Se pose une intéressante question. Qu’en est-il du libre-arbitre des dirigeants ?

Au niveau du simple particulier, non seulement le libre-arbitre existe, mais encore il constitue la base de toute la Torah. En effet, la récompense des Justes et la punition des pervers qui constituent l’un des treize principes de foi définis par le Rambam impliquent obligatoirement l’existence du libre-arbitre ; si le libre-arbitre n’existait pas, on ne pourrait concevoir que D.ieu récompense les bonnes actions et sanctionne les mauvais comportements.

La liberté qui nous est octroyée par le Créateur de l’univers débouche logiquement sur la responsabilité : nous sommes libres donc nous sommes responsables. Si l’homme n’était qu’un automate programmé, le Créateur de l’univers ne pourrait lui demander des comptes.

Cependant en ce qui concerne les dirigeants, il en va autrement. Dans Michlé 21,1 (les Proverbes du roi Salomon), il est dit : « Le cœur du roi est comme un cours d’eau dans la main de D.ieu Partout où Il le souhaite, Il le dirige ». Pourquoi en est-il ainsi ?

Rabbénou Yona explique que la raison de cette absence de libre-arbitre des dirigeants tient au fait que le peuple dépend entièrement d’eux. En effet, Hachem a donné aux dirigeants droit de vie et de mort sur leurs sujets et nous pouvons ajouter le pouvoir d’influencer notablement leur bien-être économique. Il est patent également de constater que les libertés individuelles vont dépendre dans une large mesure des volontés de la classe dirigeante.

Par conséquent, il ressort de là qu’il serait amoral que le bonheur de millions d’individus dépende des caprices d’une caste régnante. Comment cela se passe-t-il concrètement ?

Le Yalkout Chim’oni explique que lorsqu’un individu arrive au pouvoir, son cœur est entre les mains d’Hachem. Si le peuple est méritant, Hachem fera pencher le cœur du roi vers le bien, et si le peuple n’est pas méritant, le cœur du roi penchera vers des décisions peu favorables. Quoiqu’il en soit, chaque décision que le roi prend est d’abord promulguée au Ciel. Nous avons un exemple de cette intervention divine dans la Torah. Il est dit au sujet de Pharaon (Chémot 7,3) : « Et Moi, J’endurcirai le cœur de Pharaon afin de multiplier Mes signes et Mes prodiges en terre d’Egypte ».

Le Malbim ajoute que de la même façon que l’on détourne un cours d’eau au début de son embranchement, ainsi Hachem intervient dans la genèse de la décision du monarque dès le début, puisque des décisions du monarque vont dépendre des choses aussi essentielles que la paix et la guerre.

Le Ralbag précise que les actions et les pensées du roi sont limitées par D. et que finalement le roi est comme un envoyé de D.ieu. Or ceci provient de la sagesse divine infinie, car si le roi avait la faculté de décider librement des affaires du royaume comme il décide librement de ses affaires privées, cela aurait constitué un danger considérable pour le peuple.

Hachem veille sur les destinées de l’humanité en vertu du principe énoncé dans le verset : « Car Celui Qui est dans les hauteurs, au-dessus de ceux qui sont hauts, veille » (Kohélète 5,7). En effet, Hachem constitue l’autorité suprême, devant laquelle toutes les autres formes d’autorité s’annulent. D’après Rachi, « ceux qui sont hauts » désigne ici les anges, à savoir les entités les plus élevées au dessus des hommes, qui sont néanmoins soumises à D. et accomplissent Sa volonté.

A plus forte raison en est-il des dirigeants humains qui accomplissent la volonté de D. parfois à leur insu, parfois de manière consciente. Avec Pharaon, nous avons un exemple de ces deux cas de figure : une première fois à son insu, comme nous l’avons mentionné plus haut : « Et Moi, J’endurcirai le cœur de Pharaon » (Chémot 7,3), chose dont Pharaon n’était absolument pas conscient et qui a permis à Hachem de réaliser Ses miracles ; une seconde fois, de manière parfaitement consciente, lorsque Pharaon décida de renvoyer les Juifs de son plein gré, suite à la mort des premiers-nés, obéissant par là à D.ieu Qui lui avait intimé l’ordre à plusieurs reprises de renvoyer les Bné-Israël d’Egypte, comme il est dit « Renvoie Mon peuple afin qu’ils puissent Me servir » (Chémot 7,26).

Nous voilà donc face à un paradoxe. Ceux qui nous sont présentés comme les dirigeants et qu’on appelle pompeusement les Grands de ce monde, n’ont finalement pas de libre-arbitre et leurs décisions ne leur appartiennent pas. Comme l’explique Rabénou Yona, ce n’est pas d’eux qu’il faut avoir peur ; c’est Hachem qu’il faut craindre et c’est Lui qu’il faut implorer, car Lui seul peut infléchir le cœur du roi là où Il le désire.

Le seul véritable Dirigeant, c’est le Créateur de l’univers. Et finalement, qui possède le libre-arbitre ? Les gens du commun, les gens du peuple qui ont en définitive plus de pouvoir que les dirigeants. Et ceci constitue un encouragement considérable pour les simples gens que nous sommes. De chacune de nos décisions, va dépendre le sort de l’humanité entière, car comme l’explique le Rambam en se basant sur le traité Kidouchin 40b, chacun doit considérer le monde comme une balance en équilibre avec autant de fautes que de mérites. Si on choisit de fauter, à D. ne plaise, on fait pencher soi-même et le monde entier vers les fautes, alors qu’à l’inverse, si on choisit de ne pas fauter, on fait pencher le monde entier vers les mérites. Il nous revient de comprendre l’importance considérable de chaque juif et de chacune de nos actions.

Car en définitive, les dirigeants politiques de ce monde n’ont que les apparences du pouvoir. La réalité du pouvoir appartient au Maître de l’univers, Qui dans Sa grande bonté en délègue une partie à Ses fidèles Serviteurs, les Tsadikim, les Justes. En effet, ces derniers ont reçu d’Hachem le pouvoir incroyable d’infléchir les décisions du Très-Haut, comme l’enseignent nos Sages, en se basant sur le traité Mo’ed Katan 16b : « Le Juste décrète et D. accomplit ».

Puisse l’exemple des Tsadikim nous inspirer positivement dans nos choix quotidiens et nous faire utiliser notre libre-arbitre à bon escient en nous permettant d’accomplir la volonté du Roi des Rois et du Dirigeant Suprême. Amen.