Question de Sonia H

Chalom Rav Scemama,

Je vous écris car je sens au fond de moi qu’il faut que je change ma façon de voir la vie. J’essaye depuis longtemps, mais je n’y arrive pas. Je m’explique.

J’ai eu une enfance difficile, mais je suis quand même parvenue à faire des études et à les réussir. 

J’ai trouvé un emploi correspondant à mes capacités, mais mes employeurs ne savent pas apprécier mon travail - que je pense accomplir tout à fait correctement - et me font souvent des remarques désobligeantes. 

Au niveau sentimental, j’ai cru trouver mon futur mari, mais après quelques rencontres qui étaient très « sympas », il a, sans donner de raison, cessé de me voir.

J’ai aujourd’hui 28 ans, je suis seule, et j’attends désespérément l’âme sœur qui va me faire connaître le bonheur. 

Je suis pratiquante et ai grandi dans ce milieu, mais depuis quelque temps, je fais les Mitsvot sans cœur et ne prie presque plus. J’ai le sentiment d’avoir été abandonnée par D.ieu, alors que c’est tellement facile pour Lui de m’arranger la vie. 

Je suis consciente que mes sentiments vont à l’encontre de la Émouna (foi en D.ieu), mais je n’arrive plus à les refouler. 

Dans l’espoir de recevoir une réponse, je vous remercie d’avance.

Réponse du Rav Daniel Scemama

Chalom Sonia, 

Je suis très touché par vos paroles et j’espère de tout cœur que, très bientôt, vos problèmes vont se résoudre.

Je vais vous rapporter ce que j’ai lu et entendu de nos Maîtres, au sujet des épreuves.

1. Tout d’abord, je peux vous dire qu’il y a énormément de gens qui souffrent dans notre génération : beaucoup de couples ne s’entendent pas, le taux de divorce est effarant, les rapports parents-enfants sont très difficiles à gérer. Les gens instables, dépressifs et oisifs ne se comptent plus. Et ces fléaux touchent également le monde pratiquant, même si dans des proportions bien moindres.

Les psychologues, coachs, et autres thérapeutes sont de plus en plus sollicités, ainsi que les organismes qui proposent de l’aide aux personnes en détresse. 

C’est le chaos total, à tel point qu’une personne heureuse dans sa vie cache son bonheur et ne l’exprime pas oralement, de peur d’être jalousée. 

Vous allez me demander : en quoi le malheur des autres va m’aider à résoudre mes propres problèmes ?

Il y a à cela deux réponses :

a) Nos Sages nous disent : “Une calamité collective est une demi consolation” (cf. Eikha 2, 13, Rachi).

Cet enseignement traduit un mécanisme psychologique humain, qui fait qu’une calamité subie par la majorité des hommes est perçue par l’individu comme atténuée, puisque « tout le monde souffre ».

b) Le deuxième point est le principal et c’est sur lui que je veux insister.

J’ai entendu au nom du Rav ‘Haïm Kanievsky de Bné Brak, au sujet des nombreux couples qui, malgré leurs efforts, connaissaient des problèmes de Chalom Bayit, qu’il s’agissait d’un « Tikoun », d’une réparation suite à des fautes dans une vie précédente.

Par extension, on pourrait appliquer cette même explication sur d’autres souffrances, comme les problèmes dans l’éducation des enfants, la solitude, la dépression etc.

Mais développons un peu : nous sommes dans une génération pratiquement sans guerre, famines, épidémies, ou révolutions sanguinaires. La plupart des gens ont un toit et un minimum d’argent. On pourrait s’attendre donc à ce que l’homme soit serein et heureux, mais ce n’est pas le cas. Bien loin de là. 

Des explications d’ordre sociologique peuvent apporter certains éléments de réponse sur le non contentement de l’homme moderne, comme l’éloignement de la religion et de la foi, l’éclatement de la cellule familiale, une société de consommation à outrance etc. Mais ce n’est pas suffisant.

C’est pourquoi, cette explication de “Tikoun” est à prendre sérieusement en considération, dans la mesure où de très nombreux Rabbanim, géants de la génération, se sont exprimés sur le fait que nous vivions une période pré-messianique. Il est donc facile de concevoir qu’avant la Délivrance Finale, l’homme doive réparer ce qu’il a détruit afin de mériter de vivre ce grand moment de l’histoire.

Cette explication peut ne pas plaire, être considérée comme « trop facile », mais une fois que le Rav Kanievsky l’a avancée, on ne peut que l’accepter. 

2. On parle de destin et de réparation, mais il n’est pas question de baisser les bras, car, dans la pensée du judaïsme, on doit faire tout ce qui est entre nos mains pour arranger une situation, de même qu'un malade doit se rendre chez un médecin pour se faire soigner.

Dans votre cas, Sonia, essayez de trouver, dans la mesure du possible, un autre lieu de travail, et surtout ne restez pas trop longtemps seule dans votre quotidien, la solitude tue à petit feu. 

Par exemple, essayez de participer à un Chabbath communautaire, invitez des amies et n’hésitez pas à vous faire inviter chez des personnes auprès desquelles vous vous sentez bien et qui vous accueilleront avec plaisir. 

Au niveau du Chiddoukh (rencontre en vue de mariage), sachez que les jeunes hommes d’aujourd’hui recherchent chez une jeune femme la gaieté avant l’intelligence ou la débrouillardise. D’un autre côté, vos épreuves vous empêchent d’exprimer cette gaieté, et vous êtes donc dans un cercle vicieux. C’est pourquoi il faut sortir de cette situation à tout prix afin de parvenir à surmonter la tristesse et arriver à une certaine sérénité (la joie profonde ne peut s'acquérir qu’avec la Émouna, comme on le relèvera plus loin).

Le Rav Na’hman de Breslev était tellement conscient des dégâts de la morosité, qu’il conseillait même de « faire des pitreries, sauter, danser » afin de déclencher un processus de retour à la joie. 

On pourra aussi utiliser d’autres moyens adaptés à sa personne, comme les vacances, le sport, la musique, etc., car la finalité est d’une importance vitale : parvenir à la gaieté qui est l’expression même de la vie.

3. Vous exprimez dans votre lettre le fait que les épreuves de votre vie vous ont éloignée - en tout cas affectivement - de l’Éternel.

À ce sujet, je voudrais vous parler de deux Rabbanim (qui sont décédés il n’y a pas si longtemps) qui ont été très éprouvés et qui ont réussi à surmonter leurs terribles épreuves. 

Le premier, que j’ai connu personnellement, est le Rav ‘Haim Chajkin, Roch Yéchiva d’Aix-les-Bains.

Cet homme a perdu toute sa famille, ses amis, ses Rabbanim et les habitants de sa ville natale Kossover, dans la Shoah. Il s’est retrouvé le seul Juif parmi des prisonniers français en détention chez les Allemands pendant toute la Seconde Guerre mondiale, en travaux forcés. Malgré tout, pendant cette période terrible, puis avec l’après-guerre où il apprend ce qui est advenu de ses proches, il restera inébranlable dans sa Émouna.

Tout le reste de sa vie, il propagera le message de la bonté parfaite de l’Éternel, et Son attribut de Justice dans toutes Ses Voies. 

J’ai eu le mérite de le côtoyer pendant plus d’un an et ce contact m’a marqué à vie. Le voir prier, voir son souci de renforcer toute personne qu’il rencontrait, sa gaieté, son amour pour le Klal Israël (le peuple juif), son sentiment de responsabilité par rapport à ses frères qui s’étaient éloignés du judaïsme - il était toujours affairé à étudier la Torah et à l’enseigner, avec un contrôle total de ses traits de caractère - m’ont enseigné beaucoup plus que n’importe quel discours. À son contact, on ne pouvait que reconnaître qu’il y a un D.ieu, qui nous a créés et nous a octroyé Sa Torah, qu’elle élève l’homme au-dessus de ses petitesses, faiblesses, et de sa nature. En l’observant et en le côtoyant, tous les doutes possibles disparaissaient à jamais.

Et pourtant, beaucoup d’autres dans ce même genre de situation, se sont, au contraire, éloignés. 

Sa vie a été racontée par sa fille, Mme G. Ytzchoki, dans un livre traduit en français dont le titre est : « Pour la Gloire de Hachem » éd. Yessodi, livre à lire et relire.

Le deuxième Rav dont je vous parlais est le Rav Y. Halberstam, Admor de Sanz-Klausenbourg, qui a créé à Netanya, après la guerre, le quartier de Sanz, ainsi que l'hôpital Laniado. 

Pendant la Shoah, il a perdu sa femme et ses onze enfants et a connu l’enfer des camps d'Auschwitz, Dachau et Majdanek. Son histoire a été rapportée dans un livre écrit en hébreu intitulé ”Lapid Ech” (“Torche de feu”), où l’on raconte que jamais pendant cette terrible période il n’a douté de la Bonté de D.ieu. Il s’est efforcé à tout moment, et également à la Libération, de remonter le moral des malheureux qui avaient perdu toute raison de vivre, ainsi que les forces morales et physiques d’accomplir la Torah.

Le Klausenburger Rebbe continuait d’accomplir les Mitsvot dans des conditions qu’il nous est difficile de concevoir. De sa bouche ne sortaient que des versets de Téhilim, même dans les camps de la mort, et sa foi en la miséricorde Divine ne l'a quitté à aucun moment.

L’exemple de ces géants ne peut que nous renforcer dans nos épreuves.

Pour terminer, je citerai ces paroles du ‘Hafets ‘Haïm, rapportées par son élève, le Rav ‘Haïm Chajkin (“Pour la Gloire de Hachem”, p.73), qui exprimaient le fait que dans la prière, trois fois par jour, on s’adresse à D.ieu, Le Roi des rois, à la deuxième personne du singulier : “Toi, Tu…” (“Ata” en hébreu), ce qui montre que l’Éternel désire ce contact proche et intime avec l’être humain, lui donne la possibilité d’exprimer ses demandes, et ceci, trois fois par jour, comme pour nous dire de ne pas rester une journée entière avec quelque chose sur le cœur.

En conclusion, devant des épreuves, il nous faut tout d’abord prendre conscience que rien ne nous arrive par hasard et que tout est voulu par la Providence, qui ne cherche que notre bien. Ensuite, si on peut concrètement améliorer son sort, il faut s’efforcer de le faire. Enfin, se renforcer dans la Émouna qui, elle seule, peut apaiser nos peines, en prenant exemple de personnages qui se sont surpassés face à l'adversité. 

Et comme disent nos Sages : “La délivrance Divine vient en un clin d’œil”, et c’est ce que je vous souhaite pour très bientôt.