J’ai récemment reçu la lettre d’une mère inquiète de la pression scolaire vécue par son fils de quatorze ans scolarisé dans une école juive. Au prix de grands sacrifices, toute sa famille avait emménagé à New York pour que les enfants puissent bénéficier d’une éducation en Torah et se faire des amis qui partagent leur vision de la vie. A sa grande déception, de nouveaux problèmes surgirent dans l’école où son fils s’était inscrit. Dans le passé, il était un enfant facile, souple, mais présentement il était devenu nerveux et irritable. Il avait été placé dans une classe d’apprentissage accéléré et avait du mal à gérer la pression constante et à maintenir les notes élevées requises pour ce programme. Elle hésitait sur la manière de gérer la situation. Son fils paniquait à l’idée d’être rétrogradé à la classe en-dessous, mais dans le même temps, la tension ne faisait qu’augmenter et les difficultés ne diminuaient pas. La maman était surtout concernée par l’effet possible sur le développement affectif de son fils. Voici ma réponse :

Chère amie,

Tout d’abord, je vous félicite ainsi que votre mari d’avoir sacrifié votre sécurité financière et la proximité avec votre famille pour permettre à vos enfants de bénéficier d’une éducation authentique dans l’esprit de la Torah. Mais rien n’est simple dans la vie et des défis se présentent constamment à nous. Le problème que vous soulevez préoccupe de nombreuses familles. Les parents veulent que leurs enfants fréquentent les meilleures écoles et qu’ils excellent dans toutes leurs études, ils exercent donc une pression pour que les écoles développent des programmes accélérés, et si les écoles ne se plient pas à leur demande, ils inscrivent leurs enfants ailleurs. Un cercle vicieux se crée tandis que les écoles succombent aux exigences des parents et les enfants subissent de plus en plus de pressions. Idéalement, les enfants devraient apprendre à aimer leurs études, et cet amour devrait se concentrer sur la pure joie d’étudier. Mais la réalité est tout autre. La pression d’exceller est intense et tous les élèves ne sont pas à même d’y faire face. Mon mari, Rav Méchoulam Halévi Jungreis, relatait souvent que dans les Yéchivot d’Europe, il n’avait jamais rencontré cette focalisation sur les notes. Les élèves de Yéchiva étudiaient pour étudier, et le genre de pression que les jeunes gens vivent aujourd’hui était inconnu.

Un dicton en Yiddish dit que le monde juif suit les tendances du monde-juif, à savoir que nous sommes affectés par la culture dans laquelle nous vivons. Dans notre monde contemporain, le but fixé par tout parent pour son enfant est la réussite. Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce une indication d’un désir de voir l’enfant s’engager dans une vie au service d’autrui, comme l’enseignement, l’aide aux indigents, aux personnes dans le besoin, aux opprimés ? Ou le but visé est-il la richesse, le pouvoir et un statut social ? La réponse est bien évidemment la seconde, et dans le monde laïc, pour atteindre ce but, tout est justifié. Certaines de ces attitudes ont déteint sur nous. Nous sommes, nous aussi, devenus obsédés par la réussite, ce qui, dans notre terminologie, signifie être le « meilleur » dans tout, depuis les Limoudé Kodech, les études de Torah, aux études profanes, jusqu’à la popularité, si bien que lorsque des renseignements sont pris pour un futur Chiddoukh, le rapport doit revenir en ces termes : « C’est est le meilleur, la meilleure ! »

Peu d’attention est accordée au Moussar (valeurs morales), à la Méssirout Néfech (sens du sacrifice), au ‘Hessed (la bonté), au Dérekh Erets (savoir-vivre), au respect pour les autres et à la crainte du Ciel.

Lorsque ‘Hanna, le modèle de la maternité, a imploré D.ieu de lui donner un enfant, elle a dit : « Donne-moi Zéra Anachim - une graine d’un homme » - une expression difficile à comprendre. Elle pria humblement à D.ieu que son fils ne soit ni trop intelligent, ni trop terne, ni trop grand, ni trop petit, etc. Or lorsque l’enfant naquit, elle le nomma Chemouël. J’ai dit « or », car la même année, une Bat Kol, une voix divine avait proclamé qu’un enfant nommé Chemouël naitrait et apporterait des bénédictions au peuple. Or, si ‘Hanna avait des aspirations si humbles pour son fils, pourquoi l’aurait-elle nommé Chemouël ?

Etre une source de bénédiction pour les autres ne signifie pas d’être le meilleur, le premier, le plus brillant, celui qui réussit le plus. Il s’agit plutôt de tendre la main, d’aider les autres par la bonté et la compassion, et c’est une leçon que nous devons communiquer à notre génération imbue de succès.

Je me rappelle de ma première expérience à l’école lorsque nous sommes arrivés dans ce pays après la Shoah. C’était l’époque des bulletins et je vécus un choc de culture. Mes camarades de classe étaient pétrifiées à l’idée de rentrer à la maison avec des notes en-dessous de 90/100. Je ne comprenais pas leurs craintes. Mes parents ne considéraient qu’un seul sujet avec une certaine mesure d’inquiétude : la conduite. Tout le reste était secondaire. Mais de nos jours, si un enfant excelle dans ses études, c’est tout ce qui compte, et tout le reste devient secondaire. Nous sommes actuellement à la Paracha de Vayéra dans laquelle Hachem dit au patriarche Avraham : « Si Je l'ai distingué, c'est pour qu'il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d'observer la voie de l'Éternel, en pratiquant la vertu et la justice. » (Béréchit 18,19). C’est le but que nous devons nous fixer.

Ceci dit, voyons comment nous pouvons appliquer ces enseignements à votre problème. Vous et votre mari êtes des personnes remarquables qui ont prouvé leur capacité à se sacrifier. Vous avez quitté votre famille proche, une affaire de famille prospère et vous êtes installés à New York pour donner à vos enfants une éducation et un environnement conformes à la Torah. C’est cet engagement que vous devez inculquer à votre fils pour qu’il comprenne qu’il est davantage question d’éducation que de bonnes notes…il ne doit pas obtenir les meilleures notes, et s’il obtient un 80, ce n’est pas la fin du monde. Il doit néanmoins s’évertuer de faire de son mieux au niveau de ses Midot, ses traits de caractère, tels que le ‘Hessed et le Dérekh Erets. Quant à ses études, il doit faire son Hichtadlout, faire de son mieux.

Lorsque notre Torah se réfère à Moché et à Aharon, parfois, Aharon est mentionné en premier et parfois, Moché, nous enseignant qu’ils étaient égaux. Nous savons pourtant que Moché lui était supérieur ; en effet, aucun autre homme n’était aussi remarquable que lui. Mais Hachem évalue une personne en fonction de ses efforts pour réaliser son potentiel, de sorte que les deux frères étaient égaux, car ils avaient chacun réalisé leur potentiel, et c’est ce que D.ieu nous demande.

Voici une merveilleuse histoire à ce sujet sur l’immense Rabbi Zicha qui déclara une fois : « Je n’aurais pas peur si Hachem me demande pourquoi je n’ai pas été semblable à nos ancêtres Avraham, Its’hak et Yaakov, ou Moché ou David, car je répondrais simplement : D.ieu tout-puissant, Tu ne m’as jamais donné les outils de ces géants. Mais j’aurais peur si D.ieu me demande : "Zicha, pourquoi n’as-tu pas été comme Zicha ?" »

C’est une leçon critique à intégrer pour votre enfant s’il veut mener une vie sereine, car les comparaisons ne cessent jamais. Aujourd’hui, ce sont les notes, demain, c’est une voiture, un revenu, une maison…c’est sans fin. Ceci dit, je vous dirais que si je devais décider, je me débarrasserais de toutes ces étiquettes. Je pense que cette manière de procéder peut créer une arrogance d’un côté, et briser des égos d’un autre. J’ai malheureusement vu beaucoup d’enfants durement touchés par ce genre de programmes compétitifs.

Mais ces décisions ne dépendent pas de moi, et pour être honnête, je ne pense même pas que les écoles en soient responsables, car trop souvent, ces programmes ont été développés dans le sillage de la pression parentale. Mais peu importe, nous devons gérer la réalité de la situation. Changer constamment d’école n’est pas un exemple que vous voulez pour votre enfant, mais d’un autre côté, vous ne voulez pas qu’il soit constamment tendu et nerveux non plus, alors la meilleure solution, dans ces circonstances, est de vous inspirer de ‘Hanna, la maman de Chemouël. Dites-lui que ce qui vous préoccupe le plus est qu’il vise à devenir une bénédiction pour les autres. Faites-lui comprendre que Hachem a une manière différente de nous noter que la méthode de l’école. Hachem nous note en fonction de nos efforts et de notre bonté de cœur. C’est pourquoi la première et la dernière lettre de la Torah forment le terme Lev, le cœur.