Nous avons évoqué il y a deux semaines l’opinion du Rambam sur le concept de Guénévat Daat (duper autrui en pensée) et la question de savoir s’il s’agit d’un interdit rabbinique.

Nous traiterons cette semaine des raisons de cet interdit : il existe un certain nombre d’avis sur cette question. Le Ritva déduit cet interdit de l’interdiction de ne pas voler et rapporte la Tossefta dans Baba Kama qui cite trois formes de vol. « Gonev Da’at Habriot » (tromper autrui) est la plus grave d’entre elles. C’est, semble-t-il, également l’avis du Smag et du Smak. D’après le Rambam, il semblerait que lorsqu’une perte monétaire est en jeu, cet interdit s’appuie sur l’interdiction de voler. En revanche, lorsqu’une aucune perte financière n’est en jeu, la source de cet interdit se trouve dans la défense de mentir, expliquant que l’on doit parler avec honnêteté.

L’auteur du Chaaré Téchouva inclut un homme qui est Gonev Da’at dans la catégorie des menteurs. Il souligne que ce type de vol est pire qu’un vol ordinaire. En effet, il ne vole pas l’argent de son prochain, mais son Da’at (il l’induit en erreur), comme s’il pensait que Hachem ne connaît pas ses pensées.

Le Tour et le Choul’han Aroukh (‘Hochen Michpat 228) rapportent cette loi au côté de la Ona’a (qui signifie littéralement causer un préjudice et dans ce cas, il s’agit de causer un tort financier en gonflant sa facture ou en sous-payant un employé) impliquant que sa source est la Ona’a et non le vol.

Citons à présent quelques exemples pour approfondir notre compréhension des cas où la Guénévat Da’at s’applique.

La Guémara déclare que l’on ne peut exercer une pression sur quelqu’un pour l’inviter à manger chez nous, si la personne qui pose la question sait que cette personne ne mange pas chez les autres. Agir ainsi revient à de la Guénévat Da’at, en ce que la personne invitée se sentira reconnaissante envers son « hôte », en pensant qu’elle veut sincèrement qu’il vienne, alors qu’en réalité ce n’est pas le cas. De même, c’est une Guénévat Da’at d’offrir de nombreux présents à un individu, si l’on sait qu’il ne les acceptera pas (Choul’han Aroukh 228 :6).

En conséquence, on n’a pas le droit d’inviter constamment quelqu’un chez soi si l’on ne veut pas réellement que cette personne vienne. Mais certains décisionnaires affirment que c’est permis de l’inviter une seule fois si l’invitation est faite pour l’honorer. Par exemple, il est parfois considéré comme poli d’inviter quelqu’un pour un repas, et dans ce cas c’est autorisé (et cela pourrait bien être une Mitsva). Mais il ne faudra néanmoins pas l’inviter à plusieurs reprises, mais une seule fois.

La raison pour laquelle on a le droit d’inviter quelqu’un afin de l’honorer est la suivante : la définition de l’interdit de Guénévat Da’at est de créer une gratitude pour nous sans raison valable.

Mais lorsque l’intention est d’apaiser la personne pour une raison spécifique, comme lui donner un bon sentiment, alors l’interdit ne s’applique pas. Pour la même raison, si quelqu’un veut sincèrement que son prochain mange chez lui, mais sait pertinemment qu’il va refuser, il aura néanmoins la permission de l’inviter, car le but de son invitation n’est pas que son hôte soit reconnaissant de manière injustifiée envers lui.

La Guémara déclare qu’un vendeur de vin ne devra pas ouvrir de tonneaux de vin lorsque la personne qui se trouve chez lui risque de penser qu’il a ouvert le tonneau pour lui, alors qu’en réalité, il l’aurait ouverte de toute façon pour ses propres besoins. Le vendeur devra plutôt l’informer de la vérité. Cette loi est rapportée dans le Choul’han Aroukh et a des applications actuelles. Par exemple, si un homme ouvre une bouteille d’eau pétillante, un paquet de croûtons pour la soupe (qui se détériorent quelques jours après leur ouverture) pour son ami, alors qu’en réalité, il allait l’ouvrir de toute manière, il devra alors en informer cet ami. Si néanmoins, il aurait ouvert cet objet pour lui seul, même si en agissant ainsi, il aurait subi une perte, il en aura alors le droit.

Dans notre discussion sur la Guénévat Da’at, il existe un autre point important cité dans la Guémara (‘Houlin 94a). Rav Safra et Rava ont rencontré par hasard Mar Zoutra dans la rue. Mar Zoutra pensa qu’ils étaient venus le rencontrer intentionnellement, et il leur demanda : pourquoi avez-vous pris la peine de sortir pour me rencontrer ? Rav Safra répondit qu’en réalité, ils n’étaient pas sortis pour venir le rencontrer, mais néanmoins, s’ils avaient su qu’il venait, ils seraient venus le voir. Rava soutint à Rav Safra qu’il n’avait pas été nécessaire d’informer Mar Zutra, car ce dernier s’était « trompé lui-même » en pensant qu’ils étaient sortis pour le rencontrer (il n’y avait pas de raison impérieuse pour lui de penser qu’ils étaient venus lui rendre visite, mais il se persuada que c’était le cas.) Dans un tel cas, il n’y a pas d’interdit de Guénévat Da’at (et s’exprimer en ces termes à Mar Zoutra l’a déçu inutilement).

En s’appuyant sur cette Guémara, le Choul’han Aroukh (228:6) tranche que si quelqu’un se trompe soi-même, il n’y a pas d’interdit de Guénévat Da’at. Rachi explique cette loi en affirmant que si un individu n’agit pas de manière à suggérer qu’il a œuvré pour son prochain, mais qu’il agit de manière ordinaire, et que son prochain s’imagine qu’il a agi pour lui, l’interdit de Guénévat Da’at ne s’applique pas. En réalité, nous voyons d’après cette Guémara qu’il ne convient pas de lui dire la vérité, qui risque uniquement de le heurter.

En conséquence, si un individu se rend à l’hôpital pour rendre visite à un malade et qu’il voit un autre patient, et que ce dernier s’imagine qu’il est venu pour lui, il ne devra pas lui dire la vérité, et il est même interdit d’agir ainsi (cela revient à présumer que ce patient n’avait aucune raison de penser que cette personne était venue spécifiquement pour lui rendre visite). Il est néanmoins interdit de sous-entendre qu’il est venu spécifiquement pour lui rendre visite.