Le Peuple du Livre. Quel compliment !

Est-ce que cette expression vient de nous ou alors, seraient-ce les Gentils qui, nous observant, auraient remarqué que notre centre d’intérêt tourne irrévocablement autour de l'Écrit ? 

En tous les cas, le Juif, depuis le Mont Sinaï, est penché sur les Textes Saints, les étudie, les commente, les décrypte, et surtout… les aime.

On embrasse un livre d’étude ou de prière avant de le refermer, dans une relation qui se situe bien au-delà de celle d’un utilisateur avec l’objet qui l’a servi. Même le meilleur dictionnaire, indispensable et précis, envers lequel on est reconnaissant pour nous avoir aidé à trouver la bonne tournure, ne méritera pas un baiser.

Même si on a adoré Shakespeare, Hemingway ou Proust, parce que ces hommes ont su avec des mots définir les choses les plus subtiles de l’âme, un moment éphémère pris au vol ou une vérité humaine commune à tous les individus, personne ne va révérer un de leur ouvrages au point de s’abstenir d’écrire en marge, au stylo, une remarque.

Un livre de Torah est le réceptacle de la Parole Divine et va en conséquence recevoir des égards extra-ordinaires. Il n’est pas une “chose”, utilitaire, multifonctionnelle, qui peut par exemple servir aussi de paravent contre le soleil, de compensateur à la jambe trop courte d’une table bancale ou de « cachette » à des billets d’argent. On veillera à ne pas s'asseoir sur un banc ou un divan où il se trouve posé, si l'on n’a pas mis au préalable dessous quelque séparation. 

Nos Écrits possèdent même entre eux une hiérarchie qu'il faut apprendre à connaître : on ne posera pas arbitrairement celui-ci sur celui-là. Il y a un ordre et il faut le respecter ! Au sommet, sera le 'Houmach, contenant les 5 premiers livres de la Torah, reçus par Moïse sous la dictée de l'Éternel. 

Le Peuple du Livre

Noblesse oblige : il ne peut y avoir plus haut dans la sainteté d’un Texte !

Renaissance du Livre

Trente ans avant qu’Isabelle de Castille et son roi de mari Ferdinand ne se déchaînent en 1492 sur la population la plus raffinée du pays, celle qui rehaussait l’Espagne économiquement et culturellement, Johannes Gutenberg invente l’imprimerie moderne en Europe. Son coup de génie, ce sont les caractères amovibles en plomb, solides et réutilisables, qu’on va enduire d’une encre épaisse, faite à base d’huile, dense comme une glue, avec lesquels il obtiendra un rendu fantastique. 

Le Peuple du LivreLe Peuple du Livre

Un moine copiste mettait à l'époque 3 ans pour recopier une bible : Gutenberg, dans le même laps de temps, en imprimera 180 exemplaires. C'est dire à quel point cette découverte va participer à la diffusion du savoir, au développement de la lecture et à la propagation des idées. 

La “Re-Naissance”, il Renascimento, c’est surtout ça : une période où les connaissances ré-émergent d’un Moyen-Âge ténébreux, qui condamnait ses populations à l'analphabétisme et à l'ignorance.

Cette incroyable invention, arrive à point pour le Peuple du Livre, permettant la multiplication des ouvrages d'étude et de prière, et contrant les autodafés, brûlements du Talmud, et autres scélératesses que nous réservèrent nos voisins pendant l’exil. 

La Main de la Providence choisira Daniel Bomberg, imprimeur hollandais, non juif du 15ème siècle, pour se spécialiser dans l’impression des ouvrages du Talmud, et des premières bibles avec les commentaires de nos exégètes. Même si les censeurs repasseront à la loupe et “corrigeront” à leur façon le texte, Bomberg garde pour la postérité, le mérite d’avoir été le premier grand imprimeur du peuple juif. 

Le Peuple du LivreLe Peuple du Livre

Dans certaines éditions du Talmud, les censeurs font tellement de zèle qu’ils omettent carrément l’impression d’un traité entier, comme celui de 'Avoda Zara, l'Idolâtrie. On efface même le mot Talmud, remplacé par “Chass”, premières lettres de Chicha Sédarim, Six Traités. 

“Chaque endroit où est détaillé le sujet du Messie (Machia’h) disant qu’il doit venir dans le futur, sera complètement effacé. Et là où sont mentionnés deux Messies, Machia'h ben Yossef et Machia'h ben David également. De même, chaque endroit où il est écrit que le Saint Béni Soit-Il est peiné de la disparition d'Israël, sera effacé” sont quelques une des perles de l’almanach du parfait censeur, sans compter la suppression systématique de toutes références au fils de Marie. 

Dans les éditions plus récentes, le fameux Talmud de Vilna du 19ème siècle, sorti des presses de la Veuve Romm et de ses fils, est remarquable. Il fallut 6 ans pour terminer son impression complète, et l’agencement de la page reste une référence pour toutes les versions à venir, jusqu’à aujourd’hui. 

Le Peuple du LivreLe Peuple du Livre

Rabbi 'Hiya, le laboureur

Le développement providentiel de l'imprimerie fut un immense bienfait pour la préservation de la Torah. Car le Texte Saint, fait d’encre et de lettres, est le seul médiateur dans l’exil entre La Parole de l’Éternel et ceux qui la reçoivent sur terre : son importance est cruciale. 

Il faut lire ce qu’en dit notre Maître, Rabbi 'Hiya, détaillant le niveau de pureté exigé, dans les actes et les d’intentions, pour que cette transmission ait lieu et perdure. Écoutons-le, dans ses propres mots (Talmud Kétoubot, 103/72) : 

Rabbi 'Hiya a dit : “Je ferai en sorte que la Torah ne soit pas oubliée du peuple juif. 

- Comment ? 

 Je vais aller et semer du lin, et je vais en faire des filets, avec lesquels je vais chasser des cerfs ; de leur peau, je ferai des parchemins et de leur chair, je nourrirai des orphelins. Et ainsi j’écrirai dessus les 5 livres de la Torah et j’irai dans une ville où il n’y a pas d’enseignants et j’enseignerai à 5 enfants les 5 livres…”

Avec quel soin, quelle ferveur, quelle probité, quelle attention à tous les détails, le terrain doit être préparé et les outils nettoyés pour que les fondations puissent, sans un millimètre d’irrégularité, soutenir parfaitement l’édifice à venir, intact pour les générations futures. 

Né 200 ans après le 'Hourban (2ème siècle après notre ère), et ayant assisté à la délicate mise par écrit de la Torah Orale par son Maître, Rabbi (Rabbi Yéhouda Hanassi), il œuvrera toute sa vie pour former des enseignants et établir des maisons d’études pour la jeunesse. 

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La leçon de Rabbi 'Hiya n’est ni dans le ciel ni au-delà des mers, mais à portée de main, comme tous les enseignements de nos Sages. 

Je connais une maman qui, il y a 25 ans, alors que ses enfants étaient petits et que la littérature religieuse était pratiquement inexistante pour leur âge, dessinait elle-même, en comics, les histoires de nos Sages, puis les racontait à ses enfants. 

Ce geste, qui consiste à faire depuis la base, depuis la source, est sans doute le secret de la passation. 

Certains récits, comme ceux de Rabbi 'Hanina Ben Dossa - immense érudit et référent absolu en objets trouvés… -, de Rabbi Tarfon - et son légendaire respect des parents -, ou d’Hillel - presque mort de froid pour avoir cherché à écouter un cours de Torah en plein hiver du toit d’une synagogue - s’y prêtent si bien. Et nos petits, émerveillés de découvrir leur propre innocence se refléter chez ces géants de la Torah, ne pourront, en regardant les dessins de maman, et en écoutant ses récits, que s'imprégner à jamais du message Divin. 

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Pas besoin de courir après nos enfants avec des remontrances, des “Mets ta kippa !”, “Tu as dit ta Brakha ?”, “Fais ta Téfila !!”, si comme nous l’enseigne Rabbi 'Hiya, avec poésie et ferveur, avec sincérité et chaleur, ils sentent où est notre priorité.

L'éducation ne commence qu’avec nous-mêmes.

Le reste suivra.

Le Peuple du Livre