Dans quel but avons-nous été créés ? D.ieu avait-Il un plan lorsqu’Il créa l’humanité ? Si oui, lequel ?

Pour trouver une réponse à cette question, il faut se diriger vers les écrits kabbalistiques, au cœur desquels nos maîtres ont apporté leur éclairage sur ces questions fondamentales.

Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato est l’un d’eux. Dans son œuvre Derekh Hachem – La voie de D.ieu – qui traite des fondements de la foi juive, le Ram’hal y apporte une réponse.

Il écrit au second chapitre qui traite du but de la création – « Le but de la création fut d’octroyer de Son bien à autrui… Par conséquent, puisque le désir de D.ieu est d’octroyer le bien à autrui, ce bien ne saurait être partiel… D.ieu étant le seul « véritable bien », son désir ne saurait être satisfait qu’en faisant profiter autrui de ce même bien qui constitue d’ailleurs une partie intégrante de Son être. Sa sagesse insondable décréta que la nature de cette « bonté véritable » s’exprime par la possibilité accordée aux créatures (du genre humain) de s’attacher à Lui jusqu’au plus haut degré… En somme, l’intention de D.ieu était de créer un être apte à bénéficier de son Bien » (traduction du Rav M. Chriqui)

Tout est dit. Le but de la création est donc de donner à l’homme la possibilité de s’attacher à Lui et ainsi de jouir de cette délectation jubilatoire. Le Ramh’al, dans une autre de ses œuvres phares, le Messilat Yécharim, le sentier de la rectitude, dit que la nature même de notre âme fut créée dans le but de percevoir cette jouissance divine. «  Nos sages de mémoire bénie », dit –il, « nous ont enseigné que l’homme n’a été créé que pour se délecter par l’Eternel et jouir de la splendeur de sa présence, car telle est la vraie délectation et le grand plaisir ». 

En résumé, nous avons D.ieu, qui veut nous prodiguer Son bien, et notre âme qui fut créé dans ce même but, donc aspirant à cela. Et… une très grande difficulté à le ressentir !

Nous sommes en droit de nous poser la question suivante : pourquoi ne ressentons-nous pas le bien suprême que D.ieu dit vouloir nous prodiguer ? Quelque chose gênerait-il le projet divin ?

La réponse est simple : oui. Nous-même !

Le Ramh’al explique plus loin que D.ieu décréta qu’un tel bien ne serait parfait qu’à la condition que le bénéficiaire l'acquière par ses propres moyens. Car si D.ieu le lui prodiguait « gratuitement », sans que l’homme ne fasse les efforts personnels nécessaires à son acquisition, il en aurait terriblement honte. Ce principe est communément appelé par nos maîtres « le pain de la honte »… Pour imager un peu, imaginons-nous être entretenus dans une extrême opulence par un riche mécène tous les jours de notre vie. Tous nos désirs seraient réalisés, et nous ne manquerions de rien. A chaque instant de notre vie, le riche philanthrope userait de tous les moyens en son pouvoir pour nous satisfaire à chaque instant. Ne serions-nous pas gênés si toute cette pluie de bonté se déversait sur nous sans que nous puissions nous en acquitter ? Ne serions-nous pas confus d’une telle gentillesse ? Si certains pensent pouvoir s’en accommoder, imaginez-vous vivre cela durant l’éternité… et puis sans l’épaisse enveloppe corporelle dans laquelle nous pourrions enfouir toutes nos faiblesses…

C’est donc à cause de cette nature qui est la nôtre que D.ieu met à disposition les éléments par lesquels nous pourrions nous approcher de Lui et jouir de Sa présence, sans en ressentir le malaise : la Torah et les Mitsvot. Par elles, nous jouirons, une fois le corps séparé de l’âme, d’une éternelle félicité. Une fois la spiritualité mise à notre portée de main, il ne nous suffirait plus que de faire l’effort de la saisir, et ainsi nous pourrions nous acquitter du bien sans limites qu’elle nous procurera. Un semblant de paiement en quelque sorte, nécessaire à atténuer notre sentiment de gêne…

Une fois le schéma de l’existence si bien expliqué par le Ramh’al, une question de fond interpella nos maîtres.

N’eût-il pas mieux valu au D.ieu tout puissant de créer une âme qui ne ressentirait pas cette gêne, puisque c’est finalement ce sentiment qui est la raison pour laquelle D.ieu ne nous prodigue pas totalement de Son bien. C’est lui qui est la cause de toutes nos pérégrinations dans ce monde ici-bas. D.ieu aurait très bien pu créer une âme différente, affranchie de ce sentiment de gêne ; ainsi pourrait-Il lui prodiguer Sa bonté suprême sans passer par toute cette dimension matérielle et ce monde d’épreuves dans lequel l’homme va s’efforcer d’acquérir dûment la rétribution de ses actes. N’oublions pas qu’une fois projeté dans ce monde-ci, l’échec n’est jamais bien loin…

Il est donc clair que cette notion du « pain de la honte » n’est pas fortuite... En réalité, elle définit quelque chose de fondamental chez nous. Tâchons d’en savoir plus.

L’explication du Rav Morde’haï Noiguerchel

Le Rav Noiguerchel explique que l’âme humaine fut créée à l’image de D.ieu, elle en est en quelque sorte le reflet. C’est ainsi que D.ieu la décrit lorsqu’Il déclare « Faisons l’homme à notre image » (Genèse 1, 26). 

Partant de là, le Rav explique qu’étant la perfection par essence, D.ieu ne reçoit rien de personne. Tout « reçu » n’est autre que le comblement d’un manque quelconque, or chez D.ieu, cette éventualité n’existe pas. Recevoir à proprement dit n’a pas de sens concernant l’Eternel. Il est le donateur absolu. Celui qui donne sans recevoir. Si bien que l’âme humaine, dont l’essence est semblable à celle de D.ieu, ne ressent de bien-être fondamental que dans l’expression du don. Recevoir pour elle revêt toujours ce caractère précaire liée à sa condition « humaine », celle nécessaire à son adaptation à la réalité physique liée à son corps. 

Ce que le Rav explique, c’est qu’en réalité, ce sentiment de malaise appelé le « pain de la honte » ressenti par l’âme est l’expression fondamentale de sa ressemblance avec le divin, ce qui différencie fondamentalement l’âme de l’homme de celle de l’animal. Voilà pourquoi ce sentiment est indispensable et qu’il ne pouvait en être autrement.

Mais qu’il me soit permis de proposer une autre explication, fruit d’une intense réflexion avec mon compagnon d’étude, David Cohen.

Le sentiment de honte implanté en l’homme par D.ieu

L’âme fut initialement créée avec ce sentiment de gêne lorsqu’elle « reçoit gratuitement ». Le sentiment du « pain de la honte » fut intentionnellement implanté en elle, car le but recherché par-là serait justement que l’homme sublime cette nature originelle, et qu’il se hisse, au-delà même de sa propre condition humaine, jusqu’à atteindre la condition divine, « l’image de D.ieu » dont parle le verset. D.ieu disposa donc en l’homme une nature qu’il devrait sublimer pour l’atteindre. C’est précisément cette aversion au don gratuit qui devrait conduire l’homme à s’acquitter de toutes les bontés que D.ieu veut lui prodiguer. 

Ainsi, l’homme réaliserait par son élévation le dessein initial de la volonté divine : faire véritablement jouir l’homme de Sa proximité.

Si le sentiment de gêne était perçu comme un manque, une sorte de frein à la réalisation de la volonté divine, il se révèle être en réalité son catalyseur, celui par qui elle prend tout son sens.