Impossible d’entamer le livre de l’Exode sans rendre hommage à l’homme providentiel qui aura permis l’installation de la famille de Ya’akov en Egypte. Ce personnage hors norme, au destin si particulier, si singulier, sera le maillon indispensable à la formation du peuple hébreu en terre étrangère.

Né de Ra'hel, la femme tendrement aimée par Ya’akov, Yossef est un élu de D.ieu. 

Il semble que toutes les fées - à savoir les talents – qui se sont penchées sur son berceau lors de sa naissance l’ont doté de la perfection. 

Quand Yossef vient au monde, Ya’akov respire : l’antithèse de 'Essav est né. L’homme des faux-semblants, le champion des apparences, l’être vide qui ne sait que prétendre, est désormais vulnérable. Car Yossef, gratifié d’une beauté sidérante (le Midrach raconte que les jeunes filles, lorsqu’il défilait dans les rues d’Egypte, grimpaient sur les murailles pour l’apercevoir), n’en joue pas. Son aspect extérieur fait uniquement écho à la richesse de son intériorité. Sa piété non plus n’est pas feinte, elle l’habite. Il est l’étincelle, comme dit Rachi, qui va incendier les artifices d’Edom pour en faire un feu de paille. 

Il est en communion totale avec sa propre personne. Pas de décalage entre le paraître et l’être : Yossef c’est l’homme abouti. Fond et forme. 

12 ans de réflexion

Mais dans ce début de parcours presque trop idéal, alors qu’il doit devenir le principal héritier du Patriarche Ya’akov, un drame guette. Yossef va être brutalement projeté dans une épreuve qui va le tester dans son intime le plus profond.

Par deux fois, l’enfant prodige va se faire gifler par le destin, alors qu’il agit au mieux. La première lorsqu’il écoute son père et se rend auprès de ses frères qui font paître leurs troupeaux. Ceux-ci complotent sa mort et le jettent finalement dans un puits infesté de scorpions et de serpents. 

Un enfant de 17 ans, prunelle des yeux de son père, issu de la famille la plus respectable, la plus raffinée qui soit, après avoir obéi à son père adoré, se retrouve seul au monde, arraché des siens, exilé dans l’endroit le plus décadent du monde. 

La maîtresse de la maison dans laquelle il atterrit ne s’y trompe pas : c’est là un jeune homme tout à fait exceptionnel et les astrologues lui prédisent même une descendance de lui. Elle fera tout pour le séduire, et le Midrach fait l’inventaire des subterfuges que Lady Putiphara, femme de la noblesse et d’une grande beauté, utilisera nuit et jour pour le faire trébucher.  

Yossef ne faute pas. Les tourments de cet adolescent devaient être surhumains, car c’est là qu’il recevra l’épithète de Tsadik (pieux). Après cette épreuve monumentale qu’il surmonte héroïquement, il reçoit sa deuxième "récompense" : 12 ans dans les geôles infâmes de Pharaon, faussement accusé par la Lady en question. Douze ans pour réfléchir à sa condition misérable, au mal qu’on lui a rendu contre le bien qu’il a fait, à l’ironie de son sort. 

Comment aurions-nous réagi à sa place ? En général deux issues se présentent à l’homme lors d’une situation insupportable et surtout injuste : la révolte ou la dépression.

Et Yossef, l’enfant prodige, aux belles boucles, attend. Douze années de réflexion, de 17 à 29 ans, où jour après jour, il a tout le temps de ressasser les événements malheureux qui se sont déroulés pour lui et le sort qui s’acharne. 

Navigateur au long cours

Mais la force de Yossef, c’est d’avoir compris que le découpé tortueux de sa vie, les souffrances, l’iniquité qu’il subit, ont un sens qu’il ne peut saisir dans le prisme du "ici" et du "tout de suite". Il réalise qu’il est un élément dans la marche de l’histoire et qu’une Main dirige son destin, aussi opaque soit-il. 

Et en ça, Yossef est l’anti-'Essav. Le fils de Ra'hel est un navigateur solitaire, au long cours, un marathonien endurant. C’est le juif, qui continue à croire que la réalité du présent n’est pas tout, qu’il faut parfois des années, des décades et même une vie pour comprendre un dessein. Cette force, il l’a peut-être héritée de cette maman hors-pair, qui elle-même a su faire taire son "maintenant", à savoir son union avec Ya’akov, au bénéfice de sa sœur…

Confiant en sa carte de route, ne perdant jamais le nord, Yossef navigue sur les mers les plus houleuses, sa longue vue à l'œil, scrutant l’horizon. Il a compris que les événements le dépassent, qu’il ne domptera pas les vagues déferlantes qui s’abattent sur lui, mais qu’à l’aide de ses boussoles parfaitement réglées, il atteindra le rivage. Il faut juste tenir bon et reconnaître qu’il y a un Guide.  

 

Hymne à tous ceux qui attendent

Difficile de comprendre comment le peuple juif aurait pu tenir son périple à travers l’Histoire sans cette étincelle héritée de Yossef. C’est à cet homme hors du commun que nous devons la faculté de percer l’obscurité de l’Exil sans désespérer. Pas étonnant que ce soit lui qui parte en éclaireur sur la terre étrangère par excellence, l’Egypte. 

Alors que se dessine la fin de l’esclavage dans nos Parachiot, on se devait de prendre congé de ce personnage étonnant. Déterminé, ignorant les ricanements qui l’entourent et traversant patiemment les crises sans perdre ses convictions, lui seul pouvait donner la réplique aux cyniques, qui n’ont de cesse de déclarer que c’est ici que ça se passe, et qu’on a 120 ans pour en profiter. 

Il nous apprend qu’en fin de compte, le Mal apparent qui nous est fait rentre dans un projet divin. A quoi bon rancune et amertume puisque notre tracé, aussi sinueux soit-il, va immanquablement nous mener à bon port ?

Yossef parle à tous ceux qui attendent leur délivrance et désespèrent de la voir arriver. Il dit à ceux qui cheminent à tâtons dans l’obscurité de leur prison, que l’aube va pointer et que tôt ou tard, nous allons atteindre le rivage, au niveau personnel ou collectif. 

Heureux sommes nous, Yossef, d’avoir mérité un tel capitaine à notre vaisseau. La traversée peut maintenant commencer.