'Hanouka symbolise le combat idéologique entre la Grèce et Israël.  Dans les tous premiers versets de la bible déjà, la Torah évoquait le conflit – « les ténèbres couvraient la face de l’abîme » (Genèse 1, 2), « les ténèbres » c’est la Grèce nous disait le Midrach (Rabba 2, 4). Et Israël qui célèbrera plus tard sa victoire sur l’empire grec en allumant des bougies. Une victoire est célébrée, celle de la lumière sur l’obscurité, de quelle obscurité et de quelle lumière parle-t-on ? 

Remontons dans l’histoire.

Une Beraïta (Séder 'Olam, chap. 30) nous enseigne qu’il y avait des prophètes en Israël jusqu’à l’époque d’Alexandre de Macédoine (Alexandre le Grand). Le dernier d’entre eux fut Malakhi, qui n’était autre qu’Ezra le scribe, d’après une interprétation. Ce dernier décéda à l’époque du début du règne d’Alexandre. Dans le canon biblique, Malakhi fut le dernier des prophètes, faisant également partie des Sages de la Grande Assemblée, ceux qui d’après le Talmud, eurent le mérite mais aussi l’audace d’abolir le penchant pour l’idolâtrie au sein du peuple juif. (Traité Yoma, p. 69)

Le Gaon de Vilna expliquant cette Beraïta déclare : « Jusqu’à cette époque, il y avait des prophètes » c’est-à-dire : depuis qu’ils ont tué le penchant à l’idolâtrie, s’annula la prophétie. Voir aussi Mechékh Hokhma – Béaalotékha (11, 17).

Le Gaon de Vilna nous révèle que l’avènement de la Grèce ainsi que son système de pensée socratique naquit au terme de l’ère de la prophétie avec qui elle livra son combat. Prônant que la validité de toute vérité se doit d’être remise à la conscience du sujet, ramenant toute idée au liseré humain des pourtours de sa propre compréhension cognitive, la Grèce tenta d’enfermer l’humanité dans une pensée matérialiste n’ayant pas les moyens intellectuels d’appréhender le sens ontologique de l’existence. Il n’était plus question de corrélation avec la Révélation ou même d’attachement à la prophétie, elle inaugura le pouvoir de la pensée autonome, celle de la critique de la raison pure, abolissant du même coup l’idée d’une vérité unique et transcendantale. Son combat avec Israël résidait là, dans les écrits saints qu’elle a tenté de lui faire oublier en interdisant l’étude de la Torah écrite symbolisée par le feu : « Ma parole ne ressemble-t-elle pas au feu, dit l'Éternel ? » (Jérémie 23:29), un feu qui brûla depuis le buisson ardent dans le désert de Midyane et qui ne cessa guère durant les quarante jours et quarante nuits au sommet du mont Sinaï « car l’Éternel y était descendu au sein de la flamme » (Exode 19).

Les ténèbres, l’obscurité, c’est l’extinction de l’esprit prophétique éclairant chacun dans sa quête spirituelle, le voile sur une époque dans laquelle tout était clair et évident. Ainsi qu’il était de coutume de dire chez les Israélites d’antan « "Venez, allons trouver le Voyant"; car le prophète de nos jours s'appelait alors le voyant » (Samuel 9, 9). La Grèce s’efforça de lui crever les yeux, de le rendre aveugle, espérant ainsi faire perdre tout espoir au peuple tâtonnant dans l’obscurité.

Le feu s’éteignait. Que restait-il aux Juifs ?

Une petite fiole d’huile qui éclaira plus qu’elle ne devait, redonnant l’espérance au peuple noirci par les cendres de ses écrits consumés. Une nouvelle ère venait de débuter, celle de la Torah Orale, le feu de la bible avait laissé place à la lumière du Talmud.

« Le peuple se dirigeant dans l’obscurité a vu une grande lumière » (Isaïe 9, 1), ce sont les étudiants talmudiques que D.ieu éclaire de Sa lumière nous dit le Midrach (Midrach Tanhouma, Noah, 3). Une lumière enfouie dans les méandres des discussions talmudiques et de leur analyse rigoureusement critique se servant pourtant des mêmes mécanismes dialectiques et apodictiques que ceux des philosophes socratiques, mais laissant au sens de l’existence sa place dans un infini appartenant au registre de l’ailleurs indomptable et irréductible, et à l’homme, l’humilité de la contemplation insaisissable. L’impérialisme philosophique était au service de la Vérité révélée et non au service de celle qu’on choisit d’inventer, fût-elle accessible et libératrice.

Cette lumière fut calfeutrée dans les enseignements oraux des maîtres de la doctrine talmudique et offerte aux élèves qui tolèrent le trouble de l’incertitude réflective, vouant le jour comme la nuit au décryptage des énigmes théologiques et juridiques des problématiques proposées par l’exégète talmudique. Le Zohar révèle que la lumière retirée de la Création le premier jour par crainte d’être détournée par les impies est déversée sur les étudiants talmudiques qui noircissent leur visage sur les raisonnements complexes de la Torah Orale (Zohar, Tanhouma, chap.148).

Ainsi ce n’est pas la victoire militaire qui est fêtée ce jour-là, bien qu’elle fut hautement improbable, mais l’enjeu était encore plus névralgique, c’était la guerre de sens à laquelle le petit Israël s’est livré. Les bougies sur le candélabre témoignent qu’il a refusé de capituler face à la séduction grecque d’une vie dénuée de vérité existentielle, une vie de ténèbres, et il a triomphé.