Lorsque les rescapés de la Shoah arrivèrent en Israël après la guerre, ils furent confrontés au regard critique et accusateur des Sabrès, les habitants du nouveau Yichouv. En effet, l’idée répandue était que ces Juifs d’Europe étaient restés passifs et s’étaient laissés tuer sans résistance, par faiblesse. Malgré le sentiment d’indignation que les survivants ressentirent, ils choisirent le silence. Le souvenir des camps était de toute façon traumatisant et chercher à défendre leur cause exigeait des forces morales qu’ils préféraient utiliser pour se reconstruire.

En 1960, avec la capture d’Adolf Eichmann (criminel de guerre nazi, artisan de la Solution finale) par les services secrets israéliens et son jugement à Jérusalem, le sujet de l’attitude des Juifs durant la Shoah refait surface. C’est au cours de ce procès que vont témoigner pour la première fois les victimes des Nazis et leurs interventions seront retransmises à l'échelle mondiale par les journalistes et envoyés spéciaux de nombreux pays. C’est alors que l’on commencera à comprendre l’abominable réalité de ce que les Juifs avaient vécu lors de cette terrible période de l’Histoire, sans doute sans équivalent depuis la nuit des temps. Il apparut alors que les victimes n’avaient montré ni faiblesse ni passivité, bien au contraire ; les Nazis étaient des monstres sadiques et cruels qui utilisaient tous les moyens pour neutraliser la moindre résistance chez ces Juifs qui n’avaient pas saisi ce qui leur arrivait. Ces derniers devaient survivre à la faim et aux maladies, au travail forcé et à l’humiliation, à la séparation de leur famille et aux sélections, aux coups et aux sévices inimaginables.

Naftali Lau Lavi, le grand frère et sauveteur du Rav Israël Méir Lau, Grand Rabbin d’Israël, raconte dans son livre un fait dramatique qu’il avait vécu en 1974 auprès de Moché Dayan, alors ministre de la Défense. À l’école de Ma’alot, trois terroristes palestiniens avaient alors pris en otage une centaine d’adolescents qui étaient encadrés par des enseignants et des militaires qui n’avaient pas d’armes sur eux à ce moment précis. La prise d’assaut par Tsahal n’empêchera pas le carnage et des dizaines de jeunes seront hélas tués par les terroristes. Présent lors de cette tragédie, Dayan avait dit à Lavi qu’il avait alors compris comment le génocide en Europe avait pu se réaliser : bien que les otages israéliens étaient en formation militaire, avaient pour la plupart déjà tenu une arme, se trouvaient dans leur pays et avaient le soutien de toute la nation, malgré tout, pas un seul d’entre eux ne s’était opposé à ces 3 criminels, paralysés devant les kalachnikovs.

Le 21 avril 1951, la Knesset décidera de fixer le 27 Nissan, date du soulèvement du ghetto de Varsovie, comme jour de commémoration de la Shoah, qui sera nommé “La journée du souvenir de la Shoah et de l’héroïsme” (!). Beaucoup de rescapés des camps en seront indignés car là aussi, on faisait allusion au fait que seuls ceux qui s’étaient battus furent des héros. En vérité, cette insurrection ne fut envisageable que dans ce cas unique, car les Juifs avaient eu vent de source sûre que les Nazis s’apprêtaient à raser le ghetto et ils n’avaient donc plus rien à perdre. 

De façon générale, comment peut-on porter un jugement sur les Juifs européens durant la Shoah quand on sait que nulle contrée n’était à l'abri ? Le fait que la terre d’Israël n’ait pas été conquise par les Allemands tient du miracle, après le retrait surprenant de Rommel qui s’apprêtait à envahir la terre sainte avec ses troupes militaires. Du reste, même après la déclaration de l’Indépendance de l’État d’Israël, ce pays s’est retrouvé à plusieurs reprises en danger d’extermination et c’est Hachem qui l’a protégé, accomplissant le verset prophétique (‘Ovadia 1, 17) : “Et sur le mont Sion se retrouveront les survivants et la descendance de Ya’akov s’y installera”.

Nos Sages nous enseignent : “Ne juge pas ton prochain avant de se tenir à sa place” (Michna Avot 2, 4).