Dans la tradition juive, nous avons une pratique hebdomadaire de compter littéralement nos Brakhot.  

Depuis mon plus jeune âge, chaque semaine, j'attendais la Brakha du vendredi soir de mon père. Lorsque je partis pour une année en Israël, je l'obtenais par téléphone, et si je la manquais, je savais qu'avant le Kiddouch, mon père fermait les yeux, me voyait de loin et m'envoyait sa Brakha de manière télépathique. J'ai toujours su que la distance géographique ou des fuseaux horaires différents ne pouvaient cesser le flux de la Brakha chaque vendredi soir.

Même aujourd'hui, à l'âge adulte, j'attends avec impatience de sentir sa main sur ma tête, son murmure dans mon oreille et sa bise sur la joue. Je suis certes un grand-père moi-même, mais lorsqu'il est chez moi et qu'il est possible d'avoir un contact, je chéris encore aujourd'hui ce moment précieux où il me donne la même Brakha reçue chaque semaine depuis plus de quatre décennies.

Depuis que je suis devenu papa, j'ai attendu avec impatience de pouvoir donner à chacun de mes enfants cette Brakha hebdomadaire. La technologie s'est améliorée et aujourd'hui, avec l'aide de Facetime, je peux mettre mes mains sur leurs têtes, même s'ils sont à des milliers de kilomètres, et prononcer les mêmes mots.

D'où vient cette coutume ? Quelle est sa source ?

Dans la Paracha Vayé'hi, lorsque Ya'acov attend son décès imminent, il convoque ses enfants et petits-enfants, non seulement pour prendre ses dispositions pour ses biens matériels, mais aussi pour communiquer son testament éthique, sa vision et la responsabilité pour chacun d'entre eux. Il commence par ses petits-fils, Ephraïm et Ménaché, et leur confère les premières Brakhot.

Puis il leur dit : "Il les bénit alors et il dit : "Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant : D.ieu te fasse devenir comme Éphraïm et Ménaché !" Il plaça ainsi Éphraïm avant Ménaché."

Mais pourquoi Ephraïm et Ménaché, pourquoi pas Avraham, Its'hak ou Ya'acov ? Pourquoi pas Yossef, David ou Chlomo, ou l'une des autres tribus ? Pourquoi mentionner un nom, et non se contenter d'une bénédiction générale visant à ressembler à nos Avot Kédochim, nos saints patriarches ?

De surcroît, la Torah ne nous prescrit pas de moment pour donner cette Brakha, elle indique uniquement que lorsque le peuple juif bénit ses enfants, il le fera en invoquant ces noms. En effet, la coutume de réciter cette Brakha le vendredi soir est relativement récente, elle date d'il y a quelques siècles. Pourquoi la récitons-nous le vendredi soir ?

Rav 'Haïm David Halévi, dans son Téchouvot 'Assé Lékha Rav, affirme ne trouver aucune source pour la récitation de cette Brakha le vendredi soir, et il propose une réponse personnelle. Le Maguen Avraham dit : il est recommandé d'embrasser la main de la maman le vendredi soir. Il suggère que ce Minhag (coutume) a vu le jour du fait que lorsqu'un père voyait ses enfants manifester leur respect envers leur mère, il ne pouvait s'empêcher de vouloir leur donner une Brakha. Être témoin de la génération suivante qui se voit connectée au passé et continue à honorer, à révérer et à respecter ses parents est l'une des plus grandes Brakhot et suscite de notre part un désir de leur rendre la pareille.

Ceci explique le choix du vendredi soir, mais pourquoi spécifiquement ces deux personnages ? De nombreux commentateurs suggèrent qu'après plusieurs générations de rivalités entre frères et sœurs, de conflits, de compétitions et de rapports d'opposition, Ephraïm et Ménaché sont la première génération à non seulement s'entendre et à se tolérer, mais à incarner la fidélité, l'amour, l'admiration mutuelle et le respect. La Brakha fondamentale pour nos enfants, avant même de pouvoir invoquer le 'Hessed (bonté) d'Avraham, le Émet (vérité) de Ya'acov, la Guévoura (courage) d'Its'hak, la piété de Yossef ou la passion de David, la sagesse de Chlomo ou la vertu de l'un de nos dirigeants, est que nos enfants – et par extension, nos familles, nos communautés et notre peuple – s'entendent.

Alors que nous commençons notre repas du Chabbath, baignant dans la lumière des bougies du Chabbath, le symbole du Chalom Bayit (entente conjugale) et de la paix, nous donnons une Brakha d'unité, d'harmonie, de coopération, d'amour, de loyauté et du sens de la famille. Alors que nous nous installons pour le repas du vendredi soir, qui recèle un potentiel dangereux d'échanges animés et de débats houleux sur la politique, la religion ou la vie, nous offrons une Brakha afin que notre table ressemble à celle d'Ephraïm et de Ménaché, et qu'elle soit l'accomplissement de : "Ma Tov Ouma Na'im Chévèt A'him Gam Ya'had", "Ah ! Qu’il est bon, qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union !"

D'autres suggèrent que parmi les douze fils de Ya'acov et leurs familles, Efraïm et Ménaché furent les seuls élevés en dehors de la terre d'Israël, dans une culture étrangère et de puissantes influences extérieures. En dépit de la tentation de s'assimiler à la culture, la religion et la pratique égyptienne, Ephraïm et Ménaché s'attachèrent avec ténacité aux enseignements et traditions de leur père et demeurèrent fermes dans leur engagement à la Torah.

Le Chabbath constitue une oasis par rapport au chaos de la semaine et des images, idées et tentations auxquelles nous faisons face toute la semaine. Alors que nous méditons sur la semaine passée et nous immergeons dans un nouveau Chabbath pour nous remplir d'énergie face à la semaine qui nous attend, nous offrons une Brakha afin que nos enfants, nos familles et nous-mêmes soyons protégés des forces et pressions auxquelles nous sommes confrontés jour après jour, qui compromettent notre identité, nos choix et notre mode de vie.

Rabbi Moché Sternbuch propose une autre réponse. Il explique que lorsque la Torah dit que nous récitons une Brakha afin de ressembler à Ephraïm et Ménaché, cela ne signifie pas de ressembler spécifiquement à ces deux personnages, mais nous devons imiter Ya'acov en donnant à nos enfants des Brakhot dans lesquelles nous identifions leur potentiel et les guidons pour le réaliser.

L'obligation n'est pas de donner une Brakha afin de ressembler à Ephraïm et Ménaché en eux-mêmes, mais de prendre le temps de donner une Brakha, d'interagir, de partager des espoirs, des rêves et des aspirations. Le Séfer Nichmat Chabbath indique que c'est la raison pour laquelle nous bénissons les enfants le vendredi soir. Nos enfants n'entrent pas en compétition pour obtenir notre attention face à notre travail, nos autres obligations, ou aujourd'hui, notre technologie. La plus grande Brakha que nous puissions donner à nos enfants, et en réalité, à toutes les personnes autour de nous qui nous tiennent à cœur, est nous-mêmes, notre attention totale lorsque nous leur adressons la parole.

Rabbi Moché Leib Sassover suggère que le contenu de la Brakha donnée par Ya'acov à Efraïm et Ménaché était de vivre sur le moment, d'être totalement présents dans l'instant présent, "Vayévarékhèm Bayom Hahou", il leur donna une bénédiction afin d'être présents dans l'instant présent "Bayom Hahou".

Le Chabbath, nous nous déconnectons sans culpabilité, sans remords, sans peur de manquer une occasion, mais uniquement avec la possibilité d'être réellement présents pour ceux qui nous sont proches. Quelle Brakha pour nous et notre entourage !

Puissions-nous mériter l'accomplissement de cette Brakha d'Ephraïm et Ménaché : voir nos enfants embrasser de manière figurée nos mains et embrasser nos valeurs, puis réagir instinctivement en leur donnant des Brakhot. Puissions-nous vivre uniquement l'harmonie, l'unité, l'amour et la fidélité au sein de nos familles, à notre table du Chabbath et dans nos vies. Puissions-nous trouver la volonté et la résilience de contrer les influences et forces négatives auxquelles nous sommes confrontés et d'être intransigeants sur notre mission de Juifs de Torah. Puissions-nous avoir le privilège de vivre "Bayom Hahou" en étant totalement présents et en vivant chaque instant au maximum.

N'oublions pas de compter nos Brakhot le vendredi soir et tout au long de la semaine.

Rabbi Efrem Goldberg