On demanda à ma fille, bénévole dans un centre de réhabilitation hospitalier, de se rendre dans la chambre d’un certain patient pour lui donner son « oreiller en forme de cœur ».

Le patient se remettait d’une opération au cœur, et tousser lui était très douloureux. L’hôpital lui avait donné un oreiller rouge vif, en forme de cœur, pour presser contre sa poitrine lorsqu’il sentait l’arrivée d’une quinte de toux. La pression du coussin sur l’extérieur était supposée atténuer la douleur de l’intérieur.

Avec son optimisme habituel, ma fille tenta de remonter le moral du patient d’humeur assez sombre. « Quel beau coussin !, s’exclama-t-elle en le lui tendant. Il est si gai et coloré. »

L’homme regarda l’oreiller et soupira.

« Peut-être, admit-il, mais qu’ai-je dû traverser pour l’obtenir ! »

Cet incident m’a fait penser aux cheminements et destinations de l’existence, ou, si vous voulez, aux processus et aux buts. Car, comme tout le monde le sait, ce sont deux entités totalement distinctes.

Nous aspirons à certaines choses, collectivement et sur le plan individuel. Nous voulons être des gens bons. Nous voulons servir Hachem de tout notre cœur. Nous voulons réussir nos mariages, réussir avec nos enfants, dans notre carrière. Il n’y a pas d’ambigüité sur nos objectifs. Pour un grand nombre d’entre nous, c’est le processus pour y arriver qui est problématique.

Le patient dans notre histoire a un bel oreiller, mais il l’a reçu au prix d’une opération à cœur ouvert. C’est un lourd prix à payer. Je ne suis certainement pas en faveur d’une opération pour payer le prix d’un coussin ! Mais qu’en est-il d’une opération pour payer le prix d’une vie en bonne santé ?  

Le cas de ce patient n’est pas vraiment représentatif de mon idée ici, car une opération difficile n’est généralement pas optionnelle. Mais dans de nombreuses situations de la vie, nous agissons par choix. Par libre arbitre. Combien de fois repoussons-nous des objectifs louables, car la voie pour y arriver semble trop ardue ?

En voici quelques exemples :

Joe veut être médecin. Mais la voie pour parvenir à obtenir un beau bureau où le diplôme est exposé sur le mur, sans mentionner des patients reconnaissants et l’argent dans le compte en banque, est longue et difficile. Il n’y a aucun moyen d’arriver du point A (Joe est un élève ordinaire qui a fini le lycée) au point B (Dr. Joe avec le diplôme et une carrière illustre) sans débourser beaucoup d’argent et travailler avec acharnement.

Joe va-t-il aller au bout de ses choix ? Va-t-il se lancer sur la voie qui le conduit à son but, ou hausser les épaules et renoncer à son rêve qui lui semble trop long et trop difficile ?

S’il choisit de s’embarquer dans cette aventure, le fera-t-il dans la joie, ou détestera-t-il chacun des instants qui l’y conduisent ? Embrasse-t-il le but, ou le processus également ?

Penny a environ 15 kilos de trop et elle déteste chaque gramme superflu. Elle aspire à avoir bonne allure dans ses habits, à se sentir légère sur ses pieds, et même à être admirée. Mais la route vers le Point B - Penny arrivant au poids désiré - est semée de privations douloureuses. Plus de glaces en été ou de petits biscuits le soir. Adieu aux gâteaux, pareil pour le chocolat. Elle doit envisager un avenir de comptage de calories et de glucides. Ce processus va-t-il la dissuader de poursuivre son rêve ?

C’est une chose d’adopter un but. C’est facile, tous les êtres humains ont des aspirations. Mais accéder à ce but n’est pas le seul aspect qui a le pouvoir de nous rendre heureux. Nous devons également trouver de la joie à chaque étape sur notre chemin.

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Tal Ben-Sha’har est un célèbre auteur dont le sujet favori est le bonheur. Il s’intéressa au sujet après avoir remporté une compétition athlétique pour laquelle il s’était entraîné pendant des mois. La réception de ce trophée lui procura naturellement une joie intense. L’espace de quelques heures, il jubila. Il était euphorique. Il se sentait sur une autre planète.

Ensuite, quelque chose d’intéressant se produisit. L’euphorie s’atténua, et il resta avec un sentiment de vide. Il réalisa que ce n’est pas le sentiment d’être arrivé au sommet qui rend heureux, mais le processus pour y arriver.

Si vous voulez profiter de la vie, il faut trouver un moyen non seulement de jouir du but auquel vous avez accédé, mais également du processus au terme duquel vous l’avez atteint. Car le but peut être très lointain. Il peut se trouver au terme d’une route longue et parfois difficile.

Pourquoi ne réserver le bonheur que pour la toute fin ?

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Parfois, le but est si éclatant, si lumineux, que nous ne pouvons détourner notre regard suffisamment de temps pour prendre le temps de profiter des efforts qu’il est nécessaire de déployer pour y arriver. Par exemple, lorsqu’on se marie, qu’on finit l'étude du Talmud, ou qu’on publie son premier livre. Mais la part du lion de notre temps est passée à nous consacrer à la ligne de but, et non à savourer notre triomphe en chemin. Nous devons tenter de trouver le bonheur dans le travail nécessaire pour y arriver, sinon, nous risquons d’être privés de joie.

Je connais un homme qui, lorsqu’il se fiança, était naturellement au septième ciel. Une seule chose portait atteinte à son bonheur. « Je ne pourrai plus rencontrer de jeunes filles en rendez-vous… »

J’imagine que de très nombreux célibataires seraient heureux de renoncer à ces rendez-vous avec des inconnus dans le but de trouver un conjoint pour la vie. Le but, bien entendu, est d’arriver à un mariage heureux. Mais voici un gars qui, tout en restant focalisé sur son but, a réussi à profiter également du processus. Au lieu de traverser cette étape obligée en grommelant, il l’a appréciée.  

Ce principe peut s’appliquer à toute entreprise humaine. En s’appuyant sur le tempérament de la personne, différentes personnes apprécient certaines choses plus que d’autres. Mais rien ne peut empêcher aucun d’entre nous de retirer du plaisir dans ce que nous faisons. Comme dans beaucoup de domaines de l’existence, tout est une question d’attitude.

Pour ma part, rien ne me procure plus de bonheur que de finir un livre… excepté le bonheur quotidien de l’écrire. Si je ne trouvais pas de plaisir à imaginer des personnages, à élaborer une intrigue et à créer des mots, je ne serais probablement pas écrivain. Je refuse de souffrir misérablement en chemin dans le but d’arriver à destination. Tenir mon livre publié en main est bien entendu un merveilleux sentiment, mais je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas profiter de chaque étape du processus !

Vous espérez certainement voir beaucoup de Na’hat de vos enfants un jour, mais ne vaut-il pas la peine de tenter de retirer beaucoup de plaisir de ce qu’ils sont actuellement ? De toute évidence, débutez votre ascension en ayant pour but le sommet de la montagne qui se trouve dans les brumes de l’avenir, mais ne négligez pas les étapes de plus basse altitude en chemin. La recette du bonheur quotidien est de profiter non seulement du sommet désiré, mais de chaque étape de l’ascension.

Le bonheur n’est pas simplement le couronnement de nos efforts. En adoptant l’attitude appropriée, chaque pavé sur notre route peut être en or. C’est une très bonne nouvelle, car la route est le lieu où nous sommes destinés à passer la majeure partie de notre temps !

Libby Lazewnik - Yated Neeman