En quoi nos Yamim Tovim sont-ils si particuliers et si puissants que la simple mention d’un certain jour de fête éveille en nous de doux souvenirs qui gisent enfouis dans notre cœur ?

Quelqu’un qui a vécu un Séder peut-il oublier les mélodies, les paroles de la Hagada, le plaisir absolu de cette soirée ? Ces souvenirs sont si réels qu’ils nous permettent même de respirer le délicieux arôme de la nourriture si particulière du Yom Tov.

Dès que Pessa’h est passé, nous nous tenons au Mont Sinaï étudiant toute la nuit la précieuse Torah que D.ieu nous a offerte - le plus beau cadeau qu’un être humain peut recevoir.

Puis, bien entendu, nous passons à Roch Hachana et Yom Kippour, que nous venons de célébrer avec trépidation et d’intenses prières. Peut-on ne pas trembler en entendant ces mots : « Qui vivra… qui mourra… qui par le feu… qui par l’eau… qui sera élevé… qui sera déchu … qui vivra en paix et qui aura des ennuis » ?

Puis viennent les aveux de Yom Kippour, qui nous forcent à nous regarder et à confronter nos méprisables défauts spirituels - notre abandon de la Torah, notre indifférence aux appels d’Hachem. Qui peut ne pas trembler en de tels jours ?

Spirituellement épuisés, nous avons désormais besoin d’être rassurés, il nous faut un « baiser » et une « étreinte » de notre Père céleste. En effet, c’est ainsi qu’Il a prescrit aux Sages de discipliner les enfants : avec la main gauche, on les repousse, et, avec la main droite, la main puissante, on les rapproche. Cette leçon est remarquable et très puissante. Donc, juste après Yom Kippour, Hachem nous amène dans Sa Soucca protectrice et nous assure de Son amour.

La Soucca est instable ; des vents violents ou de fortes pluies peuvent la détruire. Mais c’est précisément toute l’idée. « Mes enfants, déclare Hachem, n’oubliez jamais que vous êtes sous Ma protection, à Mes bons soins. Venez sous Ma Soucca et Je prendrai soin de vous. »

D.ieu nous demande uniquement d’avoir à l’esprit que Souccot est la fête des quatre espèces sur lesquelles nous devons réciter une Brakha chaque jour. Ces quatre espèces représentent le peuple juif dans toute sa diversité. Ils sont tenus ensemble, comme une seule entité. Lorsqu’un Père voit ses enfants unis, Son cœur s’emplit de joie. Il a du Na’hat, une satisfaction authentiquement juive.

« Lorsque Mes enfants sont unis, dit D.ieu, comment puis-Je me mettre en colère ? Comment ne pas Me réjouir ? »

En effet, ce fut la dernière requête émise par notre patriarche Ya’acov sur son lit de mort : Soyez un ! Unissez-vous ! Si vous êtes unis, leur assura-t-il, vous devenez invincibles. Ya’acov a appris cette sagesse d’Hachem Lui-même. Demandez à n’importe quel parent et il/elle admettra aisément que la plus grande joie provient de voir ses fils et filles unis.

Lorsque ma famille arriva aux Etats-Unis en 1947, nous avons vécu un choc culturel sévère. C’était un pays où les Juifs pouvaient vivre librement leur judaïsme et suivre la Torah, or, la plupart d’entre eux avaient choisi une autre voie.

Mon révéré père, le Rav, Gaon et Tsaddik Avraham Halévi Jungreis zatsal, tendit la main à nos frères américains laïcs. Souccot était le moment parfait : il bâtit la première Soucca dans notre quartier de Brooklyn. Le but de mon père, en réalité, n’était pas de construire une Soucca uniquement pour notre famille, mais pour la grande famille du ‘Am Israël, du peuple juif.

Pour mon père, chaque Juif était « mein teyere kind - mon précieux enfant. » Ce n’étaient pas de simples mots - ils provenaient de son cœur et entraient dans le cœur de toute personne à qui il parlait.

Mon père était un remarquable Rav, mais personne ne l’appelait par son titre. Tout le monde l’appelait « Zaida » (« grand-père » en Yiddish), car il était le grand-père de tout le monde. Et ma mère, la Rabbanite Miriam Jungreis, n’a jamais été appelée « Rabbanite ». Non, tout le monde l’appelait avec admiration « Mama ». Lorsque vous vous adressez à quelqu’un en l’appelant Zaida ou Mama, les barrières fondent et vous devenez membre de la Michpa’ha, la famille. Mais le défi demeurait. Comment atteindre nos frères américains non pratiquants ?

« Ma très précieuse enfant, me prescrit mon père, c’est ton rôle à présent. Rassemble tous les enfants du pâté de maisons, et invite-les à une fête dans la Soucca. » Je fus un instant abasourdie. Moi ? Moi, qui ne sais pas l’anglais, qui vis dans une cave, qui suis vêtue d’habits de seconde main, une étrangère, et qui ne suis pas acceptée dans le « groupe ? » Moi, je devais inviter les enfants du pâté de maisons, des enfants qui vivent dans de belles maisons, qui portent de belles robes, qui se moquent de mon anglais et de mes manières maladroites ? Ils vont certainement se moquer de moi. Aucun d’entre eux n’a jamais entendu parler de Soucca. « Ils ne voudront jamais venir, répondis-je à mon père. Ils penseront que je suis folle. »

« Non, mon enfant, répondit mon père avec tendresse et patience. Lorsque tu œuvres pour Hachem, personne ne pensera jamais que tu es folle. Au départ, ils seront peut-être surpris, étonnés, et se demanderont de quoi il s’agit, mais ensuite, la "Pintele Yid", l’étincelle juive gravée dans chaque cœur et âme juifs se réveillera et, tout d’un coup, se transformera en flamme qui brûlera ardemment et leur indiquera la voie vers la Soucca. »

J’avais du mal à intégrer ces propos. Le détachement avec lequel ces enfants me traitaient prouvait le contraire. A cette époque, les réfugiés arrivant d’Europe, en particulier des camps de concentration, étaient rejetés. Les mères craignaient que leurs enfants n’attrapent des poux auprès d’eux, et que leurs enfants entendent des histoires cauchemardesques qui les priveraient de sommeil la nuit. Mais, malgré tout, mon père me demanda d’inviter les enfants. Et c’est ce que je fis.

A ma grande surprise, ils répondirent tous par oui. Ils vinrent même nous aider à décorer la Soucca. Lorsqu’arriva le premier soir de Souccot, un sentiment exalté régnait. Lorsque vous vous investissez dans quelque chose, cela devient bien plus précieux. Vous êtes fiers du résultat.

Avec un sentiment d’anticipation, les enfants du pâté de maison vinrent dans notre Soucca. Ils montrèrent fièrement du doigt leurs contributions, les décorations qui ornaient la Soucca dans chaque coin. Lorsque nous prîmes place à table, mon père se mit à chanter de sa voix douce et empreinte de sainteté. Et, comme par magie, les enfants furent transformés.

Le moment était venu de prendre la Sé’ouda, le repas de fête, un nouveau défi. Nous étions très pauvres. Nous n’avions pas d’argent pour acheter de viande, ni même du poulet. Mais ma mère réussit tout de même à acheter des pieds et des os de poulet et prépara une délicieuse soupe, que seule elle pouvait réussir. Les enfants l’apprécièrent, comme toute personne qui goûtait la nourriture de maman. Maman prépara également ses propres gâteaux et sa ‘Hala. Cela était plus important pour les enfants que des frites, des hotdogs, ou des boulettes de viande. Ce fut une merveilleuse soirée.

Lorsque le moment fut venu de relater l’histoire de Souccot, mon père me demanda de la raconter, car j’étais la seule de la famille à parler dans un anglais approximatif, et une prononciation hésitante. Si mon Tatte, mon père, me demandait de parler, avais-je le choix ?

Les années passèrent et les liens se resserrèrent ; les garçons et les filles de notre quartier devinrent les petits-enfants de mon père. Mon père avait toujours des bonbons dans les poches, mais avant de les distribuer, il demandait qu’ils fassent une Brakha. Ainsi, il leur enseignait à réciter les bénédictions. Un grand nombre d’entre eux devinrent des rabbins et rabbanites, et même des Roché Yéchiva.

Très concrètement, ce sont en ces jours de Yom Tov que je reçus un entraînement précoce que je mis à profit des années plus tard en créant Hinéni, en tendant la main à des Juifs du monde entier.

Je n’ai jamais oublié la leçon de mon père : savoir briser des barrières artificielles pour me lier à d’autres Juifs. Au fil des ans, j’ai voyagé dans tout pays où l’on trouve des Juifs, et, bien que souvent je ne connaisse pas la langue locale, je parle du fond du cœur, mes auditeurs ouvrent leurs cœurs, et leur étincelle juive se transforme en flamme.

Prenons l’exemple de mon père et appliquons-le à nous. Ouvrez votre Soucca à tous les Juifs. Ne vous souciez pas du décor ou du menu. Préoccupez-vous de votre cœur : il doit être empli d’amour pour les visiteurs.

Souccot est la fête à propos de laquelle il est écrit : « Soyez très heureux ». Voici comment nous devons aborder D.ieu, comment nous pouvons Le remercier pour la vie qu’Il nous a octroyée à Yom Kippour. Servons-Le dans la joie, unis avec tous nos frères.

Véhayita Akh Saméa’h - vous serez très heureux, très joyeux. C’est ainsi que nous entrons dans la Soucca et que nous abordons Hachem.

Je profite de cette occasion pour souhaiter à mes chers lecteurs et aux Juifs de partout ‘Hag Saméa’h d'avance pour toutes nos fêtes juives :) Puissions-nous célébrer cette fête ensemble, avec l’aide de D.ieu, l’an prochain à Jérusalem.