercredi, retrouvez les aventures de Eva, célibattante parisienne de 30 ans… Super carrière, super copines. La vie rêvée ? Pas tant que ça ! Petit à petit, Eva découvre la beauté du judaïsme et se met à dessiner les contours de sa vie. Un changement de vie riche en péripéties… qui l’amèneront plus loin que prévu !

Dans l'épisode précédent : Après un échange difficile avec sa mère, Eva décide de se concentrer sur son travail, le temps que les choses s’apaisent… Mais elle n’est pas au bout de ses surprises !

Je n’avais pas revu mes parents, et surtout ma mère, depuis notre dernier échange plutôt mouvementé. Elle avait beaucoup d’idées préconçues sur le monde religieux et je ne pouvais pas le lui reprocher : moi-même, avant de faire Téchouva, je m’imaginais tout un tas de choses sur les juifs pratiquants, alors qu’en fait, ce n’étaient que de fausses idées.

Sur les bons conseils de ma sœur (mais également de la Rabbanite, à qui j’avais raconté mes soucis) je décidais de laisser passer un peu de temps, histoire que les émotions s’apaisent. Je continuais d’envoyer des messages affectueux à ma mère, mais pour l’heure, une invitation à la table de Chabbath n’était pas au programme.

Au moins, sur le plan professionnel je m’investissais sans retenue dans la préparation de mon prochain évènement : l’inauguration d’une grande boutique de luxe parisienne.

Mon client tenait à ce que sa boutique soit au top de la technologie, donc j’avais eu l’idée de proposer aux invités des tablettes qui donneraient des informations de fabrication sur chaque accessoire scanné pendant la soirée. Si l’idée était simple, la réalisation, elle, était assez complexe. Et pour cela, j’avais besoin de l’aide de Morgane, ma collègue spécialisée dans les outils digitaux. J’avais rendez-vous avec elle pour qu’elle m’explique les différentes options. J’étais en confiance, j’avais l’habitude de travailler avec elle sans compter qu’elle était aussi efficace que gentille.

Pendant la réunion, elle me montra effectivement deux options très intéressantes qui ne manqueraient pas d’impressionner les invités. J’avais hâte de les proposer au client. Pendant qu’on ramassait nos affaires, Morgane me dit : “Alors, il paraît que tu as eu une promotion ?

- Ah non, désolée Morgane, ça n’est pas moi, sinon mon compte en banque serait au courant !”

Morgane avait l’air un peu confuse : “Ah bon ? Pourtant ce n’est pas ce qu’on m’a dit, il paraît même que tu fanfaronnes dans les couloirs depuis que tu as eu ce nouveau projet, ça m’a d’ailleurs fait rire, ce n’est pas vraiment ton genre”.

Non, en effet, ce n’était pas mon genre. Pas non plus mon habitude d’être victime de bruits de couloirs. Mais bon, peut-être qu’il s’agissait d’un malentendu, étant donné que ce n’était pas dans les habitudes de Franck de confier de nouveaux projets à ses juniors.

Pourtant, au fil des jours, je m’aperçus que les discussions de couloirs allaient bon train, parce qu’on me fit plusieurs fois la réflexion (de façon détournée) sur le fait que je “fanfaronnais” sur le pilotage de cet évènement.

Décidément, j’avais à faire avec un ou une jalouse qui n’appréciait pas ma soudaine responsabilité...

Je décidais de ne pas y prêter plus d’attention. Après tout, il est connu qu’il y a de la concurrence au travail. Même si je n’avais jamais imaginé pouvoir en être la cible un jour.

En milieu de semaine, la plupart de l’équipe se rendit au café d’en face pour le pot de départ d’une stagiaire. On était tous agglutinés dans ce petit espace, mais ça faisait du bien de parler d’autre chose que de travail. J’étais lancée dans une grande discussion avec Eric, un graphiste, qui m’expliquait les dernières tendances, quand la fameuse stagiaire se mit entre nous et me dit sans détour : “Alors, puisque c’est mon dernier jour, tu peux me le dire : c’est vrai que tu fréquentes Franck ?”

C’est à ce moment que je pulvérisais mon record d’apnée. Qu’est-ce qu’elle venait de lâcher devant tout le monde (qui, bien sûr, s’était retourné vers moi en un instant) ? J’étais si choquée que j’en avais oublié de respirer !

Elle me regardait (ainsi que tout le monde) avec de grands yeux inquisiteurs, donc j’inspirais profondément et lui demandais : “Qui est-ce qui t’a dit ça ? C’est complètement faux !

- Je ne sais pas, j’ai entendu dire que tu fanfaronnais parce que tu avais eu le nouveau projet alors que Franck te l’a confié juste parce que vous vous… fréquentez”.

J’avais des envies de meurtre ! Mais je voyais bien que la pauvre n’y était pour rien et qu’elle répétait des idioties sans même réfléchir.

“Non, on ne se fré-quen-te pas. Franck est mon directeur. On m’a confié ce projet parce que mon travail a parlé pour moi depuis toutes ces années. Pour ta prochaine expérience en entreprise, évite les commérages, ça ne te mènera nulle part”.

Il fallait que je sorte prendre l’air, le petit café était devenu soudain étouffant.

Comment pouvait-on croire si facilement ce genre d’imbécilités ? A croire qu’une femme ne pouvait pas obtenir des projets ni des promotions grâce à son intelligence et son mérite. Bizarrement, je n’avais jamais entendu un ragot pareil vis-à-vis d’un homme. Il y avait quelque chose qui clochait dans ce monde du travail...

Je retrouvais Karen, qui était en train de rire avec des filles des autres départements. J’essayais de me joindre à elles, histoire de me changer les idées. Mais à peine arrivée, les autres filles se turent et s’éclipsèrent, me laissant en tête à tête avec Karen.

“Je vous ai interrompues ?

- Non, pas vraiment, me répondit sèchement Karen.

- J’avais besoin de prendre l’air, la stagiaire a balancé devant tout le monde une énormité ! Elle a insinué que Franck et moi sommes ensemble, tu imagines !

- Et alors… c’est vrai ?

- Karen, je te l’ai déjà dit, je ne suis avec personne. Je sais qu’on se voit moins qu’avant, mais c’est juste que j’ai décidé d’être plus pratiquante depuis quelque temps. Le vendredi et samedi, comme c’est Chabbath, je ne suis plus disponible pour les sorties et les restos. En dehors de ça, je suis toujours aussi présente pour toi et pour le reste. Et tu te doutes que si j’avais rencontré quelqu’un, je t’en aurais parlé… bien avant de me fiancer !

- Comment ça, tu es devenue pratiquante ?”

J’entrepris alors de lui raconter ma découverte de la synagogue, des prières, des cours qui m’inspiraient et façonnaient ma vision de la vie, que je voulais plus profonde, plus riche.

Karen m’écouta attentivement, puis elle me regarda longuement dans les yeux :

“Tu penses vraiment que je vais te croire ? Je sais qu’il y a quelque chose entre Franck et toi, sinon, comment tu expliques que, non seulement tu ne travailles plus les week-ends, mais qu’en plus il t’ait donné ce nouveau client directement ? A te voir, on dirait que tu fanfaronnes dans les couloirs !

- Alors toute cette sale rumeur vient de toi, Karen ? C’est toi qui fais courir le bruit qu’il y a quelque chose autre que professionnel entre Franck et moi ?

- Ben quoi ? Quand je t’ai posé la question de savoir si tu étais avec quelqu’un, tu n’as pas nié, pour le reste, c’est plutôt évident.

- Tu es à côté de la plaque, Karen ! J’ai envie de vivre une vie qui a un sens, je ne vois pas en quoi ça justifie d’inventer des choses à mon sujet ! Tu te rends compte que ça pourrait me coûter ma place ?

- Ben, tu aurais dû y penser plus tôt avant de faire des cachotteries et de te couper de tes amies”.

Et bien moi qui appréhendais de raconter mon évolution à Karen, je m’apercevais qu’au lieu d’agir comme une amie, elle m’avait au contraire fait beaucoup de mal. J’étais victime d’une rumeur qui pouvait mettre en péril mon poste, voire me causer du tort à l’extérieur de l’agence (que diraient les clients s’ils entendaient ce genre de ragots ?). Je ne savais pas vraiment comment agir. Est-ce que je devais me venger ? (Pourquoi ne pas jouer au même jeu que Karen et répandre sur elle les pires rumeurs ? Après tout, elle ne s’en était pas privée !)

Je n’avais pas envie de déranger Guila, jeune mariée, avec mes problèmes. La Rabbanite saurait sûrement me conseiller sur la meilleure attitude à adopter.

Ça tombait bien, il y avait un cours pour dames le lendemain soir à la synagogue et c’est elle qui l’animait. A la fin du cours (ironiquement le thème était : “Comment maîtriser sa colère ?”), je lui racontais ma situation.

J’aimais tellement la Rabbanite, elle semblait vraiment touchée par mon problème de rumeur.

Par contre, elle m’arrêta tout de suite dans mon élan quand je suggérais de me venger : “Lo Tikom Vélo Titor : Tu ne te vengeras pas ni ne garderas rancune”. Ce que ton amie a fait est très grave : le fait de dire du mal d’autrui (que ce soit de vraies ou fausses rumeurs) est du Lachone Hara’ (médisance).

Hachem a horreur de cela et nous l’interdit formellement, parce que les conséquences sont désastreuses, non seulement pour celui qui en est victime… mais aussi pour son auteur ! Par contre, ce n’est pas parce que tu es victime de ragots que tu peux t’y livrer par vengeance. Tu serais doublement perdante. La meilleure solution dans ce genre de cas malheureux, c’est de parler à l’autre, comme tu l’as fait.

Maintenant, d’expérience, reste concentrée sur ton travail et n’y prête pas attention. Non seulement les rumeurs finiront par disparaître, mais quand les gens s’apercevront que tu continues de rester professionnelle sans pour autant avoir de relation privilégiée avec ton patron, ils réaliseront leur erreur et n’accorderont plus de crédit aux paroles de ton amie.”

Conseil précieux mais ô combien difficile à appliquer. Les deux semaines suivantes, je pris sur moi à chaque fois que je croisais des regards suspicieux ou des murmures près de la machine à café. A chaque fois, j’avais envie de hurler : “Tout ceci est faux ! Karen est une menteuse !” Mais je réussis à tenir.

Et la Rabbanite avait raison. Un mardi, les rumeurs finirent par s’arrêter. Le renvoi inattendu d’Audrey de la compta prit tout le monde de court, et on m’oublia vite. A mon grand soulagement, je quittais l’agence sereine ce soir-là, sans la boule au ventre que j’avais depuis plusieurs semaines et qui venait de disparaître… Jusqu’à ce que je découvre David qui m’attendait en bas de mon immeuble… Moi qui pensais être enfin tranquille… Ce ne serait pas pour cette fois !

La suite, la semaine prochaine...