L’Angleterre ne finira pas de nous étonner. 

Entre chapeau melon et coiffure punk, conservatrice et délurée, elle a été la terre fertile des plus grands talents musicaux de la pop music - avec en tête les Beatles - tout en manifestant un inconditionnel (et surprenant) engouement pour leur Royal Family. Les Anglais sont un étrange cocktail de convenance, d’amour du protocole, de flegme et de provocation. L’Ange préposé à cette île est « definitely » différent de celui de la France ou de l’Italie. 

Ils ont eu leur heure de gloire - alors qu’Hitler les considérant comme aryens et frères de sang germain leur proposait des accords à l’amiable - en refusant toute collaboration avec lui et en prenant les armes, alors qu’ils auraient pu facilement pactiser avec un troisième Reich très enclin à leur égard. 

Les Anglais ont su résister et avec bravoure, sous la houlette de Churchill, l’homme qui vraisemblablement a sauvé l’Europe (et le monde ?) du nazisme. Protégée par ses murailles d’océan et pourtant prête à se battre et à « se mouiller », sans lâcheté, l’Angleterre est l’un des rares pays d’Europe qui n’a pas été entaché par l’infamie des déportations. Au contraire, de nombreuses familles (dont les parents de Margaret Thatcher) ont accueilli des enfants juifs réfugiés sur l'île. Mais il y a des ombres au tableau : les bateaux refoulés en Palestine, sans parler du mandat britannique qui traitait sans pitié les réfugiés en détresse. Indéniablement, l’Angleterre est à multiples facettes, comme d'ailleurs la famille du prince Philip duc d'Edimbourg, époux de sa Majesté la Reine Elisabeth, dont nous allons parler. 

Le Prince Philip, décédé il y a peu (le 9 avril 2021), deux mois seulement avant son centième anniversaire, mari attentionné de sa royale épouse pendant 74 ans, a su jouer « fair play » et lui laisser les devants de la scène. Mais la façade du « real gentleman », du héros de guerre engagé dans la Royal Navy, est plus complexe, avec quelques nuances grises. Voici en tous les cas les pièces du dossier.

Une Juste nommée Alice

Sa mère Alice, princesse de Grèce et du Danemark, a été une Juste parmi les Nations et a sauvé une famille juive pendant la guerre. Philip a reçu à titre posthume pour sa mère le certificat de Yad Vashem en 1994. Evy Cohen, la petite-fille de la famille sauvée, témoigne et rend hommage à la mère de Philip :

« En pleine guerre, elle a hébergé ma grand-mère, mon oncle et ma tante, et a mis à leur disposition pendant 13 mois un des somptueux appartements de son palais à Athènes. La Gestapo a même fait irruption dans cette demeure, sachant certainement qu’il s’y trouvait des juifs, et la princesse Alice a utilisé sa surdité pour feindre qu’elle ne comprenait rien à l'interrogatoire des Allemands, alors qu’elle lisait parfaitement sur les lèvres. Je dois la vie à cette femme, car si elle n’avait pas sauvé ma famille, je n’aurais jamais vu le jour. Rappelons que 95% (??!!) de la population juive de Salonique a péri dans les camps de la mort ».

Alice est enterrée à Jérusalem au Mont des Oliviers, selon ses vœux. 

Lors de la cérémonie à Yad Vashem en 1994, Philip rappela le souvenir de sa mère ainsi :

« Nous ignorions qu’elle avait offert un refuge à la famille Cohen à un moment où tous les Juifs grecs couraient l’immense danger de se faire arrêter et d’être envoyés dans les camps de concentration ».

« Je soupçonne ma mère de ne jamais avoir pensé que ses agissements pouvaient être héroïques. Elle a dû considérer que sa réaction à l’égard d’êtres humains en détresse était parfaitement naturelle. Elle était parfaitement consciente, depuis de nombreuses années, des persécutions exercées par les Nazis à l’encontre des Juifs », avait-il ajouté.

Racines et alliances germaines

Les 4 sœurs de Philip épouseront avant la guerre des aristocrates allemands, dont 3 deviendront de haut gradés nazis. Dans les mémoires de l’une d’elles, Sophie, on lit avec stupéfaction, sa description d’Hitler, qu’elle rencontre lors d’un banquet : « Nous avons été impressionnés par cet homme humble et charmant, qui semble-t-il veut tout faire pour redresser son pays… » Son fils aîné fut nommé Karl Adolf... Sans commentaire ! 

Les origines de la famille de Philip prennent d’ailleurs racine en Allemagne. Son nom Mountbatten n’est en fait qu’une anglicisation de Battenberg, son véritable nom. A la cour d’Angleterre, on est toujours resté très frileux sur les ascendants du Prince et l’on a préféré ne jamais mentionner ni les actes de grandeur (comme ceux de sa mère) ni les alliances inconfortables, comme celles de ses sœurs. Aucun membre de sa famille n’a d’ailleurs été invité à son mariage avec la reine Elisabeth en 1947, à part sa mère Alice, bien sûr. Mais Philip a toujours gardé des relations étroites avec sa famille. 

Une photo publiée dans un livre d’histoire (Jonathan Petropoulos, « Royals and the Reich ») sur les relations du troisième Reich avec les têtes couronnées a laissé l’Angleterre « shocked » : on y voit Philip à 16 ans, entouré de dignitaires nazis, aux funérailles de sa sœur Cécile, qui périt avec son mari, nazi attitré, et ses enfants en 1937 lors d’un crash aérien. L’enterrement a eu lieu en Allemagne, à Darmstadt.

Mère héroïne du sauvetage d’une famille juive, sœurs et beaux-frères collaborant avec le Mal, les proches de Philip ne partagent décidément pas les mêmes vues sur le bien et le mal. Le Prince, pour sa part, avouera lors d’une interview rapportée dans le livre de Petropoulos, qu’en effet, certains membres de sa famille avaient une « retenue » (!) à l'égard des juifs, qu’il explique comme une jalousie au vu de la réussite financière de certains membres de la communauté juive.

En ce qui concerne la sympathie de sa famille à l’Allemagne et au Führer, il la voit plutôt comme un hommage à la ponctualité allemande, à son efficacité, à son patriotisme et surtout au fait qu’ils étaient anticommunistes, et non comme un soutien à l'idéologie nazie. Il affirme que sa famille n'était pas au courant des plans maléfiques d’Hitler. 

Le Prince d'Edimbourg, c’est évident, a l’esprit de famille... D’un autre côté, il a été le premier à casser en 1994 le boycott familial qui interdisait à un membre de la famille royale de se rendre en Israël. Les distances polaires extrêmes qui séparaient sa mère de ses sœurs, se retrouvent en fines nuances chez lui. Comme s'il hésitait encore entre sa lignée généalogique germaine et le message complètement universel et humaniste de sa mère. 

Libre arbitre pas héréditaire

Pour terminer cette petite incursion dans les palais de Buckingham, rappelons que si les couronnes et les titres de noblesse se transmettent par héritage, les engagements humains et les inclinaisons idéologiques, certainement pas. La famille princière en est la preuve flagrante. Chacun choisit délibérément son camp, le libre arbitre opérant « librement » entre les membres d’une même maison ! La plus royale et la plus british soit-elle… Isn’t it