L’huile tient une place importante dans la tradition juive durant toute l’année. En acceptant sa combustion, l’huile accède à une réalité plus élevée : la lumière. Devenir semblable à l’huile, telle est l’invitation de ‘Hanouka !

Elle trône à la place de choix sur nos tables pendant huit jours. Même la douce menace visant notre tour de taille ne saurait nous priver de toutes les prouesses culinaires qu’elle promet, et c’est à sa douce lumière que nous savourons beignets, sfenjes et autres latkes. Je parle bien entendu de la bouteille d’huile !

Des Soufganiot (beignets) et des olives

D’olive, elle fera briller les bougies de ‘Hanouka pendant 8 jours, faisant revivre un antique miracle survenu dans le saint Temple de Jérusalem, il y a quelque 2300 ans. De tournesol ou de colza, elle fera frire les beignets qui raviront petits et grands. En effet, dans un manuscrit original en langue arabe (rapporté dans le Sarid Oupalit du Rav Y. M. Tolédano), Rabbi Maïmon, le père de Maïmonide, parle de l’importance des coutumes juives et cite comme exemple la consommation des beignets nommés "Al Sfinge" pendant ‘Hanouka, où l’abondance d’huile vient rappeler le miracle de la fiole d’huile… (d’où le rêve impossible du beignet light !)

Au-delà de son histoire d’amour la reliant à la mère juive, qui, selon la légende, commence à verser de l’huile dans sa casserole avant même de savoir quelle recette elle concoctera pour Chabbath, l’huile tient une place importante dans la tradition juive durant toute l’année.

L’huile d’olive symbolise la bénédiction et l’abondance. La terre d’Israël est une terre “d’olives à huile et de miel de dattes” (Dévarim 8, 8), où l’oléiculture constitue une base essentielle de l’alimentation, de l’économie et du service d’Hachem dans le Temple. Les oliviers sont particulièrement nombreux en Galilée, en Judée et en Samarie, souvent en terrasses sur les collines, et bénéficient d’un climat méditerranéen idéal. Parfois consommées telles quelles, les olives sont surtout pressées pour produire une huile utilisée pour la cuisson, l’assaisonnement, l’éclairage domestique et le soin du corps.

Une terre imbibée d’huile

Des pressoirs en pierre, souvent taillés dans le roc, témoignent d’une véritable industrie de l’huile, parfois organisée en villages spécialisés aux époques des royaumes d’Israël et de Juda.

À ‘Hanouka, il est encore plus intéressant de se rappeler que le miracle de la fiole d’huile dura 8 jours, pour permettre de voyager de Jérusalem à Téko’a, dans le territoire de la tribu d'Acher, et d’en rapporter de l’huile d’olive pure. Si vous rapprochez la bénédiction d’Acher, qui est “Chéména La’hmo”, “dont le pain et le territoire seront gorgés d’huile”, vous ne serez peut-être pas surpris de retrouver le mot “huit”, Chmoné, dans le mot Chéména. Mais si l’on remarque aussi que la valeur numérique de Acher, 501, équivaut exactement aux mots de diffusion du miracle : “Pirsoum Haness” (386 + 115), c’est déjà plus éclairant. Si je rajoute que la définition de la publication du miracle est de la tombée de la nuit jusqu’aux derniers passants “Min Hachouk”, expression dont la valeur numérique exacte (90 + 411) équivaut exactement aux 501 de Acher, cela devient réellement éblouissant…

Mais c’est au Temple de Jérusalem que l’huile joue un rôle central : la Ménora est allumée chaque soir jusqu’à l’aube, avec de l’"huile d’olive pure, concassée", le premier jus précieux qui s’écoule de l’olive. Après la cueillette, on broyait les fruits et on les disposait en paniers au pressoir : l’huile qui suintait spontanément était dite "pure". Celle qui coulait ensuite, sous la pression de la poutre, ou après un second broyage et une nouvelle compression, était jugée impure pour l’allumage de la Ménora.

Cette huile était néanmoins valable pour les Ména’hot, ou oblations, dont la farine était pétrie à l’huile. Il était même possible d’offrir au Temple une offrande d’huile uniquement, dont une partie serait brûlée sur l’Autel.

L’huile sert aussi pour l’onction des rois et des prêtres, voire même des ustensiles du Temple.

Pourquoi l’huile devait passer par Moché (et non par Aharon)

Mais attardons-nous ensemble sur un petit détail qui aurait pu paraître secondaire : dans la Paracha de Tetsavé, on nous rapporte que l’huile de la Ménora du Sanctuaire devait être apportée spécialement à Moché Rabbénou, alors que c'était Aharon, le Cohen Gadol, qui procédait à l’allumage. Pourquoi ?

Car Moché est celui qui a transmis au peuple d'Israël le secret de l’huile. L’huile, en acceptant sa combustion, accède à une réalité plus élevée et plus raffinée, celle de la lumière. Ceci est la grande leçon de la vie du plus grand berger d'Israël. Moché nous a appris, bien sûr, à sublimer notre réalité pour transformer une vie matérielle en une éternité spirituelle. Mais il est allé beaucoup plus loin.

Après la faute du Veau d’or, alors que le courroux divin allait s’abattre sur le peuple juif, Moché eut cette parole sublime : “pardonne-leur, sinon efface-moi de Ton livre” et par là, il obtient le pardon divin. Le Guide d'Israël demande à s'effacer pour laisser exister son peuple. À cet instant, l’effacement de Moché le catapulte à un niveau équivalent à celui du peuple d'Israël tout entier. L’effacement a généré une réalité supérieure.

C’est pourquoi l’huile de la Ménora est confiée à Moché, maître de l’huile, et à personne d’autre.

Pour conclure notre petite réflexion oléagineuse, je souhaiterais vous glisser, avec l’huile c’est toujours plus facile, une dernière idée.

Deviens ce que tu presses

L’huile d’olive recèle quatre qualités singulières :

  1. Elle ne naît qu’après le broyage et le pressage des olives mûres : il faut qu’elles soient écrasées, humiliées, pour révéler leur essence.
  2. L’huile pénètre en profondeur la matière. Quiconque s’est taché d’huile sait combien elle s’incruste ; depuis l’Antiquité, on l’emploie pour apaiser les plaies, car elle pénètre au-delà de la surface.
  3. L’huile refuse de se mêler à d’autres liquides : versez-la dans l’eau, elle demeure distincte.
  4. Enfin, non seulement elle ne se dissout pas, mais elle s’élève toujours à la surface, régnant paisiblement au-dessus des autres liquides.

Paradoxalement, l’huile est à la fois humble et souveraine : broyée pour exister, mais toujours ascendante en existant.

Dans la mystique juive, les propriétés physiques des choses ne sont que le reflet de leur essence spirituelle. Chaque matière procède d’une énergie supérieure, d’une source invisible qui la façonne.

Devenir "semblable à l’huile", telle est l’invitation de ‘Hanouka.

  1. L’humilité : le pressage de l’olive symbolise le dépouillement de l’égo. C’est en acceptant d’être brisé, en regardant lucidement nos angles morts et nos illusions, que nous laissons jaillir notre lumière intérieure.
  2. La profondeur du lien : l’humilité rend possible la rencontre véritable. Celui qui se gonfle d’orgueil ne laisse place ni à l’autre ni à sa propre vérité. Mais dès que les oripeaux du moi se fissurent, l’homme devient capable de sincérité, d’écoute et d’amour. Alors, comme l’huile, il pénètre le cœur d’autrui.
  3. La fidélité à soi : être ouvert à l’autre ne signifie pas se dissoudre en lui. L’huile demeure distincte au milieu de l’eau. De même, une relation authentique unit deux êtres sans abolir leurs identités. Le Rabbi de Kotsk l’exprimait ainsi : "Si je suis moi parce que tu es toi, et si tu es toi parce que je suis moi, alors je ne suis pas moi et tu n’es pas toi. Mais si je suis moi parce que je suis moi, et que tu es toi parce que tu es toi, alors je suis moi, et toi tu es toi."
  4. L’élévation : Celui qui s’est laissé purifier finit par s’élever. Comme l’huile qui remonte toujours à la surface, il découvre en lui une étincelle divine qui ne peut sombrer. Ce n’est ni vanité ni orgueil, mais conscience d’être, ici-bas, le messager du Très-Haut. Le Talmud dit : "L’émissaire d’un homme est comme lui-même." Ainsi, si D.ieu t’a envoyé dans ce monde, c’est qu’Il t’a confié une part de Sa lumière.

Tel est le sens profond du miracle de l’huile. Car pour pouvoir illuminer, il faut savoir devenir huile : savoir s’humilier sans se nier, s’ouvrir à l’autre sans se perdre, conserver sa singularité tout en s’unissant et, par-delà tout cela, reconnaître la part divine qui nous élève...