Elicha Hanavi est connu comme le prophète qui a succédé à Eliyahou en tant que leader spirituel du peuple juif. Pour mieux cerner sa grandeur, il est instructif d’analyser l’épisode de sa succession à Eliyahou.

Les Prophètes nous enseignent qu’Eliyahou était sur le point de monter au Ciel. Cinquante autres prophètes, nommés les Bné Hanéviim, demandèrent à Elicha ce qui advenait d’Eliyahou. Rachi relève que lorsqu’ils se référèrent à Eliyahou, ils le nommèrent « Adonékha - ton maître » plutôt que « notre maître. »[1]. Ceci nous enseigne qu’ils étaient égaux à Eliyahou, et se trouvaient à un plus haut niveau de prophétie qu’Elicha qui n’était pas l’égal d’Eliyahou. Si c’est le cas, pourquoi Elicha a-t-il mérité de devenir le prophète de premier plan à leur place ?

Le Béer Moché[2] explique qu’Elicha a mérité cet honneur pour avoir excellé dans le domaine du Chimouch ‘Hakhamim, servir des Sages. En effet, nos maîtres nous enseignent que Chimoucha Guédola Milimouda - servir un homme illustre est supérieur au fait d’étudier auprès de lui, et leur source est le service d’Elicha auprès d’Eliyahou. Le verset dit : « Puis il [Elicha] se mit en devoir de suivre Elie, et il devint son serviteur. » Le Tana Débé Eliyahou[3] relève que le verset ne dit pas qu’Elicha a « appris » auprès d’Eliyahou, mais qu’il l’a « servi » ; en effet, servir un sage est considéré à un niveau supérieur qu’étudier auprès de lui. C’est pourquoi Elicha mérita de conduire le peuple au lieu des Bné Néviim, bien que ces derniers fussent à l’origine à un niveau plus élevé que lui.

Ce n’est pas la première occurrence du Tanakh où un individu est hissé au-delà d’autres personnes qui sont par ailleurs à un niveau plus élevé que lui, grâce à son Chimouch Talmidé ‘Hakhamim. Yéhochoua est également décrit comme un homme qui a servi un Sage, dans son cas, Moché Rabbénou[4]. Certains commentateurs exposent des preuves selon lesquelles Yéhochoua n’a pas été l’homme le plus remarquable après Moché Rabbénou[5]: le Ramban remarque que les douze espions ont été nommés selon l’ordre de leur grandeur spirituelle : or, Yéhochoua apparaît uniquement en cinquième position sur la liste, indiquant par là que quatre des espions se trouvaient à un niveau supérieur au sien. De même, le Rambam[6] cite uniquement Yéhochoua, comme élève de Moché, après Elazar et Pin’has, sous-entendant qu’ils possédaient un meilleur niveau. Or, le Midrach explique que Yéhochoua a eu le mérite de succéder à Moché au poste de chef, car il l’avait servi de toutes ses forces, et en conséquence, il méritait de diriger le peuple juif. C’est pourquoi, parmi toutes les qualités et actions positives de Yéhochoua, le Prophète met en valeur son service auprès de Moché.[7]

La Michna dans Pirké Avot[8] prouve également que le Chimouch ‘Hakhamim est essentiel pour réussir dans la Torah, car c’est l’un des 48 moyens d’acquisition de la Torah. Cela signifie que même si un homme étudie constamment, même auprès de maîtres en Torah, il ne peut se réaliser pleinement en Torah s’il n’a pas servi d’une manière ou d’une autre les Sages. Rav Ya’acov Emden[9] explique pourquoi le Chimouch ‘Hakhamim est si vital. Il écrit : « En servant un maître, on ne le quitte pas, comme il est dit sur Yéhochoua : "Il ne bougea pas de la tente." Dans cette position, on voit et on étudie toutes les conduites de son maître. De plus, en termes de Dérekh Erets (savoir-vivre)[10], rien n’est caché, et même le « bavardage » des érudits en Torah doit être étudié. Il ressort que pour les générations antérieures, qui tremblaient devant la parole de Hachem, même des discussions sur des sujets mineurs de leurs maîtres leur étaient précieuses. »

Rav Emden nous enseigne que le Chimouch ‘Hakhamim ne consiste pas simplement à les servir, mais à passer du temps avec eux et à observer chacune de leurs actions et paroles. Cette fine distinction sépare certains érudits en Torah des géants en Torah, qui, tout en étant d’immenses Matmidim (hommes qui étudient assidument), sont décidés à passer autant de temps que possible avec leurs remarquables maîtres.

Pour revenir à Elicha, il semble que sa dernière interaction avec Eliyahou démontre encore plus sa grandeur d’élève et constitue une leçon pour tous les élèves. Eliyahou demande à Elicha ce qu’il peut faire pour lui avant de quitter ce monde. Elicha demande à Eliyahou d’œuvrer pour qu’il ait le double de Roua’h (esprit prophétique) que lui. D’après nos Sages[11], cela veut dire qu’Elicha voulait réaliser deux fois plus de miracles qu’Eliyahou, et c’est ce qu’il fit. Les commentateurs se posent la question : comment Elicha a-t-il pu s’attendre à ce qu’Eliyahou fasse en sorte qu’il soit à un plus haut niveau que lui-même ?[12] Cela démontre certainement un autre aspect de la grandeur d’Elicha lorsqu’il était élève. Il visa non seulement à imiter son maître, mais même à le supplanter, non par arrogance, mais par désir sincère de se réaliser. Ceci nous enseigne qu’un élève doit s’évertuer à tirer le meilleur profit possible de sa relation avec son enseignant.[13]

Nous avons vu qu’Elicha, aux côtés de Yéhochoua, est le paradigme du brillant élève qui a imité son maître, et ceci devrait nous motiver à développer nos relations avec de remarquables maîtres ; prenons conscience que sans cela, il est impossible de réaliser notre plein potentiel

 

[1] Rachi, Rois II, 2:3

[2] Cité dans Michbétsot Zahav, Rois II, p.24.

[3] Tana Debé Eliyahou Rabba, chapitre 5.

[4] Yéhochoua, 1:1

[5] Michbétsot Zahav, Yéhochoua, pp.8-9.

[6] Hakdama de Yad ‘Hazaka.

[7] Bamdibar Rabba, 21:14.

[8] Avot, 6:5.

[9] Léchem Chamayim, Avot, 6:5.

[10] Ce terme a divers sens, dans ce contexte, il désigne la manière dont un individu se conduit dans la vie quotidienne.

[11] Sanhédrin, 47a.

[12] Voir Michbetsot Zahav, Mélakhim II, pp.32-38.

[13] Bien entendu, sans empiéter excessivement sur le temps et les forces de son maître.