"Avez-vous vu les nouvelles ? Nous entendons plein d'ambulances passer. On ne peut même pas partir. C'est insensé. Nous avons tous tellement peur."

Jeudi 29 avril, le soir de Lag Ba’omer, j'ai reçu une avalanche de textos de ma fille Leora qui était à Méron. Evidemment, nous avons immédiatement découvert ce qui s'était passé et nous étions plus que reconnaissants que Leora aille non seulement bien, mais qu'elle ait pu se mettre en contact avec nous. Nous avons parlé plusieurs fois cette nuit-là. Pendant que nous dormions, elle était encore en train de faire défiler ce qui s'était passé et je me suis réveillé avec le message suivant :

"Abba, la partie la plus folle a été le changement d'émotions. Je pense que c'était la chose la plus éloquente. J'ai adoré toute la nuit. Tout le monde était si différents mais si enthousiastes de cette journée. Je priais de manière si intense et je sentais vraiment que cela pouvait être une raison pour laquelle Machia’h viendrait. Tous les juifs de tous courants dansaient ensemble, et il y avait tellement de monde, de musique et de prières. J'ai prié qu’Hachem regarde tous Ses enfants ensemble, mette fin à nos malheurs et amène Machia'h. Ma prière était si puissante - je me sentais vraiment soulevée, et dix minutes plus tard, les civières s’enchainaient et cet énorme malheur s'est produit."

Ma fille avait du mal à comprendre le sens de tout ça, passer du sentiment que "Machia'h est imminent" à "il n'a jamais été aussi loin". Elle bataillait et, je dois l'admettre, moi aussi. Alors que la plupart ont repris le bus, quarante-cinq personnes, dont des enfants, ne l'ont pas fait. Chacun est un monde, chacun un enfant, un frère ou une sœur, peut-être un mari et un père. Parmi eux se trouvait Donny Morris, le petit-fils de nos membres bien-aimés, le rabbin Joel et Malka Morris, qui étudiait à Shaalvim pour un an. Donny était une âme douce. Il était attentionné, sensible et particulièrement gentil avec ceux qui en avaient le plus besoin. Il était si heureux cette nuit-là. La photo qui accompagnait son grand sourire, une photo que beaucoup d'entre vous ont déjà vue, était une photo qu'il avait envoyée à sa famille peu de temps avant de quitter ce monde. Comment cela peut-il être possible ? Lag Ba’omer, la nuit où nous marquons la fin du deuil collectif, comment un nouveau deuil aussi dur pouvait-il commencer ?

"Puis, vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête, depuis le jour où vous aurez offert l'Omer du balancement, sept semaines, qui doivent être entières."

La Parachat Emor contient la Mitsva du compte du 'Omer. Nous comptons de Pessa'h jusqu'à Chavou’ot, mais la Torah ne nous donne pas de dates, elle nous dit plutôt de compter sept semaines. Et pas des semaines ordinaires non plus : sept semaines "Témimot", des semaines complètes. Halakhiquement, nous comprenons "complet" comme signifiant que nous ne pouvons pas commencer Chavou’ot avant la tombée de la nuit, sinon, le 49ème jour n'est pas terminé.

Mais le Midrash (Vayikra Rabba 28,3) comprend cela différemment : "Sept semaines complètes - quand sont-elles considérées comme complètes ? Lorsque le peuple d'Israël accomplit la volonté d'Hachem."

Que signifie que le compte du ‘Omer n'est complet que lorsque l’on fait la volonté d’Hachem ? Si on a terminé le décompte, n'était-ce pas Sa volonté ? De plus, nos Sages nous disent que lorsqu’Hachem a dit à Avraham : "Pour toi, sois fidèle à mon alliance" (Béréchit 17,9), Il faisait référence à la Mitsva du 'Omer. Pourquoi le ‘Omer est-il considéré comme une alliance, par opposition aux autres Mitsvot ?

Rav Avraham Schorr chlita explique que nous ne comptons pas et ne marquons pas seulement les jours sur un calendrier. Il y a un objectif spécifique, un effort ou un exercice dans lequel nous sommes engagés pour nous améliorer dans un domaine particulier, pour mieux garder une directive fondamentale d’Hachem. La Torah (Dévarim 18,13) nous donne une Mitsva : "Tamim Tiyé ‘Im Hachem Elokékha" "Reste entièrement avec l’Eternel ton D.ieu". Mais que signifie être Tamim avec Lui ?

Rachi, citant le Sifri, explique : "Marche avec Lui avec intégrité, aie confiance en Lui, et ne scrute pas l’avenir. Mais accepte avec intégrité tout ce qui t’advient, et alors tu seras avec Lui et tu seras Sa part."

Le compte du ‘Omer est un défi annuel de 49 jours pour se rendre et se soumettre à D.ieu, pour renoncer à nos attentes, à notre capacité ou notre droit de comprendre. Pendant sept semaines, jour après jour, nous travaillons dur pour être Tamim, pour être entier, pour s’annuler devant Lui. Alors seulement, quand nous n'avons aucune idée préconçue, aucune exigence, aucune attente ou droit, alors seulement nous pourrons nous tenir au pied de la montagne à Chavou’ot, et nous pourrons accepter Sa Torah.

‘Amalek nous a attaqués au mois d'Iyar alors que nous étions en marche vers la montagne. La Torah décrit de façon célèbre comment ils sont arrivés au cours de notre voyage et ont essayé de faire de nous des gens qui croient que tout est un hasard. Ils continuent de nous attaquer aujourd'hui en essayant de nous faire croire que tout cela n'est que hasard et coïncidence. Il n'y a pas de sens, pas d'ordre, pas de D.ieu et rien n'est voulu. Notre réponse, l'antidote, est de compter ces jours et d'utiliser ce temps pour être de plus en plus Tamim, Le voir de plus en plus partout et à l’origine de tout.

Les semaines du ‘Omer ne sont pleinement réalisées en tant que Témimot que lorsque nous sommes consacrés à la volonté d’Hachem, car tout le but du décompte est d'améliorer notre volonté, d’annuler notre volonté devant la Sienne. Le ‘Omer est appelé un "Brit", une alliance, parce que notre engagement et notre promesse est d'utiliser ce décompte pour se rapprocher, pour penser plus à Lui et moins à nous, pour faire passer Sa vision et Ses intérêts avant les nôtres, pour se soumettre à Son plan, que nous le comprenions ou non.

Ce ‘Omer, notre comte, notre voyage vers la montagne, a été douloureusement interrompu. Notre effort pour accomplir "Tamim Tiyé" a été mis à l'épreuve par cette tragédie inexplicable et incompréhensible, la plus grande catastrophe non terroriste de l'histoire d'Israël. Alors, où puisons-nous notre force ?

D.ieu a dit à notre Patriarche, Avraham : "Hithalèkh Léfanay Vééyé Tamim" "Conduis-toi à Mon gré, sois irréprochable" (Béréchit 17,1). Son engagement à remplir cette charge a été mis à l'épreuve quand D.ieu lui a demandé de sacrifier et d'abandonner son propre fils. Même alors, Avraham est resté inébranlable dans sa foi, inébranlable dans ses convictions. Il a transmis ce courage dans notre ADN, il nous a transmis cette capacité, nous, ses héritiers génétiques et spirituels.

Ces quarante-cinq Néchamot qui ne sont plus ici, sont allées à Méron pour gravir littéralement et métaphoriquement la montagne, pour se rapprocher d’Hachem, pour sentir Sa présence, pour répondre à l'appel de "Tamim Tiyé". Leur présence là-bas cette nuit-là nous dit qu'aucun d'eux ne voudrait que leur perte tragique crée la question qui nous fait tomber de la montagne. Au contraire, dans un grand test de notre décompte du ‘Omer vers la Temimout, ils voudraient que nous continuions à grimper, bien qu'après nous être naturellement arrêtés pour reprendre notre souffle spirituel. Vous avez peut-être vu la vidéo de l'énorme foule à Méron, chantant "Ani Maamine" "Je crois avec une foi totale en la venue de Machia'h", quelques instants avant la tragédie. Nous chantons "Ani Maamine" quand nous regardons dehors et que nous avons l'impression que Machia'h est sur le point de venir, et nous continuons à chanter "Ani Maamine" lorsque nous regardons des événements qui défient simplement les mots ou la compréhension.

Oui, quand nous avons appris qu'un Américain - en Israël pour un an seulement - était décédé, c'est devenu plus réel, plus proche de nous. Quand nous avons découvert qu'il était lié à notre communauté, cela faisait encore plus mal. Mais avant même cela, quel cœur n’a pas eu mal, quels yeux n’ont pas versé de larmes en entendant les informations pour la première fois, en regardant le nombre de blessés grimper ? Les images contenaient des foules de personnes qui, pour la plupart, semblent très différentes, et pratiquent différemment que la plupart d'entre nous. Les photos de la plupart des victimes reflètent différentes communautés, Hachkafa et modes de vie. Mais cela n'a pas eu d'impact sur la douleur, l'inquiétude. Cela n'a pas diminué ou atténué la douleur. Et je vous en supplie aujourd’hui, cette agonie que vous avez ressentie en apprenant cette tragédie, cette douleur que vous avez ressentie en voyant les photos de ces victimes, embouteillez ce sentiment et souvenez-vous-en.

Vous voyez, il faut trop souvent ces tragédies pour ressentir le lien, pour partager un cœur commun. À Tel Aviv et ‘Haïfa, des centaines de juifs laïcs sont venus donner du sang à leurs frères orthodoxes. À Jérusalem, une station de don de sang du centre-ville a refusé des gens - il y en avait déjà assez. À Guivat Chmouel, un juif distribuait de la nourriture gratuite aux familles avec des êtres chers qui n'étaient pas encore rentrés chez eux et qui étaient trop occupés pour cuisiner pour Chabbath. Des funérailles ont eu lieu vendredi pour un juif de Montréal sans famille en Israël. Des centaines de personnes sont venues dans une chaleur intense pour rendre un dernier hommage à sa Néchama (âme).

Pourquoi ?! Pourquoi faut-il une tragédie pour sentir que l’on est ensemble ? Pourquoi faut-il de la tristesse pour reconnaître que nous avons un cœur ? La prochaine fois que vous êtes tenté de voir un juif comme différent, prompt à le juger ou le critiquer, demandez-vous si, si son image faisait partie d'une image tragique, vous ne pleureriez pas pour sa perte, vous ne ressentiriez pas la douleur de sa famille ?

Alors que nous revenons pour gravir la montagne, rappelons-nous à quoi nous accrocher et à quoi renoncer. Laissez tomber les questions qui n'ont pas de réponses, mais embouteillez le sentiment d'unité et de solidarité qui est la solution au moment où Hachem baissera les yeux sur Ses enfants, mettra fin à nos douleurs et amènera le Machia'h.

Rabbi Efrem Goldberg