Il se promenait dans Rome, la métropole de l’antiquité, avec le regard scrutateur d’un homme qui veut apprendre sur la vie et méditer, avec la curiosité de celui qui comprend que tout phénomène recèle un sens profond.

Notre homme s’appelait Rabbi Tan’houm Bar Marion, un sage juif qui avait visité Rome et relaté par la suite ce qu’il avait vu.

Rabbi Tan’houm expliqua qu’il avait trouvé à Rome des chiens intelligents, voici son récit :

Un chien est couché à côté d’une grande boulangerie, sa langue pend au-dehors et ses yeux sortent presque de leur orbite devant la variété des pâtisseries et des pains frais sortant du four du boulanger.

Le chien est couché et le propriétaire du magasin le surveille, il sait que lorsqu’un tel animal est au-dehors, ses pâtisseries sont en danger, il surveille de près ses viennoiseries; le chien, quant à lui, sait qu’il doit planifier convenablement son méfait, qu’il doit impérativement faire preuve de patience et de sang-froid jusqu’au moment voulu.

Il baisse la tête et fait semblait de somnoler et de profiter des rayons du soleil, il remue légèrement la queue pour chasser des mouches dérangeantes, et patiente.

Le boulanger s’est calmé, il s’est habitué à la présence du chien et estime que ses pâtisseries ne sont pas mises en danger par la présence de ce chien innocent, et il pense à autre chose.

Il sort à ce moment-là des miches de pain fraîches directement du four brûlant, puis les dispose sur de grands plateaux en bois, tout en fredonnant une joyeuse chanson populaire.

Le chien avait attendu précisément un tel moment. D’un bond soudain, il se jette sur sa proie : une pile de plateaux qui s’écroule à grand fracas, attrape une miche entre ses crocs et s’enfuit.  

Le boulanger est stupéfait, il est coupé au milieu de son chant, et derrière lui, quel bazar ! Il se retourne, sous le choc, et en voyant le chien s’enfuir avec une seule miche, il soupire, soulagé, et déclare : « Ok, ça va, qu’il en profite. Une miche de pain, ce n’est pas très grave. »

C’est l’histoire de Rabbi Tan’houm rapportée suite à son voyage à Rome.

Nous nous interrogeons :

Pourquoi nos Sages nous ont-ils conté cette histoire étrange ?

Qu’avons-nous retenu de ce chien de Rome ?

Et, en réalité, pourquoi le chien a-t-il dû renverser toute la pile de plateaux pour attraper une seule miche de pain, pourquoi n’a-t-il pas pris simplement un pain avant de s’enfuir ?

Rabbi ‘Haïm Chmoulévitz, l’un des maîtres de la génération précédente, a interprété les motivations du chien :

Si le chien s’était contenté d’une miche de pain sans causer de chahut, le boulanger aurait peut-être repris ses esprits et se serait lancé à sa poursuite, en retirant de sa bouche le pain et en lui administrant des coups violents, et l’animal serait resté sur sa faim et blessé. Mais après avoir renversé les plateaux et fait une telle scène dans le magasin, qui aurait l’idée de poursuivre un petit chien qui s’est enfui, somme toute, avec un seul pain ?!

Nous possédons également un chien comme celui-ci.

C’est le mauvais penchant, bien entendu.

Il est écrit dans la Torah : « Le péché est tapi à ta porte. »

Le mauvais penchant est assis, tapi aux parois de notre cœur, tout comme le chien qui guette un moment d’inattention pour réaliser son dessein. Il attend que nous fermions les yeux un instant, que nous baissions la garde, pour se jeter sur nous et faire une scène, et une tempête se déclenche dans notre cœur. Nous sommes confus, troublés et secoués, il nous semble que le mauvais penchant a réussi à détruire tout notre système de vigilance. Mais alors, nous reprenons nos esprits et estimons que ce n’est pas si grave, au final, il n’a pris qu’une petite miche, la chute n’a pas été si abrupte, inutile de s’émouvoir.

Mais c’est faux. Car c’est exactement ce qu’il voulait obtenir de nous, cette petite chute, cette manière de minimiser : « Oh, ce n’est pas bien grave », on peut s’arranger, c’est acceptable, nous n’avons rien perdu.

Alors, de grâce, tenez bon. Ne baissez pas la garde. Ne laissons pas en liberté nos acquis spirituels, notre âme sainte, au bon vouloir des chiens qui nous guettent.