En Israël, un milieu semble avoir été particulièrement touché par la grâce de la Téchouva : celui des artistes. Le rapprochement soft à la pratique pour certains, et le retour sans compromis au judaïsme authentique pour d’autres, est devenu un véritable phénomène. Mais ce qui frappe, c’est une prise de conscience aiguë de leur judéité. Et ils ne s’en cachent pas, bien au contraire ! Les noms se suivent et ne se ressemblent pas, dans les domaines de la chanson, la comédie, les arts plastiques et la création en général. Si même Aviv Geffen, l’icône indiscutée et ultra branchée de Tel-Aviv, veut entamer le dialogue avec le monde orthodoxe, - et tient à fêter la Bar-Mitsva de son fils avec Téfilines et montée à la Torah -, le Machia'h n’est pas loin. 

Aviv, un printemps rebelle

Athéiste convaincu, il fut longtemps le chevalier de l’anti-tout, dénonçant l’obscurantisme des religions, judaïsme inclus. 

 

Mais le corona n’a pas fait que du mal, et certaines consciences se sont réveillées dans son sillage : le cœur juif qui bat dans la poitrine d’Aviv a été touché. D’ailleurs, pas que le cœur : quand toute une population, ma foi plutôt pacifique et conciliante, est systématiquement accusée de propager le virus, Aviv, à 48 ans, mûri, posé, père de famille, s’interroge. Les accusations moyenâgeuses d’empoisonnement de puits par les Juifs se reproduisant façon médias laïc 2022, et entretenues par elles, deviennent franchement grotesques et révoltantes. Faut peut-être pas trop pousser… 

Et Geffen, prêt à entendre un autre son de guitare que le sien, écoutant son bon sens avant celui de sa « tribu », semble être en train d’ouvrir ce fameux chas de l’aiguille dont nos Sages nous parlent, et par lequel s’engouffre soudain tout un patrimoine occulté depuis des générations. Le kibboutz, Moché Dayan et Ben Gourion ne peuvent quand même pas remplacer en 74 ans, 3000 ans d’histoire. Et Geffen, honnête, a osé laisser une faille s’ouvrir en lui : celle de l’israélien qui commence à chercher le juif. Courageux, l’homme ! Car le sujet est un tabou par excellence dans le monde pluraliste et « hyper tolérant » dont Geffen était le héraut jusqu'à maintenant. 

Le chanteur, auteur, compositeur ose dire non au matraquage des idées reçues, cherchant sincèrement le rapprochement avec l’autre, si différent hier encore. En duo avec Avraham Fried, c’est dorénavant les dénominateurs communs qu’il invoque.

Les cyniques diront commercial, mais le public a dit chapeau ! Car il y a incontestablement derrière ces deux hommes une véritable amitié et une volonté de ressouder les brisures du passé. Geffen et Fried accordant leur voix est un symptôme : celui d’une société israélienne qui est en train de vivre des bouleversements excessivement bénéfiques, d’un côté comme de l’autre. 

 

 

L’enfant de Sdérot

Dans un tout autre registre, mais toujours dans la chanson, un auteur, compositeur, interprète de très grand talent a lui aussi brisé un tabou.

Car quand vous êtes né à Sdérot à la fin des années soixante, d’une famille d’origine orientale, mesurant un petit mètre soixante (eh oui ! ça compte ), vous n’êtes pas exactement dans le trend de la recherche musicale avant-gardiste. Vous êtes ce qu’on appelle ici : de la « périferia », traduction superflue... 

 

Yaacov Uzan, devenu Kobi ‘Oz, est né en 69, de parents tunisiens, Raymonde et Jojo, placés à leur arrivée en Israël dans les camps de transit de Gan Yavné, qui n’avaient de jardin que le nom… Les nouveaux émigrants, principalement d’Afrique du Nord et du Yémen, allaient y passer leurs premiers hivers, sous des tentes, sans eau courante ni électricité. Les débuts de l’Etat hébreu ne furent pas un pique-nique : le déracinement culturel, social et géographique, les conditions de vie insalubres, les pères de famille honorables se retrouvant désœuvrés, puis très vite enrôlés dans les guerres d’Israël, ne laisseront pas beaucoup de temps à un « reconditionnement »  en douceur et par palier. 

 

Le Welcome plutôt tiède que l’establishment déjà en place réserva aux nouveaux venus laissera des blessures chez ces familles. C’est à ce moment, dans les années 50 que la direction du jeune pays prend ses marques. Armée : in, religion : out. La guerre de Kippour en 1973, révélant les failles des tout-puissants généraux et les drames incommensurables du front, bouleversera ces données. 

Kobi ‘Oz, issu de ce creuset de la ‘Aliya des années 50, va s’extraire de tous les stéréotypes et s’imposer comme le roi du renouveau musical oriento-israélo-pop. Dans une Israël où le (bon) ton est donné par les influences occidentales et américaines, il tape sur la table et fonde en 88 son groupe au nom de Tipp-ex. Parce que l’homme efface toutes les étiquettes qu’on aurait pu lui coller, de petit oriental originaire d’une ville en développement, destiné selon les statistiques à devenir un employé des postes. 

 

‘Oz, depuis qu’il a 15 ans, écrit ses textes, compose, chante et va utiliser tout le terreau de sa culture tunisienne, israélienne et juive, pour créer les chansons d’un vécu qu’il revendique sans aucun complexe. Depuis Kobi ‘Oz, Sdérot n’est plus une petite ville anonyme, sans architecture, d’immigrés d’Afrique du Nord, mais un centre culturel et cultuel, d’hommes et de femmes avec des racines, un passé et une tradition juive remarquables. Petit-fils d’un 'Hazan, Kobi va utiliser un enregistrement de la voix de son grand-père dans une de ses chansons et dans une autre, il retracera en trois couplets le périple de sa mère - Messika de nom de jeune fille -, sa fuite de Bizerte envahie par les nazis, la vie dans les camps de transit et enfin, l’installation à Sdérot, dans une habitation loin d’être luxueuse, mais au moins cette fois, en pierre et ciment… 

Des tubes qui se suivent, des arrangements musicaux décoiffants, qu’il épice d’accordéon (beaucoup !! il aime), de oud, de darbouka, de violon et d’une nostalgie bien de chez nous, en veux-tu en-voilà. Une de ses chansons est même intitulée « Nostalgie de la nostalgie » : tout un programme avec au menu dérision et décrispation assurée.

Kobi c’est une petite révolution : il n’essaye de plaire à personne, il aime ses origines, sa tradition, sa maman tunisienne, sa ville d’enfance. Autodidacte, curieux, il a une immense culture générale et aujourd’hui - oh ironie du sort -, les médias de « l’establishment » lui donnent 2 heures d’émission tous les vendredis midi sur la chaîne de radio nationale et à l’heure d’écoute maximale, pour faire rentrer Chabbath. Entre les invités d’horizons totalement différents, il intègre toujours une biographie de Rav, invite un érudit à parler de la Paracha et est fier de dire qu’il étudie chaque jour et que le Yom Haménou’ha (jour de repos, Chabbath) est le moment sacré de sa famille. 

Unique, Kobi ! 

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Nous n’avons pas parlé ici de Chouli Rand, Eviatar Banaï, Méir et Ehoud Banaï, Léa Chabbath, ‘Amir Benayoun, Alma Zohar, Mika Karni, David Deor, car la liste est trop longue et chacun mériterait un article en soi. Israël, terreau des cultures, melting pot ahurissant, fait pousser des bourgeons qui, en fin de compte, reviennent à la maison, celle de leurs parents et de leur patrimoine. Et si déjà nous parlons du millésime des années 60, dont certaines grappes ont mûri sous le soleil de Tunis, que dire d’Etty Ankri. 

Quatre disques d’or, chanteuse de l’année en 1991 et 1993, la talentueuse Etty, hyper douée, signant musique et texte, principale interprète de ses chansons, ira elle aussi au bout de son inspiration. Elle cessera de chanter devant un public mixte, se couvrira la tête, cohérente, fidèle à elle-même et suivra son cheminement spirituel sans jamais renier sa passion : la musique.  

Si autant d’artistes ont fait le pas, c’est peut être grâce à cette caractéristique qui est la leur d'écoute intense de leur vérité intérieure. Imperméable au « comme il faut », à l'insipidité des modes, incapable de tricher, un vrai artiste ne se suffira jamais de raccourci et de pis-aller.  

Et aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à eux, Baroukh Hachem, que le véritable visage d’Israël est en train d’émerger.