Nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage à qui tout réussit. Des examens universitaires passés haut la main, un job de rêve, une famille équilibrée, une santé de fer. En bref, un vrai gagnant.

Mais à l’opposé, nous connaissons aussi ceux qui accumulent les échecs. Une vie sociale chaotique, des boulots instables, un couple qui bat de l’aile, des enfants rebelles. Une personne à plaindre. 

Pourtant, nos deux personnages peuvent avoir grandi dans la même famille, avoir bénéficié de la même éducation, de la même culture, du même niveau de religiosité ; et pourtant, pour l’un tout lui sourit, pour l’autre tout est noir.

Comment la Torah explique-t-elle une différence si flagrante dans le destin des hommes ? Y a-t-il une règle qui expliquerait pourquoi les uns semblent naître sous une bonne étoile alors que les autres non ?

Qu’est-ce que le destin d’après la Torah ?

Plongeons-nous dans les eaux profondes du Talmud. La Guémara, au traité Moèd Katan page 28, affirme que « la progéniture, la longévité et la prospérité ne dépendent pas des mérites (de l’homme) mais de son Mazal ». On retrouve cette idée dans le traité Chabbath page 156 : « Israël est (aussi) soumise au Mazal ».

Le Talmud nous enseigne donc que le Mazal est la raison de la réussite de l’homme. La bonne étoile, comme on a l’habitude de l’appeler. Avant de pénétrer le sujet plus en profondeur, définissons tout d’abord ce qu’est le « Mazal ».

Le Mazal signifie littéralement l’influx, de la racine du mot Nozel qui signifie « couler ». C’est ce flux transcendantal que D.ieu déverse sur l’homme, celui par lequel l’homme se verra réussir dans tous les chemins qu’il emprunte. Ce phénomène étrange qui fait que les choses marchent lorsqu’on les entreprend. La bénédiction comme on dit.

D’où vient ce Mazal ?

Le Kabbaliste Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato, le Ram’hal, explique dans son livre « La voie des Justes » (chapitre 7) que « les phénomènes physiques trouvent leurs racines dans des forces séparées pour être ensuite transférés aux choses matérielles selon la forme requise. A cet égard, les étoiles et leurs galaxies ont été conçues pour émettre et transférer ces phénomènes existants virtuellement dans l’ordre transcendantal, au niveau terrestre selon la forme appropriée ».

Le Ram’hal nous dit que des forces virtuelles sont réservées à l’homme depuis l’au-delà et qu’elles lui sont rétribuées ici-bas par l’intermédiaire de ces astres conçus spécialement pour les matérialiser dans notre dimension. Leur rôle est de nous transmettre l’influx divin. L’erreur à ne pas commettre, bien entendu, serait de leur attribuer une autonomie propre là où, en réalité, ces astres ne sont que des transmetteurs de la lumière transcendantale que D.ieu nous réserve. Une sorte de convertisseur d’énergie, rien de plus.

Le Gaon de Vilna dit d’ailleurs dans son commentaire sur le Zohar (Tikouné Zohar 69 page 116) : « Il y a douze astres qui couvrent les douze mois de l’année… mais aussi les douze heures du jour, par conséquent le Mazal de l’heure a son influence. » 

Les Sages de la Guémara nous révèlent qu’un homme est placé sous tel et tel Mazal pour qu’il bénéficie de son influence particulière. La Guémara au traité Chabbath (page 156) détaille même précisément le caractère d’une personne née selon l’influence de tel ou tel astre. 

Il est important de préciser également, comme le révèlent les Kabbalistes, que ce n’est nullement par hasard si l’homme est placé sous un astre plutôt qu’un autre afin qu’il jouisse en conséquence de tel ou tel caractère ou faculté. S’il a été placé là, c’est précisément pour qu’il obtienne les outils nécessaires à la mission qu’il aura à accomplir dans cette vie.

En tous les cas, nous voyons que la prédestination avec laquelle les astres ont été placés par rapport à untel ou untel joue un rôle préétabli dans sa vie. C’est cela qui déterminera si la personne aura un vie facile ou non, si elle jouira d’un halo de paix, d’un bon travail, d’une belle carrière, d’une famille paisible etc.

La Guémara, dans Nida (page 16), affirme même qu’un ange demande à D.ieu au moment de la conception d’un enfant : « Maître du monde, cette progéniture, qu’en sera-t-il d’elle ? Sera-t-il fort ou faible ? Intelligent ou idiot ? Riche ou pauvre ? » Le tout par l’intermédiaire du Mazal comme nous l’avons expliqué. 

Quelle place pour les mérites ?

Au vu de tout ce que l’on vient d’énoncer, il n’y a, a priori, aucune place à la rétribution, au salaire des bonnes actions. Ce qui a été préétabli pour nous l’est et, à l’inverse, ce qui ne l’est pas ne le sera jamais ! Aucune possibilité de modifier son Mazal, d’améliorer sa condition de vie… 

C’est précisément là qu’intervient le problème. La Torah semble se contredire. Elle prône partout que les Mitsvot (les commandements) entraînent sur nous bénédictions, réussite et prospérité. Il n’y a qu’à lire la Torah pour s’en rendre compte. 

« Pour prix de votre obéissance à ces lois et de votre fidélité à les accomplir Il t'aimera, te bénira, te multipliera, il bénira le fruit de tes entrailles et le fruit de ton sol, ton blé, ton vin et ton huile, les produits de ton gros et de ton menu bétail, dans le pays qu'il a juré à tes pères de te donner. Tu seras béni entre tous les peuples ; parmi toi comme parmi tes bêtes. L'Éternel écartera de toi tout fléau, et toutes ces funestes plaies de l'Egypte, que tu connais bien, ce n'est pas à toi qu'Il les infligera, mais à tes adversaires» (Deutéronome 12, 7-15)

« En observant les préceptes et les lois de l’Eternel, que je t'impose aujourd'hui, pour devenir heureux » (Deutéronome 10, 13) Rachi explique sur place : « Et même cela, ce n’est pas à titre désintéressé (que Je vous enjoins de garder Mes lois) mais pour toi afin que tu perçoives une récompense. »

« Prends garde, tu écouteras toutes ces paroles-là que moi-même t’ordonne, afin qu’il te soit fait du bien, et à tes fils après toi, jusqu’à toujours… » (Ibid. 12, 28) 

Il y a également des dizaines d’autres versets aussi explicites que ceux-là, des enseignements à la pelle et d’innombrables histoires sur les miracles opérées par les Mitsvot dans la vie des gens. 

Et comment tout cela s’arrange-t-il avec le Mazal ? Les Mitsvot ont-elles la possibilité de modifier notre destin, d’améliorer notre vie ? La Torah est pourtant explicite… dans les deux sens ! 

L’explication du Baal Hakéda –Rabbi Its’hak Arama

Ce paradoxe fut traité par plusieurs commentateurs, chacun d’après la vision novatrice de sa compréhension de la Torah, tentant d’harmoniser tous les éléments entre eux. Nous nous laisserons guider par la vision de Rabbi Its’hak Arama, l’un des plus grand philosophes juifs d’Espagne du temps des Richonim, les sages de l’époque médiévale. Sa conception, fait bien plus que d’élucider notre problématique. Elle jette également un éclairage nouveau sur les raisons de la Hichtadlout (l’effort qui est attendu de nous par Hachem) et le sens des épreuves. Il explique :

 

  • Il y a des cas où le Mazal de l’homme est étincelant et qu’il est détenteur de Torah et de Mitsvot (bonnes actions) – Alors D.ieu renforcera son Mazal au point qu’il réussisse prodigieusement tout ce qu’il entreprend avec une grande facilité. Par contre, s’il commet quelques fautes, il devra s’efforcer à nouveau pour réussir.

 

Placé sous un bon Mazal (pour les besoins de son rôle dans ce monde), il atteint des sommets avec peu d’efforts, à condition que la faute n’entrave pas sa croissance. Notre gagnant.

  • Il y a des cas où le Mazal de l’homme est mauvais mais qu’il excelle dans la Torah et les Mitsvot, alors son mérite seul suffira à ce que Hachem annule son mauvais Mazal. Tout dépendra de la vigueur de ses mérites et de la pureté de ses actes (qu’il n’ait pas de fautes à son actif). Il devra cependant fournir des efforts d’investissement dans les choses.

 Celui-ci, du fait de son mauvais Mazal (là aussi en rapport avec son rôle dans le monde) devra s’efforcer plus que le premier dans la Torah et les Mitsvot pour annuler les décrets qui planent sur lui. Là, la récompense annoncée par la Torah est indispensable à son bonheur… 

 

  • Il y a des cas où le Mazal est bon mais l’homme est entaché de nombreuses et graves fautes. Dans ce cas, son bon Mazal ne lui sera d’aucune utilité. Car Hachem brise Lui-même son Mazal pour l’amender, comme il est écrit dans Isaïe (44, 25) « J'annule les présages des diseurs de mensonges, je frappe de démence les devins, force les sages à reculer et fait taxer de folie leur science ». Ou encore : « il bouleverse la vie des pervers » (Psaumes 146, 9). Si par contre cet homme à quelques mérites, D.ieu peut les lui payer ici-bas, pour qu’Il l’évince du monde futur (réincarnation possible), parfois D.ieu se montre longanime avec les impies lorsque leur limite n’a pas été dépassée, ou encore, certains mérites de leurs pères ou de leurs enfants empêchent la punition. »

 

Celui-là gâche son bon Mazal par son mauvais comportement. Sa solution est de se repentir pour jouir amplement de son Mazal, et plus il ajoutera des Mitsvot, plus il en s’en verra gratifié… 

 

  • Il y a des cas où le Mazal est mauvais, et la Torah et les Mitsvot sont eux aussi insuffisants pour contrecarrer totalement le Mazal. Dans ce cas-là, la Hichtadlout (l’effort investi) dans l’accomplissement des tâches s’avère efficace associée avec la requête à D.ieu qu’Il affaiblisse l’effet du Mazal sur lui et l’amélioration de ses actions. Par conséquent, si celui-ci ramollit son action et que le Mazal est dans sa période, il risque de lui causer préjudice.

 

Dans ce cas, le Mazal est lui-même mauvais, et les mérites sont moyens, il n’a d’autre choix que de s’efforcer pour compenser son niveau spirituel moyen (ou l’améliorer). 

Par conséquent, il se peut que deux personnes nées sous la même étoile n’aient pas la même réussite. Que deux individus s’investissent de la même manière dans la Torah, sans bénéficier de la même Brakha (bénédiction) ; ou que des hommes s’astreignent de façon similaire, sans obtenir les mêmes résultats. C’est aussi pour cela également qu’il est inutile de se comparer aux autres, leurs résultats ne dépendent pas forcément des mêmes investissements que nous fournissons. Chacun son Mazal, chacun ses mérites… mais ce dont une chose est sûre : c’est que D.ieu guide la personne, là où elle y sera le mieux, pour son plus grand bien.