La peur de l’avion fait partie du classique des angoisses et rentre dans la grande catégorie de la claustrophobie, c'est-à-dire la peur des endroits clos. Certaines personnes ne voyageront jamais vers certaines destinations qui ne sont accessibles que par aéroplane, ne visiteront jamais des parents à l’étranger et j’ai même entendu parler d’un pilote qui a mis en place une méthode de simulation de vol pour soigner ce trouble. Une enquête a révélé que les personnes souffrant de ce problème craignent en réalité toute situation les obligeant à lâcher prise et à abandonner leur contrôle absolu sur les choses. Et l’avion est l'endroit par excellence où ce sentiment de ne tenir sur rien, est le plus aigu. 

Lors de mon dernier voyage en Europe, j’ai pour ma part développé un trouble sensiblement différent qui n’est pas la peur panique de monter dans un avion mais la terminalophobie : la peur du terminal, ou dans son terme moins apocalyptique, la peur de l’aéroport. Voici l’histoire. 

J’habite depuis longtemps en Israël mais des obligations familiales me demandent de voyager en moyenne une fois par an. La préparation à l’achat du billet est un parcours du combattant. Premier dilemme qui me ronge : je passe par un agent ou par internet ? L’agent prend une “com’” rondelette et le prix du billet est bien plus attrayant sur Start Voyage, mais allez savoir ce qu’il vous réserve ! Chaque étape vous fait suer et les décisions ont l’air d’être lourdes de conséquences (prendre le siège 10C à 60 euros ? Ou ne pas le prendre et être à la merci du placement de l'hôtesse ou pire, interdite de séjour à bord !?). Chaque erreur semble fatale... Je valide, valide, assurance, date, location voiture, cocher, oui, non, j’avance. Ma souris est ma machette dans la jungle des offres. Je me fraye un chemin dans la brousse. Ouf ! J’arrive au paiement. Tiens ! Ils m’ont rajouté 100 euros. “Ils” - les êtres sournois qui ont conçu ce site et la formulation ambigüe de chaque étape - m’informent : ”En cochant ici, vous faites partie des heureux candidats qui ne toucheront pas la réduction Promo sur le prix final du billet”. Mince ! Je ne comprends pas. Je relis. Au secours ! J’étouffe. Cette langue est incompréhensible. Je suis prise dans des labyrinthes et des dilemmes dignes de Kafka. 

Tant pis pour le prix. Je veux un être de chair et de sang. Je veux un agent !!!

Trop tard. Je n’ose pas (et je ne sais pas) faire marche arrière. Je suis prise au piège.

Pas d’imprimante à la maison. Je cours au bureau pour sortir mon billet. Mais au bureau, je n’arrive pas à récupérer le document PDF que j’avais déjà rempli sur mon ordi. Je vous passe les détails : l’heure de la technologie est très très pénible pour des êtres fragiles comme vous (?) et moi. A ce stade, le billet est sorti grâce à des âmes charitables qui ont pris pitié de moi mais j’ai développé un premier trouble : la billetparinternetphobie. Il me faudra dorénavant vivre avec. (Quelqu’un peut-il me conseiller un spécialiste de simulation de prise de billets pour la prochaine fois ? Svp dans les commentaires en bas.)

Mais le plus gros m’attend. Mon billet a une escale à Francfort. Escale courte, d’une heure et si les deux avions font partie du même cartel, ils ne sont pas de la même compagnie : Lufthansa et Swiss. Pas bon. Même en écrivant, ma gorge se serre à nouveau. Est-ce qu’ils sont synchronisés en cas de retard ?

Et en effet, sur le terrain les choses ne sont pas si simples. Mon avion de Tel-Aviv est arrivé à temps à Francfort, mais la descente a pris 17 longues minutes. A cause du corona, ils appellent les lignes de sièges et vous font sortir au compte-goutte. Puis, je suis lachée dans les interminables couloirs du terminal de Francfort. Je suis comme une petite oie perdue suivant désespérément le mot ”connection” - escale - et j’arrive à nouveau devant une vérification de bagages à main. Il me reste 15 minutes pour attraper mon avion. Tout est lent. Deux juifs religieux devant moi sont fouillés et l’on appelle des agents de la sécurité armés de mitraillettes (vrai !) pour une malheureuse compote qu’on a découverte dans le bagage de l’un deux. 

Il me reste 13 minutes. Je commence à perdre le contrôle. Je supplie l’un des employés des vérifications avec mes 3 mots d’anglais (car l’allemand, je l’ai oublié depuis longtemps) : “Please, I’ve got my connection in a few minutes. Make for me the check now” - “J’ai mon avion dans quelques minutes, pouvez-vous vérifier maintenant mon bagage ?” Pas de réaction. J’essaye sur un autre employé. Rien. Je cherche leur regard. Comme j’aurais fait en Israël. Ils ne me regardent pas. Je panique. Je leur dis que je continue et que je leur laisse ma valise. Que je ne suis pas prête à rater mon avion à cause de ce check qui n’en finit plus. Un blond (comme chez Gad Elmaleh) me demande en allemand de garder mes distances, car dans la panique, j’ai enfreint les 2 mètres de sécurité. C’est tout ce qu’il trouve à me dire. Personne n’écoute ma douleur. Je vais rater mon avion. Il décolle dans 11 minutes. Ici, au terminal Francfort, on a une technique : on ne vous regarde pas. On vous ignore. Comme ça, pas d'interaction, pas de réaction, pas d’intervention, pas de… Pas de cœur. Ils m’ont anéantie. 

Pour raccourcir ce suspense insoutenable (chers lecteurs, je sais que vous êtes à bout), une fois la vérification effectuée, je commence à courir hors d’haleine le long des corridors ultra sophistiqués du terminal Francfort. Des magasins défilent, des cafés-brasseries façon tyrolienne, des boutiques de luxe, mais trop tard. Le comptoir du Gate A12 pour Genève est vide. No passengers. Une employée est encore là. Je lui tends mon billet. Mais elle secoue la tête : 

”Les portes sont fermées : le vol est bouclé, il fallait être là 20 minutes avant le départ”. 

“Oui mais…”, j’explique que je n’y suis pour rien. Elle secoue la tête et me dit de m’adresser demain matin au comptoir pour enregistrer un nouveau billet.

“Mais où vais-je dormir à Francfort ? Je ne connais personne…”

- A l'hôtel, me répond-elle. 

- Mais ma mère m’attend à Genève, elle sort de l'hôpital”. Elle secoue la tête. 

L’avion est encore là. Je la supplie. Rien. 

Je me retire et je commence à murmurer une prière. “Sauve-moi. Aide-moi. Je n’ai que Toi”. 

Et là, surgi de nulle part, un homme en veste s’approche. Épinglée sur son habit, l’insigne d’une compagnie aérienne. Je me lève et je lui explique. Cet homme est noir. Aujourd’hui, on aurait dit “de couleur”. Il m’écoute et me regarde. Il parle parfaitement l’allemand, s’installe à la console du comptoir, prend mon billet, donne des ordres à l'employée, passe quelques appels et me dit de patienter. Je lis en boucle le seul Téhilim que je connaisse vraiment bien par cœur : “Achré yochvé bétekha…” - “Heureux ceux qui sont assis dans Ta demeure...” 

Il me fait signe que c’est OK. Je peux monter. Le pilote a donné son accord. Je remercie l’homme avec effusion, mais je n’ai même pas le temps d’en ajouter. 

A peine assise sur mon siège, l’avion commence à bouger. Sauvée. 

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Après 6 jours en Europe, le voyage de retour, cette fois Genève - Tel-Aviv avec escale en Autriche, ne fut pas mouvementé. 

Je rentrai chez moi, en terre amie. En Israël. Où je me plains parfois que les gens sont impulsifs, pas ponctuels, indisciplinés, qu’on est dans l'à peu près ; où un oui n’est jamais vraiment un oui, où on vous dépasse dans la queue, où le ton monte vite, où les chauffeurs de taxi...

Israël. Où on vous regarde, où on ne vous laisse pas dans votre détresse, où il y aura toujours une main qui se tendra vers vous. Où, lorsqu’on parle, on vous écoute. Où l’apparence est rugueuse mais le cœur est chaud. Où un non n’est jamais vraiment un non. Où vous existez. Où vous n'êtes pas transparent aux yeux des autres. 

Baroukh Hachem ! J’ai choisi la bonne destination. 

(Ce texte est dédié à Bianca F., ilot de ‘Hessed, qui pose son cœur sur les âmes en peine et tend la main pour les secourir. Qu'elle puisse très bientôt atteindre les rivages de la Terre Promise, avec ses chers enfants.)